Au-delà de sa dimension "sacrificielle et protestataire", l'immolation par le feu mercredi à Nantes d'un demandeur d'emploi en fin de droits pointe la nécessité d'un accompagnement médico-psychologique des chômeurs
Les chômeurs sont "abandonnés par le système de santé", estime le psychiatre et spécialiste du suicide Michel Debout. Il a répondu aux question de nos confrères de l'Agence France Presse.
Q: Qu'a voulu signifier cet homme en se suicidant ainsi devant son agence Pôle emploi?
R: Les auto-immolations sont très exceptionnelles. La violence de celle-ci, réalisée en public, revêt une double dimension sacrificielle et protestataire. L'important pour la personne est que son geste frappe les témoins et l'opinion en général.
Elle décide de payer de sa vie pour que les choses changent, pour faire bouger les lignes. Il avait un problème d'indemnités et devait le vivre comme une injustice. Ce chômeur a cherché à être le plus spectaculaire possible et a prévenu la presse, Pôle emploi.
Souvent, les suicides sont au contraire faits dans l'isolement. Les auto-immolations menées à l'abri des regards existent aussi. Elles révèlent alors la recherche d'une purification.
Q: L'augmentation du chômage provoque-t-elle une hausse des suicides?
R: Les études montrent qu'on se suicide davantage quand on est chômeur et, en période de crise, encore plus. J'ai calculé que de début 2009 à fin 2011, la crise avait pu entraîner un surcroît de 750 morts par suicides et plus de 10.000 tentatives.
Il y a sans doute un effet cumulatif. Plus le chômage augmente, plus l'on pense que ça va être difficile de s'en sortir. Les chômeurs se replient sur leur solitude, l'étau se referme. Ils cumulent aussi souvent un surendettement très lourd à vivre, la honte de n'avoir pas suffisamment d'argent pour soi et pour les siens. Le sentiment général de désespérance en France n'a jamais été aussi élevé.
Q: Que peuvent les pouvoirs publics, Pôle emploi?
R: Les salariés ont la médecine du travail, les chômeurs, eux, sont abandonnés par le système de santé. Il n'y a pas de prévention en amont. Je prône depuis vingt ans une prolongation pendant deux ans de la médecine du travail. Le licenciement
peut être vécu comme un psycho traumatisme. Dans les deux mois suivant leur perte d'emploi, il faudrait que les chômeurs voient un service de soutien médico-psychologique.
Il faut agir avant que l'étau de l'isolement ne se referme. Beaucoup n'arrivent pas à dire qu'ils sont souffrants, ont honte à se sentir mal.
Pôle emploi n'a pas vocation à être une structure de soins et il ne s'agit pas non plus de les transformer en psychologues. Les conseillers doivent savoir alerter les réseaux. Pour prévenir, il faut aussi déjà pouvoir suivre les évolutions. Nous avons attendu trop longtemps la création d'un observatoire national du suicide (annoncée mardi par la ministre de la Santé Marisol Touraine, ndlr). C'est un premier pas.
Ex-président de l'Union nationale pour la prévention du suicide, Michel Debout préside désormais l'association Bien-être et société.
Invitée du journal régional de France 3 Pays-de-la-Loire, Rachel Bocher est médecin psychiatre, chef du service psychiatrique du CHU de Nantes
Malaise chez les salariés de Pôle Emploi, de la souffrance de chaque côté du guichet