Le suspect du meurtre de la sexagénaire juive Sarah Halimi va t-il échapper à un procès ? Ce vendredi, les parties civiles ont exprimé leur colère en apprenant que les juges d'instruction estimaient "plausible" l'abolition de son discernement, synonyme d'irresponsabilité pénale.
Alors que le parquet de Paris avait réclamé le 17 juin son renvoi devant une cour d'assises pour "homicide volontaire" à caractère antisémite, les parties civiles craignent que le suspect musulman Kobili Traoré, 29 ans, ne soit jamais jugé. Ce vendredi, dans une ordonnance, les magistrats ont indiqué vouloir saisir la chambre de l'instruction "pour apprécier les suites médicales et juridiques" à donner à cette affaire.
Des avocats de parties civiles ont annoncé qu'ils interjeteraient appel de l'ordonnance des juges, devant cette même chambre de l'instruction. De son côté, "le parquet analyse cette ordonnance afin de déterminer s'il fait ou non appel", a-t-il indiqué.
"Bouffée délirante"
Dans la nuit du 3 au 4 avril 2017 à Paris, Kobili Traoré, pris d'une "bouffée délirante", selon les experts, s'était introduit chez sa voisine Lucie Attal -aussi appelée Sarah Halimi -, âgée de 65 ans, au troisième étage d'un immeuble HLM du quartier populaire de Belleville, après avoir traversé l'appartement d'une famille d'amis qui s'étaient barricadés dans une chambre. Aux cris d'"Allah Akbar", entrecoupés d'insultes et de versets du coran, ce jeune musulman l'avait rouée de coups sur son balcon avant de la précipiter dans la cour.
"Nous attendons cette audience qui devrait conclure à ce que l'irresponsabilité pénale de Kobili Traoré soit définitivement reconnue", a réagi auprès de l'AFP son avocat, Me Thomas Bidnic. Au terme de l'enquête, trois expertises psychiatriques concordent pour dire que le jeune homme, sans antécédent psychiatrique, ne souffre pas de maladie mentale mais qu'il a agi lors d'une "bouffée délirante" provoquée par une forte consommation de cannabis. Elles divergent cependant sur la question de l'abolition ou de l'altération du discernement du jeune homme, toujours hospitalisé.
Discernement altéré ou aboli ?
Sur ce point, les juges estiment finalement qu'il y a des "raisons plausibles" de conclure à l'abolition du discernement de Kobili Traoré, selon les termes de leur ordonnance révélée par Le Parisien. Le premier expert avait d'abord conclu que le discernement du suspect devait être considéré comme "altéré", mais pas "aboli", "du fait de la consommation volontaire et régulière de cannabis" dont il ne pouvait ignorer les effets, engageant ainsi sa propre responsabilité. La contre-expertise, menée par trois médecins, concluait au contraire à l'abolition de son discernement, synonyme d'abandon des poursuites.La juge avait alors sollicité un nouveau collège d'experts dont l'avis, moins tranché, penche "plutôt classiquement vers une abolition du discernement" de Kobili Traoré, car "au moment des faits, son libre arbitre était nul". "Cette dernière thèse sur laquelle se sont basés les juges dans leur ordonnance m'apparaît pour le moins contestable", a estimé Me Francis Szpiner, avocat avec Me Caroline Toby des enfants de Mme Halimi, qui réclame un "débat contradictoire" aux assises.
Le "caractère antisémite" écarté ?
Selon une source proche du dossier, les juges sont également allés à rebours du parquet à propos d'un autre pan sensible du dossier en écartant comme circonstance aggravante le "caractère antisémite" du meurtre. "Je suis nullement étonné par la décision des juges", a déploré auprès de l'AFP l'avocat du beau-frère de la victime, Me Gilles-William Goldnadel, dénonçant une instruction "erratique".Ce dossier avait relancé un débat sur un antisémitisme dans certains quartiers populaires sous l'effet d'un islam identitaire, controverse ravivée un an plus tard par le meurtre d'une octogénaire juive à Paris, Mireille Knoll. La qualification antisémite de ce crime avait donné lieu à un bras-de-fer entre
la juge, qui ne l'avait pas retenue au départ, et le parquet de Paris qui la réclamait, soutenu par les représentants de la communauté juive.