Yann Elliam a officié pendant quatre ans en tant que surveillant dans un lycée de Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine. Aujourd'hui, celui qui continue d'intervenir dans les lycées auprès de jeunes de banlieue parisienne, nous livre son regard sur les inquiétudes et le comportement des jeunes qu'il côtoie vis-à-vis des forces de l'ordre.
Yann Elliam a été lauréat du concours France Télévisions "Filme ton quartier" en novembre dernier avec son court-métrage documentaire "Jour de guerre". Le jeune réalisateur, 27 ans aujourd'hui, s'était immergé au cœur des rivalités entre bandes de son département. Il est également président de Laissez Parler Les Gens, une association qui lutte contre le harcèlement scolaire. Entretien.
Quel rapport aux forces de l'ordre ont les jeunes que vous côtoyez ?
Yann Elliam : Il y a beaucoup à dire sur cette relation entre les jeunes et les policiers, et particulièrement sur le contrôle au faciès. Lorsque j'étais surveillant, et encore maintenant, ce sont des sujets qui reviennent fréquemment.
"Entre eux, ils préfèrent en rire, mais derrière, beaucoup en ont peur"
Yann ElliamAncien surveillant de lycée et réalisateur
Les retours d'expérience que les jeunes me remontent concernent principalement des contrôles abusifs et des contrôles au faciès. Entre eux, ils préfèrent en rire, mais derrière, beaucoup en ont peur. Ils m'ont déjà rapporté des paroles de policiers envers eux qui m'ont choqué. Mais ce qui m'a encore plus étonné, c'est que ces jeunes n'avaient même plus l'air surpris. Ils avaient l'air d'en avoir pris l'habitude. Évidemment, cela ne concerne pas tous les policiers. J'imagine que ceux qui ont des paroles déplacées et qui abusent de leur position d'autorité sont minoritaires.
Donne-t-on suffisamment la parole à ces jeunes ?
Yann Elliam : Non, et c'est ce qui me désole alors que ce sont eux qui en souffrent le plus de cette relation avec la police. Personnellement, je suis plus âgé donc je me fais beaucoup moins contrôler, mais j'ai grandi à Saint-Ouen, ça m'est évidemment arrivé. Selon les retours de jeunes avec qui j'échange, ces contrôles se seraient amplifiés. Certains ont peur. Il y a eu des émeutes en 2005, et maintenant peut-être aujourd'hui. J'ai l'impression que rien ne change. Je ne sais pas s'il existe une solution miracle pour ces jeunes, mais lorsqu'on parle de récréer une police de proximité, il ne se passe pas grand chose. [NDLR : en 2017, 84% des Français étaient favorables au retour d'une police de proximité dans les quartiers selon un sondage Fiducial/Odoxa diffusé par Le Figaro].
La proximité peut-elle reconstruire le lien entre jeunes et policiers ?
Yann Elliam : Bien sûr. Il faut un rapport cordial entre les jeunes et les policiers. S'ils sont dans les mêmes secteurs, ils peuvent connaître davantage les jeunes d'un quartier. Il y a probablement des quartiers où les relations sont cordiales entre certains policiers et certaines jeunes. Mais dans la plupart des cas, c'est conflictuel. Il y a des problèmes dans les deux camps. Mais les policiers représentent l'autorité, c'est à eux de faire un pas vers les jeunes, discuter et accepter le dialogue. S'il n'y a pas d'échanges, rien ne changera.
"Je pense qu'il y a des choses à faire, comme la création de temps d'échanges entre jeunes et policiers"
Yann ElliamAncien surveillant de lycée et réalisateur
Malheureusement, les contrôles au faciès pour ces jeunes-là sont quotidiens. Quand je fais des activités avec des jeunes, ils ne sont même plus surpris lorsqu'ils voient des policiers. Ils savent qu'ils vont se faire contrôler, et parfois de manière un peu abusive. Je pense qu'il y a des choses à faire, comme la création de temps d'échanges entre jeunes et policiers. Cela pourrait être une bonne idée. Aujourd'hui, la mort de ce jeune à Nanterre a été médiatisée, notamment car il a été filmé. Mais des contrôles abusifs qui peuvent amener à une certaine violence, c'est tous les jours.