La précarité n'a pas attendu le covid pour frapper les étudiants. A Nantes, une épicerie solidaire a vu le jour en 2019, avant le début de la crise sanitaire. Chaque lundi sur le campus, les bénévoles distribuent des produits frais et des denrées alimentaires. Les besoins sont immenses. Pour y répondre au mieux, il faudrait trouver un local plus grand pour accueillir un maximum de monde.
Marine est tombée du lit à 5 heures du matin. Le week-end, elle rentre chez elle à Château-Gontier en Mayenne. Pas pour le plaisir mais pour travailler, gagner de quoi financer ses études.
Chaque Lundi matin, elle est d'attaque dès 8 heures, une des premières à arriver à la fac. Pourtant elle ne prend pas la direction de l'amphi. La jeune étudiante de 20 ans file tout droit au local associatif partagé dans le bâtiment Censive, réservé aux littéraires.
Aujourd'hui comme toutes les semaines, c'est jour de collecte et de distribution. Et la demande est forte.
"On a vraiment vocation a lutter contre le gaspillage alimentaire. Donc nous sommes en lien avec deux moyennes surfaces de Nord-sur-Erdre et Carquefou qui nous alimentent en produits frais.", explique Marine Lebrec, co-présidente de l'association SurpreNantes.
De 180 à 350 kilos sont ainsi glanés. Et tout sera redistribué "selon l'état et les dates de péremption des produits".
Et on ne plaisante pas avec la sécurité alimentaire . Marion sort le thermomètre et vérifie la températures des yaourts avant de les déposer dans les caisses isothermes.
Pour en arriver là "ça a été un travail de longue de longue haleine". Il a fallu se structurer et convaincre les partenaires.
"On vient d'acheter notre propre camion. Pour trouver les potentiels donneurs, on passe par la société Phenix qui nous met en contact avec les supermarchés. Nous achetons aussi des conserves à la Banque Alimentaire".
Financièrement l'association reçoit des subventions "de l'université, de l'Etat, de l'Europe, de certaines banques et du Rotary club."
Pour s'offrir de bons repas et manger sainement, c'est difficile
Marion, étudiante
"Certains se limitent vachement. Le plus souvent ils mangent frugalement, à bas prix, des pâtes, du riz, rien de varié ni d'équilibré. Heureusement que le Restaurant Universitaire est là pour avoir accès à de la nourriture correcte," constate Marion Canet, étudiante en communication et bénévole.
60 bénévoles à l'année
L'épicerie tourne grâce à l'engagement sans faille d'une soixantaine de bénévoles . "Il y en a eu jusqu'à 100 pendant les confinements", précise Marion.
Pains, fruits, légumes, en un rien de temps, les trois filles charge le camion. Il ne faut pas trainer une autre cargaison les attend à une dizaine de kilomètres de là.
Ce matin-là, la route est glissante, le froid mordant. Marion est au volant. Elle consacre de 5 à 10 heures par semaine à l'association en plus de ses études. Et pour elle, rien de plus naturel. "Le créateur de l'épicerie est un ami très proche. Quand il m'a parlé du projet ça m'a tout de suite semblé important d'aider les jeunes en précarité, surtout pendant le premier et le second confinement. Cette année, je voulais avoir une place encore plus importante du coup je me suis présentée au conseil d'administration."
"C'est toujours compliqué de désigner ses amis comme des étudiants précaires ce n'est pas très valorisant mais oui j'en connais, confie t-elle , il y en a qui s' empêchent d'acheter des choses qu'ils aimeraient manger. Ils sont toujours à faire les fonds de porte monnaies pour essayer de se nourrir mieux mais au final ils achètent ce qu'il y a de moins cher. C'est une source d'anxiété pour les étudiants, il faut qu'ils pensent à ce qu'ils vont manger le soir ou le midi en plus de leurs cours".
C'est du stress supplémentaire quand il faut penser à l'argent en permanence.
Marion Canet, bénévole SurpreNantes épicerie
"Là on vient de récupérer pas mal de fruits et de légumes, c'est vraiment chouette. Ce sont des produits qui coûtent cher et surtout ce sont des produits sains et faciles à cuisiner. Du poireau, des potirons, on peut faire de la soupe, c'est pas mal", se félicite Marine, un cageot débordant sur les bras.
La tournée se termine, le camion est bien rempli mais on a connu mieux. Pour Marine et Marion, retour à la fac, il va falloir désormais mettre les produits au frais et filer en cours. D'autres prendront le relais pour la distribution.
Le local associatif de la fac est devenu trop petit. Alors on entasse les conserves sur les étagères de fortune et on étale le reste du mieux possible. Une nouvelle équipe vient d'arriver pour ranger les produits afin que la distribution soit la plus fluide possible. Dehors ils sont déjà quelques uns à patienter.
120 étudiants font la queue chaque lundi
10, 20, 50...le file d'attente s'allonge dans le couloirs. Sacs en plastique à la main, ils sont de plus en nombreux à arriver. 120 chaque lundi. Il y a les habitués, beaucoup d'étudiants étrangers qui viennent de Chine ou d'Amérique du Sud, "eux sont là chaque lundi", glisse un bénévole de l'association, et ceux qui découvrent "parce que ce n'est pas facile de franchir le pas de l'aide alimentaire"
Pour être servi, il suffit de s'inscrire. Les premiers arrivés seront les mieux servis, auront plus de choix. Tout part très vite en à peine une heure. Les choses sont désormais bien rôdées.
Louise, présidente de l'association SurpreNantes, encadre l'équipe du jour. Aujourd'hui de nouveaux bénévoles sont arrivés. Une explication éclair suffit, pas besoin d'en faire des tonnes, en quelques mots tout le monde comprend ce qu'il a à faire. Et aujourd'hui il va falloir compenser, la collecte n'a pas été aussi bonne qu'espérée.
"On va équilibrer avec des produits secs comme l'huile qui coûte chère. On essaye toujours de se débrouiller avec ce que l'on, on va aussi distribuer plus de produits d'hygiène".
S'il y en a bien un qui n'a pas besoin de mode d'emploi, c'est Philippe, second cuisinier au Restaurant Universitaire de Nantes. Il est là depuis le début. Et la situation il la connait par coeur. "J'ai commencé en 2019 avec les Restaurants du coeur au Tertre, et au pôle étudiant. Aujourd'hui, je suis toujours là. Après mon travail je viens tous les lundis", raconte le cuistot en rangeant les oeufs.
"Ça touche de plus en plus en plus d'étudiants. S'il y avait un local plus grand on toucherait au moins 400 étudiants. Il y en a de plus en plus en difficulté malgré les aides", poursuit Philippe.
Quand le repas à un euro a été mis en place au Restaurant Universitaire, il y avait foule. C'est bien signe que les choses vont mal. C'est dur de voir ça !
Philippe Glévarec, cuisinier au Restaurant Universitaire de Nantes
"C'est vraiment un besoin et ça me permet toute les semaines d'avoir une valeur sûre, de manger correctement. Même les produits hygiéniques c'est vraiment très utile. Pour nous étudiants, ce n'est pas forcément évident tous les jours. Les fins de mois sont difficiles. Du coup, je travaille pour financer mes études, ça fait beaucoup. Des aides comme ça c'est précieux", témoigne Justine, étudiante en STAPS.
Elisa est en école d'ingénieur. Elle vit en colocation avec son copain. Ils consacrent de 30 à 40 euros par semaines à l'alimentation. Et Ils ne peuvent pas se permettre de dépasser le budget. "Ça m'aide à compléter. Là, ça va un peu mieux mais l'année passée a été très compliquée. Avant le covid je travaillais et puis, il y a eu une une longue période sans. Depuis peu, j'ai réussi à retrouver un petit job, je donne des cours à des lycéens, ça me fait un petit revenu quand même"
Pour Melissa, une autre étudiante, l'épicerie est un passage quasi obligé.
On trouve des produits frais pour manger, tout ce qu'il faut pour se laver. C'est vraiment très pratique. Les fins de mois pour moi sont compliquées. Oui c'est dur!
Mélissa, étudiante
La précarité n'est pas classable, elle prend de multiples visages.
Il y a ceux et celles qui ne mangent pas à leur faim et qui ont besoin tout ou presque comme les produits hygiéniques, le shampoing, les protections féminines. Après il y a aussi l'isolement. Beaucoup ne sortent pas, n'ont pas d'amis. Et il y a ceux qui bossent en plus. Ceux là ont moins de chance de réussite dans leurs études
Louise, présidente de l'association "SurpreNantes"
Avant l'épidémie de Covid, on estimait que 20% des étudiants vivaient sous le seuil de pauvreté. Combien sont-ils aujourd'hui à galérer ? Sans doute bien plus, l'association qui cherche un nouveau local pour pouvoir répondre à une demande toujours croissante estime pouvoir aider "au moins 1 000 étudiants sur le campus nantais."