A Saint-Jacques dans le quartier gitan du coeur de Perpignan, les vieux immeubles s'effondrent comme des chateaux de cartes et la politique de lutte contre l'habitat insalubre peine à s'installer.
La mâchoire métallique de l'engin de chantier déchiquette la toiture d'un bâtiment qui vient se fracasser au sol. D'ordinaire, à Saint-Jacques, quartier gitan du coeur de Perpignan, les immeubles insalubres s'effondrent tout seuls.
Le dernier en date, vide d'occupant, s'est affaissé sur lui-même le 13 janvier, rue des Farines. Comme la plupart des édifices de ce quartier labyrinthique, construit sur une colline de la capitale des Pyrénées-Orientales, la maison n'avait pas de fondations et ses murs de terre ont cédé, vraisemblablement en raison d'infiltrations d'eau.
A quelques dizaines de mètres de là, un îlot de trois bâtiments tombe sous les coups de boutoir du bras articulé: des habitants du quartier assistent à la scène, attentifs, pour la plupart des Gitans sédentarisés dont la présence dans le département remonte au XVe siècle.
Priorité affichée de longue date par la ville et l'État, la lutte contre l'habitat indigne peine pourtant à porter ses fruits, elle qui figure aussi en bonne place
des objectifs de la Zone de sécurité prioritaire (ZSP), dont fait partie Saint-Jacques. Certes, les efforts de réhabilitation se heurtent à une conjonction d'obstacles: mainmise de marchands de sommeil, insolvabilité de nombreux propriétaires, fragilité structurelle de l'habitat.
"Déu Vos Guard"
Mais, concédait fin 2013 la préfecture dans une note, en dépit des efforts financiers importants consentis par l'État et la ville, les résultats "restent peu lisibles", à Saint-Jacques comme dans les quartiers voisins de Saint-Mathieu et La Réal. Le député et candidat socialiste à la mairie Jacques Cresta dénonce là un échec de l'équipe municipale sortante de l'UMP Jean-Marc Pujol. Héritier de la dynastie Alduy qui tient la ville depuis 1959, M. Pujol est candidat à sa réélection.
"On a autant de logements insalubres que ce qu'on avait en 2003 (soit 4.000). En secteur protégé (dans le centre historique), cela correspond à un sur deux", assure M. Cresta.
Tous les candidats à la mairie de cette ville de 120.000 habitants auront à se prononcer sur le sort de Saint-Jacques, dont l'électorat est traditionnellement très courtisé.
Dans ce quartier pittoresque, l'importance du nombre des maisons en état de délabrement avancé saute au yeux.Certaines ont bien un arrêté de péril imminent placardé sur la porte d'entrée, comme ces deux maisons mitoyennes, près de la médiathèque, qui ne semblent tenir debout que par les poutrelles métalliques étayant les murs à chaque étage. Mais de nombreuses autres aux fenêtres de guingois, aux gouttières absentes, aux murs fissurés sont toujours habitées, comme en témoigne le linge qui sèche aux fenêtres.
Au 24 de la rue Fontaine-Neuve, une de ces maisons vous accueille même avec un peu engageant "Déu Vos Guard" ("Que Dieu vous garde" en catalan) au-dessus de la porte d'entrée.
"Tiens, y a des rats"
Les anecdotes des habitants du quartier ne manquent pas. "Avant, j'habitais rue du Sentier. Un soir, dans mon lit, j'ai entendu des craquements et je me suis dit: "tiens, y a des rats". Et puis cinq minutes plus tard, une bonne partie du plafond tombait sur moi", témoigne Joseph Reyes, 43 ans.
"C'était une maison où on utilisait le rez-de-chaussée et le 2e étage, poursuit-il. Le premier, on n'y allait pas parce que le plancher n'était pas sûr. Un jour, il s'est effondré. On a dû déménager".
M. Reyes et sa famille s'en sont sortis indemnes. Mais en 2009, un septuagénaire de Saint-Mathieu avait été tué dans l'effondrement de son immeuble.
L'Office public de l'habitat de Perpignan, une société de construction et un architecte sont renvoyés devant le tribunal pour homicide involontaire. Ils sont accusés d'avoir fait procéder à la destruction de la maison mitoyenne sans s'assurer des conséquences alentour.
Mais, plus que l'inquiétude pour leur sécurité, beaucoup de Gitans de Saint-Jacques craignent que la réhabilitation à terme de leur quartier ne les en chasse.
"On a peur qu'on nous mette dehors d'ici. On en parle beaucoup entre nous et nous ne voulons pas partir", dit M. Reyes. Les maires des villes avoisinantes "ne voudront pas de nous quand ils vont voir qu'on est Gitans".