Le mercure a flirté avec les 20 degrés ce 10 janvier 2025 à Perpignan. Ce n'est pas un record, mais un événement qui se répète depuis plusieurs décennies, symbole du changement climatique à l'œuvre dans les Pyrénées-Orientales. L'agroclimatologue Serge Zaka nous explique pourquoi cet "automne perpétuel", sans froid significatif, pose problème.
Au plus chaud de cette journée de vendredi, la température avoisinait les 20°C à Perpignan. Certes, ce n'est pas un record pour janvier : l'an dernier, le 26 du mois, il a fait 24 degrés selon le réseau Infoclimat. C'était du jamais vu. Et ses relevés font apparaître qu'à cette époque de l'année, les 20 degrés ont été dépassés plus de 40 fois depuis 1902. C'est bien ce qui inquiète l'agroclimatologue héraultais Serge Zaka.
Il nous explique les changements climatiques hivernaux qui sont à l'œuvre dans les Pyrénées-Orientales et ce qui pourrait en résulter pour les écosystèmes, mais aussi pour les humains.
Comment interpréter ces températures élevées pour un mois de janvier ?
En soi, elles ne sont pas exceptionnelles : dans le contexte de pré-changement climatique, on les avait déjà. C'est dû à l'effet de foehn, un phénomène météo bien connu [quand un vent dominant rencontre une chaîne montagneuse, en aval de l'obstacle, l'air devient sec et se réchauffe sur le versant descendant, NDLR]. C'est assez régulier et normal, mais ça ne l'est pas d'atteindre et de dépasser ces températures autant de fois en janvier.
À LIRE AUSSI - MÉTÉO. Jusqu'à 20°C sur le Roussillon : une vague de chaleur provoquée par l'effet de foehn attendue en fin de semaine
C'est donc un phénomène qui tend à s'intensifier ?
On peut dire que c'est une exception qui devient la norme. Cela devient de plus en plus fréquent et intense depuis 20 à 30 ans, avec une très forte intensification ces dix dernières années. Pour le tourisme, c'est plutôt agréable, mais il n'y a pas que des humains sur la planète.
En quoi cela bouleverse-t-il les écosystèmes ?
C'est le froid qui permet de "nettoyer" l'environnement des parasites et des maladies. Là, on entre dans un automne perpétuel et cette absence de froid est problématique. D'abord parce que les végétaux sortent plus tôt de leur dormance hivernale et sont donc plus exposés aux gels tardifs.
À LIRE AUSSI - VIDEO. "On n'a jamais vu un problème de cette dimension" : le mildiou touche les vignes du Gard et fait chuter la production
Ensuite parce que les champignons pathogènes, comme celui vecteur du mildiou [ravageur pour la vigne, NDLR], vont apparaître au printemps s'ils survivent à l'hiver. Enfin, la douceur favorise la survie et la remontée vers les pays du Nord d'insectes vecteurs de maladies tropicales pour les végétaux, les humains et les animaux : mouches, moucherons, moustiques.
Est-ce que la pérennisation de ces hivers doux est inéluctable ?
À l'avenir, d'ici 2050, avoir 25°C en hiver, ce sera classique. Et c'est là que la situation peut basculer. C'est la fameuse théorie du boxeur : si on prend un coup à la tête, on ne tombe pas forcément la première fois, ni tous les mois, ni tous les ans. Mais si ça se répète toutes les minutes, on est KO. C'est ce qui est en train de se passer pour les écosystèmes des Pyrénées-Orientales et de l'Aude : ils dépérissent.
Y a-t-il une possibilité d'adaptation ?
La vitesse du changement climatique est beaucoup plus rapide que celle de notre adaptation. C'est particulièrement vrai pour les forêts catalanes. Prenez par exemple la réserve naturelle nationale de la Massane : cette forêt de hêtres est là depuis au moins 21 000 ans. Jusqu'ici, elle se régénérait. Mais là, le déséquilibre se creuse entre les arbres qui meurent et ceux qui reprennent.
La Massane est en danger : un changement climatique naturel aurait normalement pris des milliers d'années, ce qui aurait donné le temps à la forêt de s'adapter. Mais le phénomène actuel ne pourrait prendre qu'une génération, c'est trop court.
La sécheresse aggrave-t-elle la situation ?
Oui, car la reprise précoce de la végétation est d'autant plus fragile que l'évapotranspiration des plantes est plus forte avec la chaleur. On entame déjà les réserves en eau de l'été prochain. Dans les Pyrénées-Orientales, il faudrait de la pluie, mais ce n'est pas prévu.