Notre consœur du journal La Croix, Héloïse De Neuville a publié le 15 juillet 2021 un portrait-enquête de celui qui avait le 18 juillet 2020 incendié la cathédrale de Nantes. La violence du génocide rwandais et une succession d'échecs ont mis à mal la personnalité d'Emmanuel Abayisenga.
"Dans la tête de l'incendiaire de la cathédrale de Nantes", sous ce titre le 15 juillet dernier, le journal La Croix publiait le portrait sensible de celui qui était accusé de l'incendie de la cathédrale de Nantes. Le 8 août 2021, s'accusant du meurtre du père Maire à Saint-Laurent-sur-Sèvre en Vendée, ce portrait livre des clés de compréhension et soulève bien des interrogations.
Héloïse De Neuville, son auteure, a remonté le temps, questionné, interrogé celles et ceux qui de près ou de loin ont côtoyé Emmanuel Abayisenga. Tant au Rwanda qu'en France à Nantes. Son parcours d'homme révèle une personne désemparée par la violence de la vie. Il avait 13 ans lors du génocide rwandais, 800 000 Tutsis ont été massacrés par leurs compatriotes hutus.
L'exécution de son père
Héloïse De Neuville écrit : "Dans quel «camp» se situe sa famille ? Selon des informations concordantes recueillies par La Croix, Emmanuel vient d’une famille hutue, dont certains membres ont pris part au génocide contre les Tutsis. De retour dans son village en 1996, le père d’Emmanuel est exécuté de manière sommaire. Après sa mort, il sera jugé et condamné comme génocidaire par les tribunaux populaires du pays. L’oncle paternel d’Emmanuel, lui, purge une peine de prison à vie, précise le parquet de Kigali".
Après l'exécution de son père le jeune Emmanuel poursuit sa scolarité, obtient un bac commerce et comptabilité, et bifurque. Il passe le concours de la police et devient officier de police judiciaire. Puis a 32 ans, il fuit le Rwanda.
"À quelques amis nantais, Emmanuel confiera avoir assisté, au sein de la police, à des règlements de compte d’une violence inouïe, visant notamment des Hutus. Lui-même racontait avoir subi des tortures, qui lui auraient laissé de sévères séquelles physiques. Dès son arrivée à Nantes en 2012, ce fervent catholique s’est rapidement placé sous la protection de la communauté chrétienne".
Le temps des désillusions
Emmanuel Abayisenga fait une demande d'asile à l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et des apatrides), qui lui sera refusée, une seconde sans plus de résultat, puis une troisième, et une quatrième qui n'aboutiront pas plus. Il est toujours sous le coup d'une obligation de reconduite à la frontière (OQTF) lorsqu'il incendie la cathédrale de Nantes.
"Le fait que l’Ofpra ait remis en doute la véracité de son récit a créé chez lui un énorme désarroi », décrit l’une de ses amies nantaises".
Durant ce temps il s'engage et affirme sa volonté de s'insérer écrit la journaliste. "Croix-Rouge, Secours catholique, petits boulots d’électricité... Son emploi du temps est chargé et son moral est bon. « C’est un homme hyper droit. Parmi les personnes en difficulté, il faisait la différence », se souvient Odile, qui a animé un atelier d’insertion sociale auquel Emmanuel a participé. «Il cherchait vraiment à s’intégrer, abonde Cécile, la nièce d’Odile. Je me souviens pendant les cours de français que je donnais, il était irrité quand les autres arrivaient en retard, il ne comprenait pas qu’on puisse prendre ça à la légère".
Il rencontrera le pape François en 2016 avec une délégation de Nantais à l’occasion du Jubilé des personnes socialement exclues, organisé par l’association Fratello.
Agressé dans son rôle de sacristain
"Le 31 décembre 2018, il est appelé pour remplacer à la cathédrale le sacristain titulaire qui a un empêchement. Ce soir de réveillon, Emmanuel est victime d’une violente agression devant la sacristie. Après l’agression, il est arrivé chez moi complètement déboussolé. On ne le comprenait presque plus. Il pleurait et demandait “pourquoi, pourquoi, pourquoi on m’attaque comme ça gratuitement ?” », décrit, émue, l’une de ses amies, qui continue de correspondre avec lui depuis son incarcération".
Emmanuel Abayisenga a été libéré sous contrôle judiciaire début juin 2021. Il a trouvé accueil dans la communauté religieuse des Monfortains à Saint-Laurent-sur-Sèvre, dans l’attente de son procès. À l’issue de son procès et de sa probable condamnation, Emmanuel Abayisenga risquait une expulsion du territoire français.
Rattrapé par ses démons
L'article d'Héloïse De Neuville se conclut sur une note d'espérance : "Face à cette perspective, ceux qui l’ont fréquenté depuis son geste incendiaire en témoignent: il n’a pas perdu la foi. « Désormais, il s’en remet même totalement à Dieu », souffle une amie".
On connait désormais la suite, trois semaines après la publication de cet article, Emmanuel Abasyisenga, rattrapé par ses démons, a avoué le meurtre du père Maire qui l'avait accueilli, et, en quelque sorte, jouait un rôle de tuteur.