Filmé au long cours, ce documentaire retrace le parcours tumultueux de " La Compagnie des contraires", implantée à Chanteloup-les-Vignes dans les Yvelines. Malgré les menaces, un incendie ravageur et une hostilité, Neusa Thomasi, sa fondatrice, continue d’œuvrer à son échelle pour apporter théâtre, cirque, éducation populaire et tissage de lien social.
Des visages d’enfants grimés en Indien avancent au son des tambours. Ils passent sous les visages immortels des poètes Arthur Rimbaud et Charles Baudelaire, peints sur les façades des immeubles. Au cœur de Chanteloup-les-Vignes, dans la Cité de la Noé des Yvelines, s’érige un chapiteau rouge et or, flamboyant, porté par La Compagnie des Contraires. Une troupe déterminée à insuffler poésie et divertissement dans un territoire marqué par les tensions sociales.
Une fois sous le chapiteau, l’hostilité extérieure laisse place à un univers onirique, où les acrobates virevoltent au-dessus des spectateurs et des bateaux de papier valsent sur des vagues de toiles transparentes. On ne sait si le véritable personnage central de ce film est le chapiteau lui-même ou Neusa Thomasi, la fondatrice de cette compagnie, qui porte ce projet depuis vingt-cinq ans : " On était sous la protection de la police civile, la police montée, plus les CRS pour que la Compagnie puisse jouer au milieu de la place. À cette époque-là, j'étais vraiment en danger de mort. Certains nous ont menacés, on était soupçonné d'être les yeux de la police. On nous a crevé les pneus."
L'art de la résilience
Brésilienne d’origine, Neusa Thomasi arrive en France pour une tournée artistique. Au moment de repartir chez elle, elle refuse de monter dans l'avion et choisit de rester au mépris des formalités administratives : " Je suis venue ici proposer un spectacle qui s'appelait Dis moi des mots d'amour, sur la protection de l'enfance". Et j'étais logée au milieu de la place. C'était craignos. À la base je suis une immigrée sans papiers", dit-elle. Une autre membre de la Compagnie ajoute : " Depuis le film La Haine, le quartier a changé, les jeunes ont compris qu'ils n'étaient plus à Chicago." Pour comprendre cette référence à la ville américaine, la séquence se poursuit sur des archives d'émeutes, dans les années 1990. L'extrait du reportage raconte comment, en pleine guerre des bandes, Chanteloup-les-Vignes a été surnommée Chicago en Yvelines : " C'est en bas de ces tours, en 1994, que Matthieu Kassowitz tourne son célèbre film "La Haine". Un film, qui selon le commentaire, n'a pas fait que du bien à la commune.
Le documentaire met en lumière l'escalade de violences dirigées contre la Compagnie des Contraires et sa fondatrice Neusa Thomasi. Face caméra, elle raconte comment, submergée par la colère, elle finit par demander la protection symbolique des Indiens pour l'aider à affronter les menaces croissantes qui pèsent sur elle : " Un jour, j’ai mis la cocarde indienne, car j’étais vraiment en rage." Puis d’ajouter : " J’ai toujours quelque chose d’indien autour de moi ". Des mots qui révèlent la réalité d'une femme face à l’insécurité et aux intimidations. Marquée dès l'enfance par des violences et le rejet familial, Neusa a une vision claire de ce qu'elle souhaite : faire de ce son chapiteau un lieu de culture, d’échange et de liberté. Notamment pour les filles souvent éloignées des activités publiques. En 2018, son rêve prend une nouvelle dimension : le chapiteau s'agrandit pour devenir un véritable centre des arts de la scène et du cirque.
Un élan brutalement interrompu par un incendie durant les émeutes de 2019. La destruction, diffusée sur les chaînes d’information en continu, ne marque pas pour autant la fin de l’histoire. La compagnie, fidèle à son esprit combatif, envisage déjà un nouveau départ. Le chapiteau rouge et or refait son apparition. Pourquoi a-t-il été ciblé ? La question posée par Neusa Thomasi reste sans réponse claire, alors elle s’interroge : "C’est un lieu culturel, laïc. Les femmes font du cirque, le grand écart, des artistes viennent du monde entier, les femmes sont libres avec leurs décolletés, leurs justaucorps. Je ne sais pas jusqu'où ça interpelle de façon négative certaines personnes." Au-delà des cendres, le documentaire célèbre ce que le chapiteau représente : la possibilité de transformer des imaginaires et la capacité de la culture à transcender les obstacles.
Le repaire des contraires est à voir sur france.tv/idf