En 2024, plusieurs plateformes dont Deliveroo ou UberEats ont signé un accord pour lutter contre les discriminations dont sont victimes les livreurs. 80 % des agressions verbales à leur encontre portent sur leur origine.
Il y a quelques semaines, Lillian affirme avoir été menacé de mort par une cliente lors d'une livraison dans le Val-de-Marne. "J'ai toujours l'habitude de demander aux clients de descendre avant que j'arrive par un sms. Cette fois, elle ne m'a pas répondu. Quand je suis arrivé, elle a crié depuis sa fenêtre pour me dire qu'il fallait que je monte au 3ème. En montant, je lui ai dit que je trouvais son ton agressif. Elle s'est mise à me traiter de tous les noms, alors j'ai décidé de ne pas la livrer." S'ensuit alors une course-poursuite dans les escaliers.
"Elle me courrait après, a continué à m'insulter de tous les noms et a tenté de m'arracher la commande des mains. Lorsque je suis redescendu, elle m'a dit de sa fenêtre : "Je vais te tuer, on va te retrouver", raconte-t-il.
Celui qui rend compte de son quotidien de livreur sur les réseaux sociaux a filmé la scène et déposé plainte contre la cliente. "La procédure est en cours, mais je ne pense pas que son compte ait été suspendu alors que j'ai fait un signalement à la plateforme. Il faudrait que cela soit systématisé pour qu'on se sente en sécurité. Qu'on puisse faire notre métier en confiance."
Lillian l'assure : "Le but en racontant ce genre de choses n'est pas de se plaindre. Simplement de dire qu'on travaille dur, tôt le matin jusqu'à tard le soir. Souvent sous la pluie. On a tous le droit au respect."
Manque de respect et racisme décomplexé
Le manque de considération envers les livreurs, Vany, qui travaille dans le secteur de la Défense en est témoin depuis l'arrivée de Deliveroo en France en 2016. "Au début, les gens aimaient plutôt les livreurs parce que Deliveroo, c'était une fois de temps en temps. Il y avait un bon relationnel. Aujourd'hui, il y a des gens qui se font livrer tous les jours."
Selon lui, cette tendance amène certains clients à des outrances verbales. "Ils nous prennent pour leur serviteur. Certains nous disent à peine bonjour et s'en prennent à nous dès que quelque chose ne va pas avec leur commande. Lorsqu'il manque un produit par exemple alors que nous n'y sommes pour rien."
En outre, il note aussi de plus en plus de remarques discriminatoires. "Par exemple, moi je suis d'origine eurasienne, ma mère est Philippine. Lorsque je leur parle, certains s'exclament 'tiens enfin un livreur qui parle français correctement.' C'est insultant pour moi et mes collègues."
Des propos insultants de la part des clients, mais aussi parfois de la part des restaurateurs. "J'ai déjà entendu des choses comme 'Non, mais vous les Arabes des cités, vous êtes tous les mêmes'", témoigne anonymement un livreur. "Il y a des collègues qui n'osent plus aller dans certains restaurants, car ils se sont fait insulter par un employé ou un gérant. Les livreuses subissent des remarques sexistes également", poursuit-il.
"Quand on entend des insultes, cela s'ajoute à une journée lors de laquelle on est sous pression pour gagner notre vie. On travaille dans l'urgence, parfois pour empocher à peine 40 euros sur une demi-journée. C'est difficile psychologiquement", dénonce-t-il.
Selon une enquête de l'Association des Plateformes d'Indépendants (API) menée auprès de 4 500 livreurs de repas en 2024, 80 % des agressions des clients ou restaurateurs sont verbales et 72 % portent sur l'origine des livreurs. L'étude montre aussi que 60 % des livreurs disent ne pas connaître leurs droits lorsqu'ils sont victimes de propos haineux ou discriminatoires.
"A minima une fois par mois, des cas graves nous sont remontés", quantifie Fabian Tosolini du syndicat Union-Indépendants. Il s'agit "majoritairement de racisme décomplexé", ces livreurs étant issus "à 95 % de communautés étrangères".
Les plateformes s'organisent pour lutter contre les discriminations
En mai dernier, l'API qui regroupe Deliveroo, UberEats et Stuart a signé un accord avec les syndicats de livreurs pour lutter contre les discriminations contre les livreurs. "On s'autorise par exemple à suspendre ou supprimer le compte d'un client dont on nous remonte qu'il aurait été insultant envers un des livreurs", indique Julien Lavaud, porte-parole de Deliveroo France.
Le compte du restaurant peut être également suspendu, voire supprimer de leur plateforme si les faits sont avérés.
"Dès qu'un cas nous est transmis, on accompagne les livreurs dans toutes leurs démarches y compris en les accompagnant vers les acteurs spécialisés s'il y a besoin. Le livreur fait un signalement dans l'application et nous prenons cela en charge dans les 36 heures", assure-t-il.
L'accord prévoit d'ailleurs qu'un livreur reçoive une compensation financière si son compte a été suspendu à la suite d'une réclamation d'un client et que l'entreprise découvre que le livreur a été menacé ou insulté. "Nous comprenons qu'un livreur ne livre pas un client qui lui a mal parlé ou a tenu des propos discriminatoires", appuie le porte-parole de l'entreprise britannique en France.
Au sujet des remarques racistes de certains clients, Deliveroo prévient que "s'il faut en arriver à mettre des messages à l'inscription de chaque client pour rappeler que le respect envers les livreurs est essentiel, alors, nous le ferons, mais on espère ne pas devoir aller jusque-là." Selon lui, ces comportements sont "inacceptables et doivent être punis par la loi lorsqu'un livreur dépose plainte". L'accord prévoit également l'accompagnement des livreurs avec une prise en charge des frais de justice jusqu'à 5 000 euros en cas de procédure judiciaire.
Laurent Degousée a fait partie des signataires de l'accord pour la fédération SUD Commerces. Selon lui, s'il est encore trop tôt pour juger des véritables effets de l'accord, "il a tout de même le mérite d'avoir mis en lumière la galère au quotidien des livreurs et les aspects précaires de leur métier. C'est une bonne chose, car cela peut participer à changer les mentalités des clients et des restaurateurs".
Je termine mon mandat avec le sentiment du devoir accompli comme on dit. https://t.co/UdkjQonDhD
— Laurent Degousée (@laurentdegousee) May 13, 2024
Des ateliers de sensibilisation
Pour lutter contre les discriminations, Deliveroo a fait appel à la FACE, la Fondation pour l'inclusion. À travers des ateliers, les membres de l'association aident les livreurs de Deliveroo à "déconstruire les stéréotypes pour mieux comprendre la nature des discriminations grâce notamment à des mises en situation, faire connaître aux équipes le cadre juridique."
L'objectif de ces ateliers est de leur permettre "d'accompagner les livreurs victimes", note Timothée Delacôte, délégué général de FACE. Selon la fondation, le livreur est assimilé à tort aux sans-papiers ou "à une personne de niveau social inférieur".
UberEats s'est associée avec la LICRA, la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme et des juristes de la compagnie d'assurances Juridica. "Nous organisons des webinaires dans lesquels nous renseignons les livreurs sur leurs droits en cas de discriminations", explique UberEats France.