Des "mamas" maquerelles installées en France, de jeunes Nigérianes enrôlées sur fond de rituels de magie noire : le procès des "Authentic sisters", vaste réseau de proxénétisme nigérian tenu par des femmes, a débuté lundi à Paris.
Dans ce dossier, onze femmes et cinq hommes sont jugés jusqu'au 30 mai pour proxénétisme aggravé et traite d'êtres humains. Parmi eux, une petite femme de 36 ans, bandeau et cheveux courts, est soupçonnée d'avoir dirigé ce réseau : Happy Iyenoma, alias "Mama Alicia".
Les "Authentic sisters", qu'elle présidait, n'étaient selon elle qu'une "association d'entraide" basée sur le système de la "tontine", une caisse de solidarité. Pour les enquêteurs, cette caisse servait à "investir" dans de jeunes filles, et leurs réunions à organiser la prostitution.
Prostitution
Elle comparaît libre sous contrôle judiciaire, après avoir été remise en liberté vendredi. "Une erreur" de procédure, "ce ne sont pas les sorciers ayelalas qui ont gagné votre liberté", a ironisé la présidente, Isabelle Prévost-Desprez, référence aux sorciers omniprésents dans ce dossier, qui captaient une part des revenus de la prostitution.Les prévenus, la plupart assistés d'un interprète, sont soupçonnés d'avoir fait venir illégalement en France de jeunes Nigérianes et d'avoir organisé leur prostitution forcée.
Une cinquantaine de victimes
Les enquêteurs ont dénombré au moins une cinquantaine de victimes entre 2013 et 2016, pour la plupart issues de campagnes pauvres ou de Benin City, capitale nigériane du trafic d'êtres humains. L'enquête avait débuté avec la plainte de l'une d'elles en France en octobre 2014."Cynthia" (un surnom), jeune femme de 28 ans, a raconté son calvaire par la voix d'une traductrice, accusant notamment Happy Iyenoma et son époux Mark. "Mamy", la mère de Mark Iyenoma, lui avait fait miroiter un emploi dans des salons de coiffure parisiens, explique cette jeune femme issue d'une famille pauvre. "Elle m'a demandé de faire ma valise sans rien dire à personne".
Les "mamas" proposaient de faire passer les jeunes filles en France afin qu'elles y travaillent, moyennant le remboursement d'une dette" de plusieurs milliers d'euros. Avant leur départ, les victimes et parfois leurs familles s'engageaient à rembourser ces sommes aux maquerelles lors d'un rituel de magie noire, le "juju", au cours duquel le sorcier pouvait les forcer à manger, nues, yeux bandés, le coeur cru d'un animal.Elle m'a demandé de faire ma valise sans rien dire à personne.
"Beaucoup de douleur"
Avant qu'elle ne s'envole pour la France avec l'aide de passeurs, Cynthia avait ainsi subi des "scarifications" rituelles: "Ça voulait dire que j'allais gagner beaucoup d'argent".
En région parisienne, elle s'était prostituée sous la houlette de Happy et de son mari. "La première fois, j'étais en pleurs. Il m'ont dit que c'était ça, le travail".
Dans des foyers de travailleurs, elle réalisait "vingt passes par jour", "dix euros chacune". Mark réclamait "1.000 euros tous les dix jours".
Sorciers
A l'été 2015, les proxénètes était rentrés au Nigeria et avaient rendu visite "avec des sorciers" aux parents de Cynthia car elle ne gagnait pas assez, raconte-t-elle: "Ils ont battu mes parents". Selon elle, son père en est mort.
Elle parviendra à quitter la prostitution avec l'aide d'une assistante sociale. "Vous êtes là aujourd'hui, donc vous êtes plus forte qu'eux", la console la présidente. Cynthia se tient à deux pas des douze prévenus qui comparaissent libres. "Non", dit-elle, "j'ai peur".
Violences
Au cours de l'enquête, les victimes ont raconté des violences, des avortements forcés."Bella", 23 ans, prostituée dans le nord de Paris par "Mama Joy", une autre prévenue, a raconté qu'elle devait payer "2.000 euros tous les dix jours" et 450 euros de loyers. Un jour, enceinte, elle avait été contrainte de prendre "treize" cachets pour avorter avant d'être forcée à retourner travailler. "J'ai ressenti beaucoup de douleur en couchant avec les hommes", avait-elle dit aux enquêteurs. Elle avait fini par être hospitalisée.
Certaines victimes, arrivées vierges en France, avaient expliqué avoir été violées avant d'être prostituées. Celles qui ne venaient pas en avion arrivaient via la Libye, en traversant la Méditerranée au péril de leur vie.