Au troisième jour du procès de Guerric Jehanno, jugé devant les assises du Tarn pour l’enlèvement, le viol et le meurtre d’Amandine Estrabaud, la cour a entendu ses anciens collègues, ses amis et la voisine de la disparue.
"Vous êtes un témoin important dans cette affaire" lui dit l'avocat général. "C'est dur à porter" répond-elle. Au troisième jour du procès de Guerric Jehanno devant les assises du Tarn, c'est au tour de la voisine d'Amandine Estrabaud d'être entendue, ce lundi 12 octobre 2020. Elle est la dernière personne à l'avoir vue vivante. Et à ce titre, elle a déjà été interrogée 7 fois par les gendarmes et les juges d'instruction.
Un témoin clé
Cet après-midi du 18 juin 2013, "il faisait beau et j'avais les fenêtres ouvertes" dit-elle d'une voix assurée à la barre. "J'ai entendu un véhicule arriver dans l'allée, j'ai vu un fourgon blanc se garer devant chez Amandine. Amandine est descendue et a ouvert la porte. Je ne l'ai pas trouvée inquiète. Un homme la suivait, j'en ai déduit qu'elle le connaissait."Interrogée par les gendarmes quand la mère d'Amandine Estrabaud leur signale sa disparition, elle leur décrit cet homme qu'elle n'a vu que de dos. Selon elle, il fait la même taille qu'Amandine Estrabaud, il est d’un gabarit charpenté, il a les cheveux châtain clair et porte un pantalon de chantier avec une bande orange.
Au fil de l'enquête, quand l'étau se resserera autour de Guerric Jehanno et qu'on lui présentera des photos, elle dira la même chose que face à lui à l'audience :
Oui, il lui ressemble. Oui, il a la même corpulence. Oui il a la même coupe de cheveux. Oui, il a un pantalon de chantier. Oui, il lui ressemble mais je ne peux pas affirmer que c'est lui. Il ressemble beaucoup à cet homme. Je ne peux pas être affirmative mais il lui ressemble fortement.
Les approximations de l'ancien patron de Guerric Jehanno
Contrairement à la voisine d'Amandine Estrabaud, l'ancien patron de Guerric Jehanno, a des problèmes de mémoire depuis le début de l’affaire. Son entreprise, comme toutes celles des artisans du secteur, a fait l’objet d’investigations à l’époque des faits. C’est lui qui a écarté les enquêteurs en disant qu’il n’avait pas de chantier en cours à Roquecourbe et que Guerric Jehanno travaillait à Castres le jour de la disparition d’Amandine Estrabaud. Il faudra de longs mois et une minutieuse enquête sur la téléphonie pour se rendre compte qu’il a reçu un appel d’un livreur de béton ce jour-là pour une terrasse à Roquecourbe, que son entreprise avait deux chantiers en cours sur la commune et que Guerric Jehanno était au moins sur celui de cette fameuse terrasse ce jour-là. A l’audience, ce lundi 12 octobre, il explique que "précisément, cette période-là était très délicate"."J’étais en difficulté dans mon entreprise. Je donnais des directives mais je ne contrôlais pas derrière. J’avais des difficultés de manager, des difficultés économiques aussi qui m’ont conduit à changer de métier."
Fuyant ses équipes pour éviter les contacts directs avec elles, manquant d’autorité sur ses salariés, il semble avoir été un chef d’entreprise dépassé par les évènements. Aujourd'hui encore, il a beaucoup de trous de mémoire sur cette journée du 18 juin 2013 et sur ce qu'il a dit aux enquêteurs. Il ne se rappelle pas la réunion de chantier qu’il a eu pendant plus d’une heure à Roquecourbe ce jour-là, pas non plus d’être allé sur l’un ou l’autre de ses chantiers en cours dans le village.Je ne peux pas dire précisément où était Guerric Jehanno ce jour-là. J’étais dans ma bulle de stress.
L’avocat général l’interpelle : "quand même, il aura fallu attendre plusieurs mois et une enquête sur des milliers d’appels téléphoniques pour trouver cet appel d’un livreur de béton sur votre portable. Vous ne vous êtes jamais posé la moindre question ? Votre entreprise est à Roquecourbe, vous êtes au courant de la disparition et après vous ne vous posez pas une seule fois la question de savoir si Guerric Jehanno n’était pas à Roquecourbe plutôt qu’à Castres ? Vous n’avez pas contribué vraiment à l’enquête. "
"J’entends vos reproches" répond cet homme un peu emprunté à la barre, "à ce moment-là, je n’ai pas eu la présence d'esprit de vérifier s’il y avait des éléments."
Les collègues de Guerric Jehanno
Guerric Jehanno s'est-il oui ou non absenté du chantier de Roquecourbe où on avait livré le béton pour aller sur un autre cet après-midi là en attendant que la dalle sèche ? Et a-t-il pu croiser à cette occasion Amandine Estrabaud qui rentrait à pied de son travail ? Ses anciens collègues interrogés par la cour sont loin d'être formels. Son chef d'équipe pense "qu'ils étaient tous les trois". "Jusqu'à 16h15, je pense qu'on était tous les trois. C'est certain que Guerric était là quand on a coulé le béton et quand on a taloché la dalle à 17h00. Entre les deux, je ne sais pas."Son deuxième collègue pense que ce n'est pas le même jour que Guerric Jehanno est allé sur l'autre chantier pour y faire des finitions. "Il me semble qu'on était tous les trois ensemble" dit-il. "Peut-être qu'à un moment il est parti chercher quelque chose mais ça a duré 10 minutes maximum".
Les anciens amis
L'audience se tend quand Kevin, le meilleur ami de Guerric Jehanno entre dans la salle. Son ancien meilleur ami en fait car cette histoire les a séparés. Elle l'a d'ailleurs coupé de beaucoup de monde. "Plus personne ne me parle" dit-il. "On a dit que j'étais son meilleur ami et que je lui avais planté un couteau dans le dos mais c'est pas moi qui suis allé voir les gendarmes". C'est effectivement la mère de Guerric Jehanno, Irma Vottero, qui a prévenu les gendarmes du comportement étrange de son fils.
Il est entendu pour la première fois par les enquêteurs quand Guerric Jehanno est placé en garde à vue, le 17 juin 2014. "A partir de là, je me suis mis à me poser beaucoup de questions".
Avant cela, il n'avait pas voulu prendre au sérieux les propos de Guerric Jehanno, qui depuis sa rupture avec sa petite amie et son licenciement "s'était mis à délirer". Invité régulièrement chez lui et sa compagne, il leur répète qu'il n'est pas un assassin.
"Il nous disait qu'il était foutu, qu'il était suivi, plein de petites phrases comme ça. Au début, on n'a pas trop fait le rapprochement".
Un soir, on regardait un épisode de Plus belle la vie, il y avait un épisode sur un enlèvement, un meurtre et il nous dit "On raconte mon histoire".
Pourtant, Kevin continue de penser pendant longtemps que son ami Guerric délire, "à aucun moment je n'ai fait un rapprochement avec Amandine Estrabaud, contrairement à sa mère" dira-t-il aux gendarmes.
Aujourd'hui, il est beaucoup moins catégorique. Son meilleur ami lui a tourné le dos au sortir de sa première garde à vue et ne lui a jamais donné les explications qu'il espérait. "Sur le coup, je n'y croyais pas. Après, j'y ai cru" dit-il.
Un changement de comportement du jour au lendemain
L'ancienne compagne de Kevin attend elle aussi des réponses, six ans après. Elle raconte son changement de comportement "du jour au lendemain, environ trois semaines avant son arrestation".
"On s'est dit, il délire complètement. Tout était incohérent. Il pensait qu'il était suivi, nous disait qu'il était fichu, que sa voisine allait penser que c'était lui". Elle aussi évoque l'épisode de Plus Belle la Vie. Elle explique avoir pensé que ce comportement étrange était lié à sa rupture et à son licenciement, qu'il faisait "un burn-out". "A aucun moment il ne nous a parlé d'Amandine."
A l'époque, elle attend un bébé. Avec Kevin, ils veulent qu'il en soit le parrain. "Non." repond Guerric Jehanno, "car je ne serai jamais là pour le petit".
A la barre, d'une voix très posée, elle raconte aussi l'incompréhension causée par l'éloignement de Guerric Jehanno qui a complètement coupé les ponts avec eux après sa garde à vue. "On voulait des réponses. On était très proche. On n'a pas compris pourquoi après la première garde à vue, il n'est jamais revenu. Nous, on attendait des réponses. Que ce soit noir ou blanc, on attendait juste des réponses".
"Il va falloir nous aider un peu, Monsieur Jehanno"
Le président interroge Guerric Jehanno sur cet épisode de Plus Belle la Vie. A-t-il dit devant ses amis, en regardant cet épisode qui parlait d'un enlèvement "c'est mon histoire" ?"Je ne m'en rappelle pas" est la seule réponse qu'il obtient.
Le président insiste, Jehanno ne sait pas.
"Je ne cherche pas à vous coincer, Monsieur Jehanno", reprend le président, "je cherche à avoir une certaine cohérence dans vos propos. Pourquoi vous vous centrez sur Amandine ?"
"Je ne sais pas."
Le président insiste encore : "vous êtes là parce que vous avez le fourgon, vous avez un pantalon qui correspond, vous avez des horaires qui peuvent correspondre et la seule réponse que vous avez, c'est je ne sais pas. Il faut réaliser qu'il y a une famille qui est là et qui ne sera jamais tranquille tant qu'il n'y aura pas de corps.
"Oui, je comprends. Mais si c'est pas moi, je ne peux pas savoir où elle est" répond Guerric Jehanno dans son box.