Au Fanzinarium, une bibliothèque associative du 20e arrondissement, on peut consulter 6000 "fanzines". BD amateurs, revues ultraspécialisées de passionnés de musique et de cinéma, brochures punks ou LGBT… Des publications imprimées avec de la débrouille, une grande liberté d’expression, et tirées à quelques dizaines d’exemplaires à peine.
Sur les étagères du Fanzinarium, on trouve des papiers de toutes les couleurs et de toutes les tailles. Ce petit local, situé rue des Vignoles et géré exclusivement par des bénévoles, partage une grande collection de fanzines sur une multitude de thématiques. "La musique, la littérature, la politique, le ciné, le manga, les comics, les photos… Il existe même des fanzines de supporters de foot. On a chopé celui du Ménilmontant FC, un club antifasciste, ça va aussi avec nos valeurs", liste Delphine Ya-chee-chan, membre de l'association.
Mais qu’est-ce qu’un fanzine ? "C'est une contraction en anglais entre les mots 'fanatic' et 'magazine' . Le terme est apparu dans les années 30 aux Etats-Unis pour qualifier des publications amateurs de science-fiction. Des courriers participatifs partagés entre lecteurs passionnés, qui s’étaient rendu compte qu’ils n’habitaient pas loin les uns des autres. En France, le boom vient de la photocopieuse en libre-service, à la fin des années 1970", résume la bénévole de 44 ans.
Le Fanzinarium, lui, est né il y a un peu plus de cinq ans. "À Poitiers, il existe depuis les années 80 la Fanzinothèque, avec 50 000 publications. En bons parisiens, on voulait ouvrir une bibliothèque dans la capitale, accessible à côté de chez nous. Les fanzines sont des publications extrêmement marginales, donc ça peut être compliqué d'en trouver et d'en lire gratuitement. L’idée est aussi de prolonger la vie de ces imprimés, et d'en faire profiter le plus grand nombre. Perso, je pense qu’il faut les faire vivre et tourner au maximum, quitte à prendre le risque qu’ils soient abîmés. On est une bibliothèque, pas un musée. Mais c’est mon point de vue : conserver ce patrimoine, ça se défend aussi", raconte-t-elle.
"Il n’y a pas de règles"
Entre les collections privées des bénévoles et les dons reçus régulièrement par l’association, 6000 "zines" sont mis à disposition — les plus vieux datent des années 60. "On a un objectif militant. C’est un lieu non marchand, pas une librairie. On peut venir consulter sur place, on ne fait pas de prêt. Les seuls moments où il y a des ventes ici, c'est lors d'événements où des fanzineux et fanzineuses sont invités à présenter eux-mêmes leur travail", précise Delphine Ya-chee-chan. "En ce moment sur la vitrine, il y a des histoires créées par un petit vieux du quartier, Stéphane Goarnisson. Il détourne dans son coin des BD en associant des cases qui n’ont a priori rien à voir, et distribue ses carnets un peu au hasard", glisse-t-elle.
"Le fanzine, c’est un média alternatif. En général, il n’y a pas de dépôt légal, ce qui est normalement une obligation. Quand un particulier veut publier tout seul à ses frais, on est dans un flou par rapport à la loi, il n’y a pas de règles. Et c’est fabriqué avec des petits moyens pour communiquer entre fans au sein d’une communauté. Les tirages tournent souvent autour des 100 exemplaires. Il y a un lien avec le mouvement punk et le principe du 'do it yourself' : les techniques artisanales de reproduction permettent de tout faire soi-même, avec de la débrouille. Faire un fanzine, c’est 'hacker'. Il faut ruser et explorer", explique la bénévole.
Une liberté illustrée par la grande diversité de formats d’impression "plus ou moins de bon goût" et "une mise en page plus ou moins contrôlée". Collage, sérigraphie, ou tout simplement "photocopie de base avec du papier A4 plié et agrafé"... "Parfois les gens installent du matos dans leur salle de bains pour avoir de la couleur sans se ruiner. Et on peut même faire un fanzine sur d’autres supports que le papier", détaille Delphine Ya-chee-chan. Au Fanzinarium, on trouve d’ailleurs des "fanzines-objets", avec par exemple une boîte de camembert ou des haïkus à brûler, sur des feuilles de cigarettes.
"Notre but, c’est aussi d’inviter à créer son propre fanzine"
La bénévole met aussi en avant "la prise de parole directe" permise par les fanzines, "sans hiérarchie". "Il y a une horizontalité entre le fanzineux et le lecteur. Il n’y a pas l'autorité du journaliste, de l'auteur", loue-t-elle. De quoi, au passage, provoquer "quelques dérives", "à partir du moment où tout le monde peut dire ce qu'il veut sans contrôle". Delphine Ya-chee-chan cite ainsi "des scandales autour de BD pédophiles" et les risques liés aux fausses informations. Dans son "enfer" (la section des bibliothèques où l’on garde à part des œuvres qu’on ne souhaite pas mettre entre toutes les mains), le Fanzinarium conserve pour sa part "un détournement de BD négationniste, trouvé dans la rue". "C’est très rare, on le garde dans une boîte, on ne l’expose pas avec le reste comme si de rien n’était", explique Delphine Ya-chee-chan.
Mais cette liberté est avant tout associée à "une culture de la réappropriation". "Notre but, c’est aussi d’inviter à créer son propre fanzine. Tout le monde a le droit d’imprimer, mais tout le monde ne le fait pas. On veut montrer que c’est possible de se lancer sans rien s’interdire. On ne fait pas de 'propagande' pour que les gens deviennent militants queer ou vegan, mais pour qu'ils entendent la multitude de ces paroles", indique la bénévole, qui participe elle-même à des fanzines en créant "des petites BD et des articles" pour l’association des Amis de l'Imprimé Populaire.
Professeure documentaliste dans un lycée de Seine-Saint-Denis, Delphine Ya-chee-chan évoque d’ailleurs son histoire personnelle : "J’ai des problèmes de poids. Le premier truc que j’ai lu sur la grossophobie, c’était dans un fanzine qui s’appelle 'Oppression et libération de la grosseur'. Et ça m'a permis de penser différemment mon rapport à mon corps. Si je n’étais pas tombé dessus, aujourd'hui j'aurais sûrement subi une opération."
Organisé autour d'"un noyau de quatre-cinq personnes", le Fanzinarium est accessible deux fois par semaine : les mercredis de 18h30 à 20h30, et les dimanches de 15h à 19h. "On ouvre aussi sur rendez-vous pour les gens qui nous contactent. Dans l'idée, on aimerait avoir plus d'horaires pour faire découvrir le lieu", reconnaît la bénévole, alors que les réseaux sociaux participent aujourd’hui à un renouveau des fanzines, en permettant de créer des publications "sans réseau ni communauté".