Ouf pour l'année blanche de l'intermittence même si ce n'est pas la panacée. Rouvrir les lieux de création bien sûr mais pour qui, et quand ? Le moins que l'on puisse dire c'est que les annonces présidentielles ne dissipent pas les doutes et les questions chez les professionnels du monde culturel.
Marie Gaultier est comédienne et metteur en scène dans la Compagnie "Piment Langue d'Oiseau", installée aux Ponts-de Cé dans le Maine-et-Loire.
Elle n'est pas rassurée par les annonces d 'Emmanuel Macron ce mercredi 6 mai.
"Je suis contente qu'il ait entendu les revendications de toute la profession et qu'il ait pu s'entretenir avec des artistes. Les effets d'annonce sont positifs mais après il faut voir le champ réel d'application de ces mesures" détaille la comédienne.
"Par exemple, l'année blanche que toute le monde réclamait c'est bien. (NDLR: la prolongation des droits des intermittents jusqu'à fin août 2021 pour permettre aux artistes et techniciens de toucher des allocations chômage). Mais quand on rentre dans le détail ça donne "que les droits des artistes et des techniciens soient prolongés d'une année au delà des six mois ou leur activité aura été impossible ou très dégradée". Quand on travaille pour préparer la saison à venir est ce que cette période où les gens auront quand même eu des salaires ca sera gelé ou pas ? On ne sait pas. Il faut attendre de savoir comment ça sera appliqué pour être certains".
La Compagnie Piment Langue d'Oiseau a vu 30 de ses représentations annulées entre mi-avril et jusqu'à la mi-juillet et 70 interventions en milieu scolaire. Beaucoup de ces dates ont été, depuis, reportées. "Ça a été super de la part des salles de spectacles de reprogrammer les dates annulées" ajoute Marie Gaultier.
"Ma plus grande inquiétude c'est de savoir si les salles de théâtre vont être ouvertes en septembre. Parce que, si tout rouvre en septembre, la situation est problématique mais gérable. Si les salles ne roouvrent qu'en janvier, comme on l'entend de plus en plus, çà va être un casse-tête gigantesque".
Comment accueillir des scolaires ?
Benoit Benazet est le directeur et programmateur du Fuzz'Yon, la salle de musiques actuelles située à La Roche sur Yon en Vendée. La salle programme ses concerts entre septembre et juin. Elle est actuellement fermée et ne roouvrira pas avant la rentrée, en septembre. En théorie. Nouvelles annonces présidentielles ou pas. Benoit Benazet ne s'attendait pas forcément à plus d'annonces de la part du président aujourd'hui "car la situation sanitaire est ce qu'elle est".Sur le souhait d'ouvrir les lieux de création pour de la médiation culturelle Benoit Benazet est partant mais là aussi comment faire ?
"On peut imaginer plein d'actions en direction des scolaires mais ils faut en face de nous des partenaires qui soient en capacité de nous accueillir. Exemple : est-ce qu'à partir de septembre on va pouvoir faire des actions avec les scolaires alors qu'ils ont déjà un retard pédagogique très conséquent ? Ne vont-ils pas se consacrer plutôt à acquérir leurs fondamentaux plutôt que d'aller assister à des représentations en petit nombre ?"
Particularité du Fuzz'Yon, sa programmation est composée à 40% de groupes étrangers. Et donc tributaire aussi des réouvertures de salles dans les autres pays. Car il est impossible financièrement de faire venir (ou revenir en l'occurrence) un artiste étranger pour une seule date. Les programmateurs sont tributaires des tournées, organisées sur plusieurs pays.
"On a commencé à reporter certaines dates à 2021. Maintenant on se rend compte qu'il y a différents pays où les hypothèses de réouvertures partent dans tous les sens. Très récemment, les anglais parlaient de recommencer les concerts à l'automne. Chacun improvise de son côté, en fait. Donc,à ce jour, je ne cale plus aucune date pour 2021 et je ne travaille sur aucune hypothèse de concerts pour l'an prochain"
Autre particularité du Fuzz'Yon, ses dimensions modestes. A peine 15 mètres entre le fond de la salle et la scéne. Et ses 300 spectateurs max. Un avantage en temps normal. Un handicap clair pour une réouverture avec les mesures de distanciation sociale.
"On travaille sur l'émotion et l'interaction ce qui est souvent incompatible avec la distanciation sociale" dixit Benoit Benazet.
"Si on suit leurs préconisations c'est 1 personne pour 4 mètres carrés. Soit pour le Fuzz'Yon une trentaine de personnes autorisées maximum. Artistes, techniciens et personnel compris. Ce qui revient à proposer dix entrées payantes par concert pas plus. Ca n'a aucun sens !" - Benoit Benazet, directeur du Fuzz'Yon
Et la convivialité dans tout ça ?
Le Nantais Frédéric Mazet alias Freddy Maboul est comédien au sein de la compagnie des arts de la rue Maboul Distorsion."Je suis pour ma part rassuré par l'annonce de l'année blanche même si la siuation reste très difficile. Cet été, on a pas loin de quarante dates qui ont sauté pour nos spectacles. Avec des reports pour l'année prochaine et des annulations pures et simples".
Dans certains cas, plusieurs festivals ont joué le jeu et payé les cachets correspondants malgré l'annulation des dates et d'autre pas car ils n'ont tout simplement pas les moyens de le faire.
Et comment envisage-t-il la reprise des spectacles une fois le déconfinement acté ? C'est un territoire inconnu et même paradoxal pour le comédien habitué au contact, aux sourires, au lâcher-prise.
Le collectif nantais possède son propre espace de création et fait partie des compagnies historiques des arts du cirque ans la région.J'ai vachement de mal à imaginer un public masqué, chaque spectateur sur un mètre carré. C'est tout le contraire de notre métier ! On demande tout le temps aux gens de se rapprocher, là on va leur demander de s'éloigner. J'ai des gros doutes sur la convivialité de l'affaire - Freddy Mazzet, comédien de la Cie Maboul Distorsion
Maboul Distorsion participe régulièrement aux grands rendez vous, du genr "Châlon dans la Rue", qui servent souvent de marché aux programmateurs pour la saison suivante. Mais cette année, ces festivals, comme par exemple Le Mans Fait son Cirque, ont tous déjà annoncé leur annulation ou s'apprêtent à le faire.
Donc les Maboul ont en quelque sorte dans l'idée de faire leur propre "Châlon dans la Rue" sur leur terrain de répétition le "378" comme ils l'appelent. Car il est situé au 378 route de Sainte Luce à Nantes. Ils réfléchissent à y replanter un chapiteau et y donner des représentations au cours de l'été.
Toujours se réinventer, histoire de prouver que, comme leur nom l'indique, les arts vivants restent vivants. Souples et inventifs face aux vents contraires.