Trafic ferroviaire interrompu, routes inondées, évacuations massives… Les Pays de la Loire viennent de subir des crues exceptionnelles. Face à l’intensification de ces phénomènes, comment mieux anticiper les inondations de demain ? Quels enseignements tirer pour éviter des drames humains et économiques ?
Depuis plusieurs jours, les images impressionnantes des crues en Loire-Atlantique et dans ses départements voisins font le tour des médias. Les habitants de Redon, Saint-Nicolas-de-Redon et de nombreuses autres communes ont vu l’eau envahir leurs rues et parfois même leurs maisons. La Loire-Atlantique a été placée en vigilance rouge, tandis que le Maine-et-Loire, la Sarthe et la Mayenne étaient en alerte orange.
Les rues se sont bien engorgées d’eau et un policier nous a dit d’évacuer immédiatement, car l’électricité allait être coupée.
AnneHabitante évacuée de Saint-Nicolas-de-Redon
La montée rapide des eaux a pris de court de nombreux habitants. Entre Redon et Saint-Nicolas-de-Redon, ce sont près de 2000 personnes qui ont été évacuées. Dans certaines zones, la crue a été d’une violence inattendue, inondant routes, commerces et habitations en quelques heures. Les autorités, pompiers et bénévoles se sont mobilisés pour venir en aide aux sinistrés, mais la situation rappelle cruellement que nos territoires restent vulnérables face à ces catastrophes naturelles.
Un phénomène climatique amplifié par l’urbanisation
Si les crues ne sont pas un nouveau phénomène, leur intensité et leur fréquence semblent s’accélérer. Les experts s’accordent à dire que le changement climatique joue un rôle majeur dans ces épisodes de montée des eaux.
On assiste à une alternance de périodes très sèches et de pluies abondantes. Quand il pleut, il pleut plus fort, ce qui favorise le ruissellement et les crues rapides.
Virginie Raisson-VictorPrésidente du GIEC Pays de la Loire
L’artificialisation des sols aggrave encore la situation. Les terres imperméabilisées par le béton et l’asphalte ne peuvent plus absorber l’eau correctement. Résultat : au lieu de s’infiltrer progressivement dans les nappes phréatiques, les précipitations s’accumulent et débordent brutalement. La suppression progressive des haies et zones humides réduit également la capacité naturelle des paysages à absorber et à ralentir les flux d’eau.
Redon, une configuration géographique particulière
À Redon, la conjugaison de fortes précipitations et de coefficients de marée élevés a empêché l’eau de s’évacuer, aggravant la montée des eaux.
Le bassin versant de Redon est particulier : situé au niveau de la mer, il est très sensible aux effets de marée qui ralentissent l’évacuation des crues.
Stéphane MarletteChef de la division hydrométrie et prévision des crues à la DREAL Pays de la Loire
Ces crues soulignent la nécessité d’adapter nos infrastructures pour mieux gérer ces phénomènes extrêmes. Les bassins de rétention, digues et systèmes de drainage doivent être renforcés, modernisés et adaptés à l’intensité croissante des précipitations. Sans ces ajustements, les inondations risquent de devenir plus fréquentes et plus destructrices.
Des alertes encore trop peu suivies
Malgré la mise en place de systèmes de vigilance avancés comme Vigicrues, les citoyens sont encore trop nombreux à sous-estimer le danger. Beaucoup ne réagissent pas immédiatement aux alertes, pensant que la situation ne dégénérera pas.
Beaucoup de personnes ignorent qu’elles habitent en zone inondable, et certains refusent d’évacuer même en alerte rouge.
Jean-Paul PavillonMaire des Ponts-de-Cé et vice-président cycle de l'eau Angers Loire Métropole
L’information existe, mais elle est encore mal comprise. Il est crucial de sensibiliser davantage la population aux risques d’inondation et aux gestes à adopter en cas de crise.
Comment mieux se préparer aux crues de demain ?
L’éducation au risque est la clé pour limiter les dégâts humains et matériels. Des campagnes d’information doivent être déployées à grande échelle pour rappeler les bons réflexes en cas d’alerte : évacuation, sécurisation des biens, installation de protections adaptées. Des exercices d’évacuation réguliers permettraient aux habitants de mieux comprendre les procédures en cas de crue soudaine.
Les collectivités doivent également investir dans des cartographies interactives permettant aux citoyens de visualiser leur niveau de risque inondable en quelques clics.
Faut-il repenser l’aménagement des villes ?
Les élus et experts appellent à un changement de paradigme. Plutôt que de lutter contre l’eau, il faut l’accompagner, en réhabilitant les zones humides et en ralentissant son écoulement.
Pendant des années, on a voulu canaliser et évacuer l’eau le plus vite possible. Aujourd’hui, on réalise qu’il faut faire l’inverse : désimperméabiliser les sols, restaurer les méandres naturels et préserver les bassins de rétention.
Jean-Paul PavillonMaire des Ponts-de-Cé et vice-président cycle de l'eau Angers Loire Métropole
Certaines communes envisagent même des mesures radicales, comme le rachat de maisons situées en zones trop exposées pour les détruire et rendre l’espace aux crues.
Un coût humain et économique colossal
Au-delà des dégâts matériels, les crues posent la question de l’assurance. De plus en plus de collectivités et de particuliers peinent à se faire couvrir face à des risques jugés trop élevés.
Les assurances deviennent de plus en plus inaccessibles. Certaines communes voient leurs primes tripler, voire quadrupler.
Isabelle BarathonMaire de Guéméné-Penfao
Si l’état de catastrophe naturelle est souvent reconnu, il ne compense pas la hausse constante des coûts de reconstruction.
Comment mieux se préparer aux crues de demain ?
Face à l’intensification des crues, il est impératif de moderniser les dispositifs de protection existants. La construction et la rénovation de digues adaptées aux nouvelles conditions climatiques doivent être accélérées.
Par ailleurs, les bassins de rétention doivent être multipliés pour capter les surplus d’eau et éviter l’engorgement des rivières. Les réseaux d’évacuation des eaux pluviales doivent être repensés pour supporter des précipitations plus intenses.
L’urbanisation doit évoluer pour s’adapter aux réalités climatiques actuelles. Il est crucial de cesser de construire dans des zones inondables et de privilégier des constructions adaptées aux risques hydrologiques.
Des solutions existent : habitations sur pilotis, routes surélevées, toits végétalisés et surfaces perméables permettant à l’eau de s’infiltrer plutôt que de ruisseler. La restauration des zones humides et la préservation des haies naturelles doivent également devenir des priorités.
Les crues centennales ne se produisent pas tous les 100 ans… Elles peuvent arriver demain. Il est temps d’agir avant qu’il ne soit trop tard.
Stéphane MarletteChef division hydrométrie et prévision des crues à la DREAL Pays de la Loire
Encourager une meilleure anticipation des risques
L’anticipation est essentielle pour limiter les dégâts des futures crues. Chaque municipalité doit intégrer des plans de gestion du risque inondation dans son urbanisme. L’information des nouveaux habitants sur le caractère inondable de leur zone d’habitation doit être renforcée.
Les collectivités doivent par ailleurs travailler main dans la main avec les services de prévision hydrologique pour mettre en place des alertes plus réactives et adaptées. Enfin, des protocoles d’intervention clairs doivent être établis pour garantir une réponse rapide et efficace dès les premières heures d’une montée des eaux.
Face à ce défi, seule une véritable prise de conscience collective permettra d’éviter des drames futurs. L’adaptation au changement climatique ne peut plus attendre : c’est dès aujourd’hui que nous devons bâtir des villes et des infrastructures capables de résister aux inondations de demain.
Alors que l’eau commence à se retirer, l’heure est aux constats… et aux décisions. L’histoire récente l’a prouvé : la question n’est pas de savoir si de nouvelles crues se produiront, mais quand. Reste à savoir si nous serons enfin prêts à y faire face.
►Dimanche en Politique "Crues : une menace inévitable ?" à voir ce dimanche 2 février à 11 h 10 et dès maintenant sur la plateforme france.tv