"Je félicite et je gronde quand les choses ne sont pas bien faites", l’ancien directeur d'une radio chrétienne jugé pour agressions sexuelles et harcèlement moral

Ce ne sont plus quatre mais cinq femmes qui ont porté plainte contre Christophe Cousseau alors qu’il était directeur de Radio Fidélité, à Nantes. Toutes l’accusent de les avoir agressées sexuellement, certaines de les avoir manipulées. Après trois heures de débats et de témoignages éprouvants, le jugement a été mis en délibéré.

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C’est un homme qui en impose. Haute stature, épaules larges. Il se tient droit. Voix distincte. Pour autant, il parle peu. Il ne semble pas comprendre ce qu’il fait, ce lundi 27 janvier, dans cette salle d’audience. Il le dit d’ailleurs sans ambages devant le tribunal, "je suis plutôt désagréablement surpris". Il se contente de réponses lapidaires, parfois hautaines. Comme si ce procès n’était pas le sien. Il n’aura pas un regard pour les femmes assises à sa droite, serrées les unes contre les autres sur le banc des parties civiles.

Pourtant, ces quatre femmes, Christophe Cousseau les connaît. Même si pour l’une d’entre elles, il prétend ne pas se rappeler l’avoir rencontrée. En tout, elles sont cinq, mais la plus jeune n'est pas venue à l'audience. Cinq femmes aux profils différents, âgées de 18 à 50 ans au moment des faits, de septembre 2018 à mai 2021.

Elles ont toutes eu affaire à lui, soit en qualité de collègue, soit en cherchant un stage, un poste, une mission bénévole au sein de la radio chrétienne, dans le diocèse de Nantes, qu’il dirigeait alors.

Il supervisait les recrutements, même s’il s’en dédie aujourd’hui, et surtout, il avait entrepris de former les futures animatrices de la radio, en leur imposant systématiquement des "exercices de respiration et de lecture" pour savoir si elles avaient le ton qu’il fallait.

Des exercices pour "déstresser"

Quatre d’entre elles ont raconté aux enquêteurs qu’il leur faisait effectivement faire des exercices de respiration ventrale pour tester leurs capacités à faire de la radio. Et en a profité pour les agresser sexuellement. Ce qu’il conteste.

Et pourtant, alors qu’elles ne se connaissaient pas au moment des faits, elles relatent les mêmes agissements. "Sa main qui passe sous un chemisier", "sur la poitrine", "les fesses", "le pubis", "des exercices de lâcher prise pour se détendre", "déstresser".

Gabrielle, jeune catholique pratiquante, celle que le prévenu dit aujourd’hui ne pas reconnaitre, expliquera à sa mère "qu’il a failli la serrer" lors d’un premier entretien. Il lui a "murmuré à l’oreille, avec un ton chargé d’érotisme" précise Maitre Flora Touron, l’avocate des plaignantes, le texte qu’elle doit dire voix haute pour son test. Il tente aussi de l’embrasser. Elle parvient à le repousser. Elle ne reviendra jamais à la radio.

Les contacts physiques, les gestes déplacés, inopportuns, les agressions sexuelles, ce régime est strictement réservé aux femmes, puisqu’à l’occasion d’un audit mené en au sein de la radio, il apparaîtra qu’un jeune homme, passé par sa "formation" n’aura pas eu à effectuer d'exercice de respiration. En tête-à-tête, avec le directeur, dans son bureau fermé. 

Une de ses anciennes collègues est là aussi. En 2016, Florence était chargée de communication au sein de la radio chrétienne et souhaitait évoluer vers un poste d’animatrice. Selon lui, "ils étaient dans un jeu de, je t’aime moi non plus". Elle parle de "mains baladeuses", il  "touchait la poitrine", lui mettait " des petites tapes sur les fesses" lorsqu’elle se penchait vers l’ordinateur et qu’il souhaitait lui montrer quelque chose sur l’écran.

Par trois fois, il exhibera son sexe devant elle. Les deux premières fois, elle fait semblant de ne rien voir. À la troisième, elle en parle à son médecin qui lui conseille d’en discuter directement avec Christophe Cousseau. Il lui demande pardon, elle le croit sincère, mais aura toujours une appréhension à se retrouver seule avec lui par la suite.

C’est lorsque la plus jeune des femmes déposera une main courante, en 2021, que tout lui est revenu "en boomerang". Florence a été la première à porter plainte en 2021. Christophe Cousseau affirme ne pas se souvenir ni d’avoir eu  "de geste, ni de s’être excusé" 

"Je félicite et je gronde"

Au-delà des gestes à connotation sexuelles, qu’il assure devant le tribunal ne jamais avoir eu, c’est le portrait d’un homme sûr de lui qui se dessine. Droit dans ses bottes. Avec une haute opinion de ce qu'il était à même de transmettre aux jeunes recrues.

Entré à Radio Fidélité en 1998 par le biais d'un emploi jeune, Christophe Cousseau en gravira tous les échelons en interne avant d'en devenir en 2015 le directeur général. Il n'est pas journaliste, mais revendique une formation d'animateur, en 2001, avec des animateurs professionnels.

Même s’il affirme ne "jamais s’être considéré comme le directeur de cette radio", à la tête de laquelle le conseil d’administration de l'association chrétienne l’avait pourtant nommé, il recrute, teste, descend ou porte aux nues les voix féminines de la radio.

Il se décrit comme un "professionnel dur, exigeant", "éloquent" qui semble, à cette époque, faire la pluie et le beau temps sur l’antenne de la radio, même s’il minimise.

 "Je félicite et je gronde quand les choses ne sont pas bien faites, comme je l’ai moi-même appris" dira-t-il. Selon lui, les plaintes des parties civiles sont d’abord motivées par "une grande fatigue", car à l’époque on travaillait dur à la radio. "Elles sont peut-être déstabilisées par rapport à des dépréciations que j’ai pu avoir à leur égard" indique-t-il.

Lorsque deux des plaignantes, en demande de stage, racontent avoir fui la radio suite à ses attouchements, l'une d'entre elles se sentant "manipulée physiquement", et n'être pas revenues au deuxième rendez-vous qu'il avait fixé, c'est parce qu'elles étaient selon lui "vexées par ses paroles", il leur aurait suggéré qu'elles n'avaient pas la voix, qu'elles lisaient trop scolairement, pour passer à la radio.

"Ma seule et unique obsession était que je puisse leur donner une chance, et faire travailler des femmes pour la première fois dans une radio chrétienne. Je ne suis pas là pour rigoler, j’ai une responsabilité confiée par le conseil d’administration de Radio Fidélité".

Une responsabilité qui le pousse à établir une relation de confiance avec ses protégées. À tout connaitre de leur vie intime. Par exemple, Marguerite, embauchée pour animer la tranche matinale. Tout commence dans la plus grande complicité. Il partage avec elle, les "secrets sur le fonctionnement de la radio".

Il la félicite puis la dénigre."Il souffle le chaud et le froid" racontera Marguerite aux enquêteurs, la fait se sentir sous pression. Après certaines prises d’antenne, lui assène des "j’ai honte de t’avoir embauchée" ou "quand je t’entends, j’ai envie de me suicider".

Elle se sent sous emprise. Manipulée. Comme Anne à qui Christophe Cousseau prodigue aussi conseils et exercices, debout dans son dos, collé à elle pour qu’elle sente bien sa respiration à lui. Anne, qu’il met en confiance et à qui il dit "ce qui se passe dans mon bureau doit rester dans mon bureau, les autres ne pourraient pas comprendre".  À qui il confie que "parler derrière un micro est orgasmique, et qu’il lui arrive de bander" à l’antenne.

Anne qui, à ses blagues à connotations sexuelles, avouait répondre sur le même ton, "je ne réussissais pas à le remettre à sa place, à le défier" confiera-t-elle aux enquêteurs. Pour ces deux jeunes femmes, Christophe Cousseau ne pouvait l'ignorer, il y avait une carrière, un stage ou emploi à la clé. Elles dépendaient de lui professionnellement.

"Un retentissement incontestable sur les victimes", selon le procureur

"C’est l’histoire d’un homme, enivré du pouvoir dont il pouvait jouir sur les femmes. Il ne vibre que par le jeu de la séduction. Il voulait être leurs moyens et leurs fins, l’alpha et l’oméga. Il vous galvanise et il vous défait. Il a une image déplorable des femmes, elles sont nulles, folles, peut-être les deux... Ce qui est sûr, c'est qu’elles sont toutes amoureuses de lui " résume Maitre Flora Touron dans sa plaidoirie.

Sans nier les failles de l’enquête, ainsi que le fera son confrère de la défense, Maître Franck Boezec, l'avocate des victimes tient à relever que cette affaire aurait mérité un autre traitement. Surtout si l’on tient compte des conséquences psychologiques et professionnelles sur les victimes. Qui perdurent des années après.

Gabrielle a tourné le dos à la radio, ne s’essaiera plus jamais au journalisme. Refuse désormais de travailler sous les ordres d’un homme. "Il a ébranlé notre foi " dit-elle.

Anne ne mâche pas ses mots. "Je suis en colère, dit-elle au tribunal. J’ai peur pour ma fille, ça a changé mon rapport aux hommes, je ne les regarde plus de la même manière".

"Depuis 2022, j’ai été très mal au point de consulter un thérapeute et si je vais mieux c’est grâce à cela" ajoute Marguerite qui se dit "blessée d’avoir mis sa confiance dans un homme aux exigences irréalistes".

Quant à Florence, elle a été hospitalisée puis reconnue en invalidité. Christophe Cousseau la qualifiait de "bipolaire". Elle est surtout psychiquement ébranlée, rongée, par le mal-être suscité par cette affaire. Une collègue pieuse, pleine de culpabilité et de ruminations. Près de 10 ans après la première exhibition de Christophe Cousseau, elle reste indélébilement marquée.

Pour le vice-procureur, Gaël Sallio, ce procès est celui de "la dérive d’un homme qui, en responsabilité a abusé de sa position pour imposer sa volonté". "Contrairement à ce qu’il développe, dit-il, Christophe Cousseau est en position d’ascendant, dans l’intimité d’un bureau, face à quelqu’un qui vient demander un stage ou un travail. Est-ce que ces femmes étaient en position de dire non ?, c'est un abus d’autorité".

Dans la salle des pas perdus, les soutiens des victimes, venus nombreux pour ce qu'iels considèrent comme un procès emblématique des violences faites aux femmes © S.Gadet/FTV

Pour ces multiples agressions sexuelles sur cinq femmes, dont une jeune majeure, le ministère public a réclamé une peine d’emprisonnement de 18 mois avec un sursis probatoire de deux ans et l’interdiction pendant cinq ans d’entreprendre une activité en contact avec des mineures. Ou d’entrer en contact avec les victimes. Christophe Cousseau sera en outre inscrit au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes et devra suivre un parcours de soins.

Le jugement a été mis en délibéré au 3 mars. À la sortie de l’audience, Anne tombe en larmes. "Le 3 mars, mais c’est interminable… Je n’en peux plus".

*Les prénoms des plaignantes ont été changés à la demande des intéressées.

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