En cette journée d'hommage national à Samuel Paty, assassiné le vendredi 16 octobre près du lycée où il exerçait à Conflans-Saint-Honorine, des professeurs nantais se confient, disent leur sidération et leur colère.
Elle est professeure de lettres au lycée Albert Camus, à Nantes. Le premier sentiment qui lui vient à l'esprit lorsqu'elle pense à l'assassinat de son collègue de la région parisienne, c'est l'effroi.
L'assassinat ayant eu lieu juste avant les vacances de la Toussaint, elle n'a pas eu trop l'occasion d'en parler vraiment avec les autres enseignants de son établissement.
Bien sûr, ils se sont retrouvés à la manifestation de dimanche.
"Ce qui ressort dit-elle, c'est l'effroi et l'abattement. On ne voit pas trop comment les choses vont évoluer. On n'a pas assez de clés, d'outils, pour travailler ça avec les élèves."
"Je ne suis pas sûre de pouvoir tolérer ça"
Cette enseignante s'est souvenue, comme les autres, du lendemain de l'attentat de Charlie Hebdo, en janvier 2015. Elle a ressorti le cours qu'elle a fait ce jour-là. Pas envie. Elle n'avait pas envie de refaire ce cours."J'ai pensé à la réaction de certains élèves ce jour-là. Ils n'étaient pas nombreux, deux ou trois. Ils ont dit : ils l'avaient cherché ! J'avais réussi à rester calme. Je n'ai pas envie de réentendre ces mots. Je ne suis pas sûre de pouvoir tolérer ça."
Pourtant, elle envisage bien de faire quelque-chose. Peut-être passer un extrait du film documentaire de Daniel Leconte "C'est dur d'être aimé par des cons".
Au Rectorat de Nantes, on attend encore les consignes du Ministère pour savoir comment accompagner les enseignants dans cette rentrée bouleversée par cet attentat.
Cet autre enseignant est lui, professeur d'Histoire-géo au Lycée Livet à Nantes. Il est d'autant plus bouleversé par cet attentat qu'il a le sentiment d'être bien seul face à cette situation. "Il y a cinq ans, dit-il, on a demandé aux professeurs d'Histoire-géo d'assurer l'EMC, l'enseignement moral et civique. Ces heures d'enseignement (qui ne portaient pas le même nom auparavant mais qui existaient) n'ont fait que diminuer depuis 10 ans. Il y a une contradiction entre l'hommage d'aujourd'hui et la réalité. On ne veut pas devenir des héros. Samuel aurait préféré vivre et enseigner la citoyenneté."
Ce professeur nantais voudrait que tous les enseignants et les parents se saisissent de cette mission d'enseigner la citoyenneté et pas seulement les prof d'Histoire-géo.
"Tout et n'importe quoi se propage"
"Il y a eu des concessions depuis cinq ans face à cette montée de l'islamofachisme, dit-il et face au réseaux sociaux ou plutôt asociaux, préfère-t-il rectifier. Tout et n'importe quoi se propage et l'arsenal judiciaire n'a pas suivi."A la rentrée de novembre, il évoquera ce drame horrible et révoltant avec ses élèves mais comment ? Il ne sait pas encore. "On va attendre les directives du Ministère qui doit envoyer un kit". Une méthodologie, des outils. Ce professeur aimerait que le ministère demande officiellement aux enseignants en charge de ces interventions de diffuser les caricatures de Charlie Hebdo. Que cela ne vienne pas de l'initiative des profs.
"Les caricatures sont des documents comme les autres dit-il. En France, ça date du XVIIème siècle !"
Et puis, il y a autre chose que ce professeur rappellera lors de ces séances : "Tous les musulmans ne sont pas des terroristes. cette séance-là, se rappelle-t-il, on l'avait déjà faite en 2001. Ça fait 20 ans ! Il faudra aussi que la parole des élèves se libère."
"Ils ne font rien d'autre que des hommages"
Le témoignage enfin de cet autre professeur d'un lycée de centre-ville à Nantes. Pour lui, cela va faire comme pour les soignants dans la crise du covid :"Ils ont été applaudis et derrière, ils ont eu des cacahuètes ! Nous , on aura la Sorbonne, la Marseillaise, une minute de silence... et rien! Ceux qui détruisent l'école depuis 30 ans la mettent maintenant sur un piédestal. Ils ne font rien d'autres que des hommages."
"La laïcité dans la République française, c'est le droit d'avoir une opinion"
Cet enseignant est en colère parce qu'il voit aussi la récupération politique de ces événements et il s'interroge : "Comment un type qui est arrivé à 5 ans en France peut devenir un assassin fanatisé ? Qu'est-ce que nous, en France, on a raté ?"
Que faire le 2 novembre, beaucoup se posent cette question. Tout en attendant de l'aide de leur ministère, les enseignants voudraient pouvoir aussi en parler entre eux, échanger, avant construire ces séances qui mettront la laïcité au centre des discussions.
Le droit d'avoir une opinion en respectant celle des autres. Le droit de croire et de ne pas croire.