Depuis le 3 décembre dernier, le plus grand hôpital gériatrique de la région est en grève. A Limeil-Brévannes, dans le Val-de-Marne, les soignants de l’hôpital Emile-Roux alertent sans relâche sur leurs conditions de travail. Ils craignent de maltraiter leurs patients en raison du manque de personnel.
"Notre travail ne peut plus être fait correctement." C’est par ces mots qu’Emilie Vial tente de résumer la situation à l’hôpital Emile-Roux, situé à Limeil-Brévannes. Cette aide-soignante travaille au sein de l’établissement spécialisé dans la prise en charge des personnes âgées et des pathologies liées au vieillissement. Et depuis plus d’un mois et demi, avec d’autres collègues soignants, elle est en grève. 8 % de grévistes qui dénoncent la réduction des effectifs et ses conséquences sur leurs missions quotidiennes. "Cette situation, je la vis très mal. On n’a pas fait ce métier pour être rapides. En gériatrie, il faut passer du temps avec les patients, mais comme les soignants sont moins nombreux, ce temps-là on ne l’a plus", relate celle qui est aussi déléguée syndicale CGT.
Quand il n’y a que 5 aides-soignants pour s’occuper de 60 patients dont 25 à faire manger, malheureusement, on doit aller vite et certains mangent parfois froid ou ne peuvent pas finir leurs repas.
Emilie Vial, aide soignante
L’hôpital dispose de 528 lits et 490 sont actuellement occupés, pour environ 350 soignants (aides-soignants, infirmiers et agents hospitaliers). Emilie Vial raconte le quotidien dans le service de soins longue durée. "L’après-midi quand il n’y a que 5 aides-soignants pour s’occuper de 60 patients dont 25 à faire manger, malheureusement on doit aller vite et certains mangent parfois froid ou ne peuvent pas finir leurs repas."
La peur d’être maltraitants
Une agente hospitalière, souhaitant garder l’anonymat, confirme. L’hôpital dispose d’un service à l’assiette, auquel tiennent beaucoup les soignants. "Le moment du repas, c’est aussi un soin à part entière" explique-t-elle, "car certains patients âgés peuvent être dénutris."
Pourtant, actuellement dans son service, ils sont seulement deux à préparer les repas, les servir, nettoyer et débarrasser… pour 60 patients en tout. "Des aides-soignants viennent parfois nous aider, mais cela implique qu’ils se détachent des soins. Je me sens mal par rapport aux patients, on n’a plus le temps d’être à leur écoute", ajoute l’agente.
"Dans certains services, des douches n’ont pas été données depuis un mois et demi", déplore également Emilie Vial. "Les toilettes sont faites, mais pas les douches, donc les cheveux ne sont pas lavés par exemple. C’est tout ça qui engendre cette grève, on ne veut pas être complices de cette maltraitance."
Selon l'aide-soignante, des coupes budgétaires ont incité l’établissement à ne plus faire appel aux intérimaires qui venaient régulièrement et palliaient ce manque d’effectifs. Elle exerce depuis 27 ans au sein de l’hôpital Emile-Roux et explique n’avoir jamais été confrontée à de telles difficultés. "C’est évident, ça s’empire. Je n’ai jamais connu ça, avant, nous étions assez nombreux pour prendre en charge les patients comme il se doit."
Maurice Tarcy est lui infirmier ici depuis 31 ans et délégué syndical CGT. Il témoigne pareillement d’une détérioration de la prise en charge. "Souvent lorsque des personnes âgées arrivent à l’hôpital, elles ont plusieurs pathologies. Ce sont des patients complexes à qui il faut accorder du temps, avec qui il faut échanger. Mais aujourd’hui, c’est impossible, on s’attache seulement à faire les soins urgents et prescrits." Il estime perdre de plus en plus l’essence même de son métier. "Le relationnel est sacrifié. Par exemple, on n’a plus le temps d’expliquer les soins au patient. Ce ne sont pas des soins de qualité optimale" juge-t-il.
Il n’y a plus d’humanité dans la prise en charge, on est devenus comme des robots.
Maurice Tarcy, infirmier et délégué syndical
Selon l'infirmier, plusieurs de ses collègues sont épuisés, certains même en burn-out et en arrêts maladie face à la surcharge de travail.
Les négociations toujours en cours
Les grévistes souhaiteraient que l’AP-HP s’engage sur la promotion et la formation professionnelle et son financement. "Nous demandons une politique d’avenir sur le long terme. Que ceux qui le souhaitent puissent évoluer et donc être fidélisés ici pour des services stables", conclut Maurice Tarcy. "La promotion professionnelle permettrait que des aides-soignants puissent devenir infirmiers, ou que des agents hospitaliers deviennent aides-soignants."
Cinq réunions de négociation avec la direction et les ressources humaines ont déjà eu lieu. Dans un communiqué, l’AP-HP, dont dépend le site Emile-Roux, dit avoir identifié "trois axes prioritaires : l’amélioration de la prise en compte de la charge de travail […], l’augmentation de l'autonomie des équipes dans le choix de leurs horaires, avec l’expérimentation de nouveaux schémas attractifs comme la semaine de 4 jours […], et le renforcement de la vigilance sur les situations individuelles."
Elle indique par ailleurs que la mobilisation actuelle n’a pas d’incidence sur la prise en charge des patients de l’hôpital. Certains soignants sont assignés afin d’assurer un service minimum.
Une assemblée générale avait lieu ce jeudi, avec plus de 70 soignants présents. Ils ont voté la poursuite de la grève de manière illimitée.