Alors que la mairie de Paris vient tout juste de fermer son compte X (ex-Twitter), un collectif baptisé HelloQuitteX propose une application pour faciliter cette démarche de migration vers d’autres réseaux sociaux. Une initiative à laquelle a notamment pris part un chercheur du CNRS, le Centre national de la recherche scientifique.
C’est sur X que la mairie de Paris a annoncé… quitter X (anciennement Twitter). La collectivité la plus suivie de France sur ce réseau social, avec 2,2 millions d’abonnés, fermera son compte le 20 janvier prochain, jour de l’investiture de Donald Trump.
"Par le biais de ses algorithmes et des prises de position successives de son dirigeant, X est soupçonné d’ingérence dans la vie démocratique de certains États (en Allemagne ou au Royaume-Uni par exemple)" se justifie la Ville de Paris, en précisant que cette dérive "sape les fondements de la démocratie." Le patron de X, Elon Musk, est en effet un fervent soutien du futur président américain et fera d’ailleurs partie de son gouvernement.
Patrick Bloche, premier adjoint, ajoute que la plateforme "ne réunit plus les conditions permettant à la Ville de Paris d’y effectuer sa mission de service public d’information des Parisiennes et des Parisiens." Une décision prise dans le sillage d’Anne Hidalgo, maire de la capitale, qui avait à titre personnel quitté le réseau en novembre 2023.
#HelloQuitteX Informer toutes celles et ceux qui s’intéressent à Paris ici était la mission de service public de @Paris. Au fil du temps, celle-ci est devenue complexe puis impossible. pic.twitter.com/ffNlDHLRMm
— Paris (@Paris) January 16, 2025
Avant Paris, de nombreux autres organismes ou collectivités ont aussi choisi de délaisser le réseau. Dans notre région, les communes de Noisy-le-Sec, de Pantin et de Vitry-sur-Seine en font partie. Des institutions sportives s’y mettent également, comme le Red Star FC depuis décembre dernier. Le club de football a estimé que X était désormais utilisé "pour amplifier des discours haineux et polarisants, jouant ainsi un rôle clé dans la manipulation de l’opinion publique."
Une application pour quitter X
Alors pour encourager cette dynamique et faciliter la migration vers d’autres réseaux sociaux, un collectif a créé HelloQuitteX. Une trentaine de bénévoles a travaillé sur ce projet "transpartisan et apolitique." Parmi eux, des développeurs, des juristes, des journalistes, des associations comme la Ligue des Droits de l’Homme et des chercheurs, à l’image du mathématicien David Chavalarias.
"Beaucoup de gens qui souhaitent partir de X n’y arrivent pas car ils sont captifs de leur audience. On leur propose donc une passerelle permettant de dupliquer l’environnement social de X vers des réseaux ouverts, transparents, plus respectueux de la vie privée tels que Bluesky et Mastodon", explique ainsi le chercheur au CNRS et directeur de l’institut des systèmes complexes de Paris Ile-de-France.
Concrètement, les utilisateurs téléchargent leurs archives depuis X et grâce à cette application (tirant son nom d’un jeu de mots avec "Hello Kitty", marque japonaise), ils peuvent transférer leurs abonnés et abonnements vers d’autres réseaux.
L’objectif, tout comme la mairie de Paris, étant de quitter collectivement le réseau social d’Elon Musk juste avant l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier. "Ce réseau de communication est défaillant, car il est instrumentalisé à des fins politiques par son dirigeant", relate David Chavalarias. "Plusieurs études ont documenté cela. Par exemple, le réseau vous montre plus de 49 % de contenus toxiques. L’algorithme fait remonter des contenus insultants, souvent différents de ce à quoi vous vous abonnez", ajoute le chercheur. "Ça a aussi été l’un des premiers réseaux à fermer son pôle de modération des contenus et ainsi permettre des appels à la violence, à la haine, et à des contenus néo-nazis de proliférer."
En 10 jours, l’outil a déjà été utilisé par plus de 7 000 personnes et enregistre un développement exponentiel, avec plus de 1 000 utilisateurs au quotidien actuellement.
Une approche scientifique
David Chavalarias travaille depuis longtemps sur l’impact des réseaux sur la société et a notamment écrit un livre sur le sujet en 2022, Toxic Data. (Ed. Champs).
Pour lui, le sujet n’est pas que politique et va bien au-delà. "La science a pour devoir d’essayer d’améliorer la société, de comprendre comment elle fonctionne et de proposer des solutions. La question du débat collectif et social, ce sont des questions de recherche", détaille-t-il. Et de compléter sa pensée : "En tant que scientifiques, on indique ce qui est dangereux et ce qu’il y a à améliorer et après, c'est aux politiques de choisir. Notre rôle, c'est de créer de nouvelles possibilités pour la société." Le mathématicien raconte également l’intérêt pour la recherche à travers HelloQuitteX.
Ce qui est intéressant, c’est de savoir comment ces nouveaux environnements numériques décentralisés, plus ouverts, peuvent nous aider à construire de meilleures sociétés.
David Chavalarias, chercheur au CNRS
Quitter... ou ne pas quitter ?
A contre-courant, d’autres voix et médias ont indiqué ne pas vouloir partir de X. C’est le cas de Charlie Hebdo. L’hebdomadaire satirique dit ne pas vouloir abandonner "une possibilité de s'exprimer", et publie dans la foulée plusieurs caricatures du milliardaire américain et patron de la plateforme. "Elon Musk se targue de défendre la liberté d'expression. Charlie Hebdo prend le parti d'en faire usage pleinement en diffusant des caricatures de son célèbre patron", selon un communiqué.
Hi @elonmusk ! We hope you like our idea of freedom of expression. Please, don't hesitate to tell us which design you like best. pic.twitter.com/m1Z56ckeYC
— Charlie Hebdo (@Charlie_Hebdo_) January 16, 2025
Le sénateur Ian Brossat a décidé pareillement de maintenir son compte X pour le moment. "Que X pose un problème, c'est une évidence, mais quitter le navire pour laisser les seules voix réactionnaires s'y exprimer, je n'en vois pas l'efficacité", a-t-il commenté auprès de l'AFP.
Des réticences et des interrogations auxquelles s’attendait David Chavalarias. "S’il y a un incendie dans une pièce, sans portes et sans fenêtres, soit vous restez par solidarité, soit vous trouvez une issue de secours et vous sortez. Ça n’a aucun sens de rester alors que le réseau se dégrade et que son patron maîtrise les vents et les courants de l’information, vous ne pouvez que vous intoxiquer."
Le mathématicien précise tout de même que sa plateforme est "une autre route, mais on n’oblige personne à l’emprunter."