"Je ne veux pas être complice de cette indignité" : mineurs isolés, des communes refusent leur accueil sans concertation et sans conditions

Dans les Yvelines et dans le Val-d’Oise, deux communes se refusent à accueillir, dans les conditions actuelles, des mineurs isolés. Les équipes municipales évoquent des décisions prises dans la "précipitation" et sans avoir été consultées.

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Quel point commun réunit Chapet (Yvelines) et Baillet-en-France (Val-d’Oise) ? L’accueil potentiel de mineurs isolés ou "non accompagnés" (MNA) sur le territoire de leurs communes.

Sur place, pas d’opposition totale à leur accueil. Certains élus disent toutefois n’avoir pas été consultés. Le projet serait bouclé trop vite et sans réfléchir, d’après certains avis.

Les protestataires incitent les départements à revoir leur décision.

Une décision hâtive et un lieu actuellement inadapté

Les mineurs isolés : Benoit de Laurens, maire (Sans étiquette) de Chapet est prêt à les accueillir. Pas dans n’importe quelles conditions, tient-il à souligner : "Je suis prêt à prendre part à toutes les discussions, à défendre l’idée que Chapet doit aussi prendre sa part. Je suis très attaché à la dignité, à la manière d’accueillir ces jeunes." Le département des Yvelines doit en effet trouver plusieurs sites pour accueillir 1 000 mineurs isolés. Objectif : répartir ces jeunes rapidement et sans trop de frais, sur des terrains du département. L’un d’entre eux est situé à Chapet. Des "bâtiments modulaires, bungalows, sur un hectare, avec 100 jeunes de 13 à 18 ans", selon le maire.

Ces 100 jeunes ne seraient pas un problème, d’après Benoit de Laurens. Sauf que l’élu estime ne pas avoir été consulté, et avoir l’impression de se voir imposer cet accueil : "Les communes rurales ne doivent pas être une variable d’ajustement de la panique budgétaire du département. En septembre, le conseil départemental a étudié des solutions, sans que j’en sois informé. Je n’ai été mis au courant que le 8 janvier dernier. J’ai alors convoqué un conseil municipal exceptionnel le samedi qui suit, puis une réunion publique le mardi 14 janvier."

Nous avons 1 350 habitants, 2 agents techniques, pas de police municipale et de CCAS. Comment voulez-vous que je sois en capacité d’assimiler ces 100 jeunes ? C’est quasiment l’équivalent de 10 % de ma population.

Benoit de Laurens, maire (Sans étiquette) de Chapet

Trop peu de temps pour agir, un problème important d'après ce maire. "Une communauté sédentarisée de gens du voyage de 150 à 200 familles est à 300 mètres en face du terrain. C’est une zone de non-droit où les gendarmes ne vont pas à moins d’être très nombreux, et où moi-même je ne vais pas. J’ai alerté le préfet, puisqu’il y a des risques sécuritaires importants à implanter ce village en face de cette communauté de la plaine de Vernouillet", se justifie-t-il. Avant d’ajouter : "Je ne veux pas être complice de cette indignité de 'parquer' ces jeunes. Comment les intégrer, si on les 'parque' aussi nombreux dans un endroit au milieu de nulle part ? Nous n’avons des transports en commun que le matin et le soir."

Le maire sans étiquette de la commune demande l’arrêt de ce projet, sous sa forme actuelle : "Je me sens concerné par l’accueil des mineurs isolés, notre pays doit être capable d’accueillir dignement ces personnes. Je suis à disposition pour mener la réflexion sur cette question, mais je refuse qu’on me balance la culpabilité, c’est trop facile." Pour l’heure, il dit n'avoir aucune nouvelle du préfet et du département, après leur avoir adressé des courriers à ce sujet.

De son côté, le département se défend de toute solution prise sur le tard. "Il y a aujourd'hui 7 000 mineurs au total dans les Yvelines, dont 1 000 non accompagnés. Nous n'avons pourtant que 400 places, alors qu'il arrive 10 mineurs non accompagnés par semaine. Il n'y a déjà pas assez de place pour les mineurs dépendant de l'Aide sociale à l'enfance, et nous sommes interdits de placer les MNA dans les hôtels. Jusqu'à présent, on s'appuyait sur un tissu associatif de partenaires, donc sur les foyers de jeunes travailleurs et les hôtels", indique ce département.

Ce terrain propriété du département des Yvelines doit accueillir 26 constructions de 36m², pour accueillir des mineurs non-accompagnés. © Mairie de Chapet / Document remis

"Le département est déjà en grande difficulté financière. Nous avons été mis en demeure par la loi de mettre à l'abri les MNA, dans le dur. Ce qui fait que nous avons recensé les terrains appartenant au département des Yvelines. Le temps de construire en dur, on ne pourra pas faire face à cette quantité. L'option d'une structure modulable est donc la seule solution réalisable et réaliste. 26 constructions de 36m² , ce qui permet l'accueil de quatre mineurs non accompagnés chacune d'entre elles", complète cette même collectivité.

Pour un accueil qui soit concerté et non-précipité

40 kilomètres plus loin, au nord-ouest de Paris, même problématique : nous sommes au Baillet-en-France (Val-d’Oise). Ici, le département dit avoir pris toutes les dispositions nécessaires à l’accueil de mineurs isolés, dans un hôtel situé dans la commune. "L’accompagnement des jeunes est assuré par un directeur, cinq éducateurs et deux surveillants de nuit. Le Département est prêt également à renforcer l’accompagnement éducatif des jeunes", d'après ce conseil départemental.

100 mineurs non-accompagnés doivent aussi être accueillis dans cet hôtel du Val-d'Oise, dans la commune du Baillet-en-France. © France 2 / France Télévisions

Pourtant, le projet d’accueil de ces mineurs semble précipité d’après certains témoignages d’habitants. "Je connais l’hôtel et il n’est pas du tout adapté pour des enfants : je ne suis pas du tout pour ce projet, et il est inadmissible de le faire sur une commune aussi petite", relate une femme interrogée. Un avis mitigé que partage aussi un commerçant : "Les mineurs ne sont pas forcément un problème. Une centaine de mineurs non accompagnés pour lesquels on parle de trois ou quatre accompagnateurs seulement : forcément, ce ne sera pas suffisant donc on s’inquiète des dérives qu’il peut y avoir à côté."

Du point de vue municipal, hors de question aussi d’accepter un projet précipité. "Les conditions dignes ne sont pas réunies, et en plus 100 mineurs à Baillet représentent 5% de la population de la commune. Ce qui est énorme et ce qui représente un changement, puisqu’on est dans le cadre d’une zone commerciale et artisanale. On est un petit village, et il est strictement impossible ces mineurs décemment", affirme avec vigueur Jérôme Ruget, l’un des conseillers municipaux de la commune.  

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La prise en charge de ces mineurs "non accompagnés" (MNA) est une "obligation légale", comme le rappelle l'association Médecins du Monde. "La réaction des villes est de protester contre la qualité de la prise en charge, alors qu'en réalité c'est une protestation contre l'arrivée de ces mineurs. C'est a priori la question de l'extranéité qui joue : ce sont des mineurs étrangers. La réaction aurait sans doute été différente, si l'on avait indiqué la mise en place d'un dispositif pour des mineurs en danger. Justement, c'est le cas ici puisqu'ils sont mineurs et isolés sur le territoire", justifie Camille Boittiaux, référente technique et plaidoyer de cette association.

Interrogée quant à l'hébergement dans un hôtel au Baillet-en-France de ces MNA, la représentante associative émet une hypothèse : "Il peut s'agir d'une solution de rapidité, mais normalement ce type de prise en charge n'est pas autorisé, qu'il s'agisse d'étrangers ou non. Une dérogation pour l'hébergement en hôtel est toutefois possible, pour une durée maximum de deux mois, en cas d'urgence. C'est peut-être le cas ici, dans cet exemple."

13 554 mineurs isolés, que l'on appelle désormais "non accompagnés" selon les services du ministère de la Justice ont été recensés, d’après les derniers chiffres de la mission nationale en charge de ce dossier.

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