Un enseignant du lycée Jean Lurçat de Perpignan se bat depuis 8 ans contre ce qu'il considère comme le silence administratif de l'Education nationale. Victime de moqueries, d'insultes et d'actes homophobes de la part d'une de ces collègues, il réclame des sanctions contre elle, en vain. Pourtant, la justice l'a condamnée à 2 reprises.
L'affaire se passe au lycée Jean Lurçat de Perpignan. Elle débute en 2014, quand un enseignant est victime de harcèlement de la part d'une collègue à cause de son orientation sexuelle.
Pire, cet outing malveillant est relayé devant les élèves de l'établissement, en cours, agrémenté de propos homophobes et injurieux.
"Mois après mois, les faits de harcèlement sont montés en puissance. Et j'ai commencé à m'isoler. (...) J'entendais dans mon dos des propos insultants. Certains m'appelaient Madame".
Enseignant du lycée Jean Lurçat de Perpignan, harcelé et outé.Interview François David, France bleu Roussillon.
Dans des attestations sur l'honneur transmises à la justice, plusieurs anciens élèves affirment que l'enseignante harceleuse utilisait le terme de "PD" et désignait sa classe comme étant "la salle du PD".
La harceleuse condamnée par la justice
Le professeur harcelé dit vivre depuis, une véritable descente aux enfers... Il s'estime lâché par sa hiérarchie.
Toutefois, il gagne son procès au civil en avril 2019. La professeure d'espagnol à l'origine des dénonciations est condamnée à 4.000 euros de dommages et intérêts. Le juge retient la "volonté de nuire" et un comportement "en contradiction de ce qui est attendu de la part d'un éducateur". L'année suivante, ce premier jugement est confirmé par la cour d'appel de Montpellier.
Entre 2016 et 2019, l'homme se dit encore victime de harcèlement, d'intimidations. Il reçoit des lettres anonymes au travail, sa voiture est vandalisée, notamment avec des tags insultants.
Il explique même qu'un inspecteur de l'Education nationale, à l'occasion d'un rendez-vous de carrière, aurait féminisé sa fonction en le qualifiant de "professeure".
Pour lui, sa hiérarchie est coupable de lenteur, de l'avoir abandonné voire d'inaction.
"Devant l'inaction de ma hiérarchie, j'ai dû mener moi-même le combat devant la justice. Et aujourd'hui, cette situation se retourne contre moi".
Enseignant du lycée Jean Lurçat de Perpignan, harcelé et outé.Interview François David, France bleu Roussillon.
Pour son avocate, Me Camille Manya, l'Education nationale qui "a toujours été au courant des faits depuis le début, n'a strictement rien fait". Et la professeure à l'origine du harcèlement n'a pas eu une "sanction académique" à la hauteur de son délit reconnu et condamné par la justice.
D'où sa décision de lancer une nouvelle action devant le tribunal administratif de Montpellier.
Le rectorat dément formellement le laxisme et l'inaction
Dans un communiqué de presse, daté du 31 mars 2022, le service communication du rectorat de l'académie de Montpellier dit "ne pouvoir accepter les accusations d'inaction prononcées à son encontre". Il justifie ses positions, ses actions et dit suivre ce dossier de harcèlement "avec la plus grande attention depuis 2016".
"En 2016, le service des ressources humaines a eu connaissance de cette situation de harcèlement. Depuis il accompagne et soutient le professeur".
Communiqué du Rectorat de l'académie de Montpellier.
Pour prouver son engagement et son soutien, le Rectorat précise : "L’enseignant a engagé une procédure judiciaire pour laquelle les services académiques lui ont fait bénéficier de la protection juridique du fonctionnaire afin de l’accompagner et de le soutenir dans sa démarche, notamment en prenant en charge ses frais d’avocat. Une enquête administrative a été diligentée en 2017. A l’issue, des mesures ont été prises pour éloigner les deux enseignants concernés au sein de l’établissement".
Et de conclure : "Les services académiques demeurent à son écoute et le recevront à nouveau s’il en exprime le besoin. Le suivi de ce dossier est donc toujours d’actualité pour les services, en parallèle de la procédure judiciaire en cours. Par ailleurs, le lycée Jean Lurçat reste très mobilisé pour lutter contre toutes les formes de discrimination".
Une enquête interne à l'Education nationale et un rapport du Défenseur des Droits
Pourtant, selon nos confrères de France bleu Roussillon, à ce jour, l'Éducation Nationale n'a pris aucune sanction à l'égard de la professeure d'espagnole, malgré sa condamnation en justice. Huit ans après les faits, l'intéressée n'a reçu qu'une simple lettre de recadrage pour lui demander "d'adopter à l'avenir un positionnement conforme à [ses] obligations de professeure".
De plus, une enquête administrative interne rendue en janvier 2017 concluait "qu’il serait souhaitable dans l’intérêt du service de déplacer l’enseignante afin de rétablir un climat serein pour les enseignants et les élèves".
L'affaire portée devant le Défenseur des Droits a abouti après un examen d'un an, en juillet 2021, à des conclusions accablantes.
Pour le Défenseur des Droits, "l'administration aurait dû, dès qu'elle a eu connaissance des faits litigieux, au moins depuis 2016, entamer une procédure disciplinaire à son encontre, ce qui aurait évité de donner l'impression de banaliser les faits ainsi dénoncés".
Aujourd'hui, soutenue par SOS-Homophobie, la victime demande réparation et des sanctions réelles contre "ses agresseurs".
"Mon désir le plus cher est de pouvoir travailler de nouveau dans un climat serein, protégé de toute éventuelle agression. Et d'être réhabilité dans mes fonctions et dans mon honneur".
Surtout, l'enseignant espère pouvoir tourner la page de cette douloureuse et longue affaire.