Après 50 années au pouvoir, le régime Assad est tombé le 8 décembre 2024. Réfugiés à Nantes, Hassan, Sandy, Mohamed, Ammar et Adri témoignent de ce jour historique. Ils prennent la parole après des années marquées par l’impossibilité de s’exprimer librement sur le plan politique.
Dans sa cuisine, Hassan Alzaraneh prépare des manaïches de Damas, des galettes traditionnelles libanaises très consommées en Syrie, faites à base de thym, de tomates et d’huile d’olive. L’odeur du zaatar, un mélange de thym et d'épices, embaume ce petit restaurant nantais, nommé “Le Voyage de Damas”, illuminé par le sourire du chef Hassan.
Ce sourire, Hassan l’a toujours eu, mais depuis quelques jours, il rayonne d’espoir. Lui et sa famille ont quitté la Syrie pour rejoindre la France il y a maintenant 10 ans. Dans la nuit de samedi à dimanche, Hassan et sa femme Rana ont suivi de près l’actualité. Le 8 décembre, jour de la chute du régime de Bachar al-Assad, restera à jamais un jour de soulagement. “Aujourd'hui, c'est parti… C'est parti le dictateur…, c'est parti la mafia... Je ne sais pas si c'est vrai ou pas vrai. Je pense rêver”, se réjouit Hassan.
Leur fille Sandy, étudiante en deuxième année de droit à Nantes, se souvient de cette matinée : “Je me rappelle m'être réveillée, c'est limite la première chose que j'ai entendue en descendant dans le salon. C'était effectivement très marquant comme moment pour nous. Évidemment, on est très très heureux”. Elle ajoute : “C’est peut-être un peu naïf de notre part d'espérer une véritable liberté derrière ces événements, surtout que c'est très incertain. Mais pour l'instant, on se contente au moins de la chute du dictateur”.
Un soulagement mêlé de terreur
Mohamed Almahmoud est né en Syrie. Lui est arrivé en France dans le cadre de ses études avant que la guerre n’éclate dans son pays. Porte-parole de l’association l’Hirondelle Syrienne, créée en 2016 par sa femme, il confie que le sentiment qui prédomine pour le moment, lorsqu’il échange avec des Syriens nantais, c’est la joie : "ils sont contents de voir de leurs propres yeux la chute de Bachar al-Assad. Ils ont du mal à y croire, car la famille Assad avait tout le pouvoir, elle gérait tout. Mais ils se posent toujours la même question : la Syrie reviendra-t-elle au calme, à la sécurité. Est-ce qu'un jour elle redeviendra un beau pays comme avant ?".
Une interrogation partagée par Adir, venue chercher son fils au cours d’arabe organisé par l’association. Si elle est également soulagée, la découverte des récits de tortures perpétrées dans les prisons du régime la hante. Les larmes aux yeux, elle raconte : “Avec les articles que nous avons lus, les photos et les vidéos que nous avons vues des prisons comme celle de Saidnaya, c’est très dur. Les tortures faites aux gens, je ne comprends pas. Les témoignages des survivants, j’en suis tombé malade comme celle de cette femme de 19 ans, ressortie de prison à 32 ans avec trois enfants… Je suis traumatisée. Nous prions pour que la situation soit mieux”.
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Une instabilité politique qui inquiète
Derrière le comptoir de leur restaurant, la famille Alzaraneh, heureuse de cet évènement, reste tout de même méfiante quant à l’actuelle instabilité politique du pays. De confession chrétienne, la famille redoute l’arrivée d'un régime islamiste par les rebelles et leur leader, Abou Mohammed Al-Joulani. Sandy affirme : “L'islamisme, c'est clairement une menace à ne pas négliger. Ce n'est pas une question de religion mais de volonté politique. C’est vouloir faire disparaître les libertés, même pour les musulmans. Pas que pour les minorités.”
Même crainte pour Hassan qui redoute l'instauration de la charia : “Je ne peux pas vivre ma vie, ma culture, mes croyances dans un pays où il y a la charia. Cela imposerait des lois contraires à mon mode de vie”.
On reste quand même confiants dans la volonté du peuple syrien d'avoir une liberté entière.
Sandy AlzaranehÉtudiante franco-syrienne en deuxième année de droit
Avec espoir, Sandy ajoute : "Que ce soit pour les femmes, pour les chrétiens, pour les juifs, pour tout le monde, j'espère que cette population puisse vivre en paix, comme elle l'a toujours souhaité.”
De retour dans les locaux de l'association, on croise Ammar. Il a quitté la Syrie après la destruction de sa maison et de sa pharmacie. D’abord réfugié en Turquie, il a dû rejoindre la France pour des problèmes de santé. Dans son pays natal, il dit avoir travaillé avec des musulmans, des chrétiens, des Arméniens... Sunnite, il se souvient : “On était tous ensemble. Il n’y a pas de différence entre nous. À mon avis, le problème de discrimination, c’était Bachar al-Assad. Avec son départ, la situation va se calmer, parce que c’était lui la cause de tout ça”.
Le rêve d’un retour en Syrie encore impossible
Faire venir sa famille à ses côtés en France, c’est le projet d’Ammar. Cependant, avec la chute du régime, des pays de l'UE ont pris des décisions qui l’inquiètent, même si ce n'est pas le cas de la France : “Malheureusement, avec le départ de Bachar al-Assad, des pays européens ont suspendu toutes les demandes d’asile, de réunification et de rattachement familial. Je m’inquiète un peu par rapport à cette situation qui me touche directement”.
Mais plus que ce projet en France, le rêve d'Ammar, c'est de retourner en Syrie. Un voeu qui releve pour l'instant de l'impossible, comme le détaille Mohammed, de l'association "L'hirondelle syrienne".
Les gens ne vont pas décider en un claquement de doigts de revenir en Syrie
Mohamed AlmahmoudPorte parole de l'association L'hirondelle syrienne
“La situation y est très compliquée actuellement. Surtout après la guerre, puisque Bachar al-Assad a détruit la Syrie. Il n'y a plus d'infrastructure, il n'y a plus rien. Il faut que la situation se calme, rétablir la sécurité, le calme et l'espoir d'une Syrie libre”.
Un rassemblement de la communauté syrienne de Loire-Atlantique se tiendra le dimanche 15 décembre à partir de 14h, près du Miroir d’Eau à Nantes.