Maryvonne Bréant est la veuve inconsolable d’un pilote miliaire français disparu au Proche-Orient en 1969. Depuis 55 ans, l’État français a toujours refusé d’ouvrir ses archives. Ce n’est qu’en février 2024, grâce à la justice helvétique, que Maryvonne et son avocat récupèrent plus de 400 documents confidentiels.
C'est une valise en cuir épais qui a vécu. À l'intérieur, des papiers et des photos jaunies, surgis d'un passé figé depuis près de 60 ans. Le premier cliché que Maryvonne tient à nous montrer, c'est celui des jours heureux.
En 1967, elle épouse Gilbert Bréant, un militaire de l'aviation légère installé à Saumur. "On avait une vie très confortable, où vivait une vie de rêve quand même. Parce qu'une garnison à Saumur, à l'école de cavalerie, je n'ai jamais fait à manger. On allait manger dans des pubs le soir, on mangeait au mess le midi."
Une existence faite d'insouciance et de réceptions.
Deux ans plus tard, alors qu'elle attend leur deuxième enfant, Gilbert disparaît en vol, sans laisser de traces.
"Du jour au lendemain, c'est l'effondrement. On ne comprend pas. C'est du gâchis, le gâchis d'une vie qui aurait pu être belle et harmonieuse et qui s'est arrêtée très très vite."
Après, ça a été abominable
Maryvonne BréantVeuve de Gilbert Bréant
"Le problème, c'est qu'on m'a longtemps menti. Longtemps, l'armée m'a fait croire qu'ils étaient prisonniers et qu'on allait les retrouver, qu'il n'y avait pas de problème. Et donc, je crois que c'est encore plus difficile, le mensonge."
"C'est le président Pompidou qui a fait les autorisations de vol"
Un destin qui bascule donc le 24 mars 1969. À bord d'un petit avion civil, Gilbert survole le Proche-Orient, en proie à une guerre d'usure entre Israël et l'Égypte. Il a accepté une mystérieuse mission de relevé topographique au Koweït, mais sur le chemin du retour, l'avion s'évapore.
Aucun débri ne sera jamais retrouvé. Pour seule réponse, Maryvonne se heurte au silence du secret défense. Lui revient alors en mémoire un épisode intriguant survenu la veille du départ de Gilbert.
"On lui a dit, est-ce que vous auriez l'amabilité d'aller jusqu'à la maison de campagne des Pompidou ? C'est le président Pompidou qui a fait les autorisations de vol et elles ne sont pas arrivées. Donc, il faudra aller les chercher à côté de la réserve d'animaux de Thoiry. Alors, on s'est exécuté.", raconte la veuve.
Moi je suis restée dans la voiture et quelqu'un l'attendait avec une enveloppe et lui a donné les autorisations de vol pour aller au Koweït
Maryvonne BréantVeuve de Gilles Bréant
Elle élève seule ses enfants et n'a le droit à rien, sous prétexte que son mari était en mission pour le compte d'une société privée.
Mais avec son nouvel avocat depuis 10 ans, elle remue ciel et terre pour connaître la vérité et fini par obtenir gain de cause. Elle reçoit un précieux document rangé dans les archives diplomatiques. Un ambassadeur français en poste à l'époque écrit que l'avion "aurait été abattu par l'armée égyptienne".
"De l'espionnage"
"Le scénario qui se dessine dans cette affaire, c'est l'utilisation par l'État d'officine telle qu'une société de topographie basée à Casablanca qui était dirigée par des Français pour aller faire de l'espionnage parce qu'à un moment, il faut dire ce mot", explique Me Bertrand Salquain l'avocat de Maryvonne Bréant.
On a un avion qui disparaît dans l'axe du canal de Suez, ç'a été clairement observé par les contrôleurs aériens anglais, britanniques, un radar ça ne se trompe pas !
Me Bertrand SalquainAvocat de Maryvonne Bréant
Si la France a toujours dit n'avoir aucun document, en Suisse, le dossier est épais. "400 pages déconfidentialisées", précise l'avocat.
"Ils avaient déjà été mitraillés par la DCA égyptienne"
"La société de topographie qui était basée à Casablanca, dirigée par des Français, faisait des opérations d'espionnage au moins depuis 1965, puisqu'ils avaient été arraisonnés à Benghazi par les Libyens. Ils avaient été déjà été mitraillés par la DCA égyptienne", affirme Bertrand Salquain.
"Madame Bréant, à 21 ans, lorsque son mari part pour cette première mission au Koweït, qui est une mission de topographie, pour l'émir du Koweït, et en revenant de cette mission, il va, avec son copilote suisse, choisir un itinéraire qui le mène de Damas au Caire pour rentrer à Casablanca. Et c'est sur cet itinéraire que, selon le ministère des Affaires étrangères, l'avion serait tombé en pleine mer à 400 km de Port Saïd, au nord-est. Selon toute vraisemblance, il aurait été mitraillé par la DCA égyptienne ou par un avion israélien", appuie-t-il.
"Et ce qui est intéressant, c'est qu'après dix ans de recherche, en février 2024, alors que cette affaire avait déjà été médiatisée, les Affaires étrangères prétendent avoir retrouvé quelques pièces, quelques documents...", ironise l'avocat
"Mais ce qu'est-que j'ai cru ?"
"C'est très dur au bout d'un certain temps, vous regardez derrière vous, vous vous dites, mais qu'est-ce que j'ai cru, qu'est-ce que j'ai cru tous ces mensonges alors que depuis le début, ils savent que l'avion a été abattu et qu'on ne le reverra à personne", confie la veuve.
Tout le monde a droit à une sépulture, avouer les fautes qu'on fait et ne pas s'enterrer dans ce mensonge qui est très dur pour les familles
Maryvonne BréantVeuve de Gilles Bréant
Maryvonne Bréant et Bertrand Salquain ont écrit un livre à deux mains "Secret défense, mon mari a disparu", fruit de 50 ans de recherches pour elle et de dix ans d'enquête pour lui. Une plongée dans l’univers des réseaux d’espionnage de la Vᵉ République, de ses missions secrètes et de ces soldats lâchés par le pouvoir.
Ce 21 janvier, une audience devait se tenir au tribunal administratif de Nantes. Les juges souhaitant explorer le dossier plus en profondeur l'ont reporté de quelques semaines. Un espoir pour Maryvonne qui espère un jour être reconnue comme veuve de guerre.
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