Entre 1989, date de la 1ère édition du Vendée Globe et aujourd'hui, la flotte de bateaux a triplé. Avec toujours plus de visiteurs sur le village, le tour du monde en solitaire, sans assistance et sans escale n'en finit pas de grossir. Mais à l'heure de l'urgence écologique, la course légendaire peut-elle continuer son ascension et respecter la planète ?
Ils ont fière allure dans le port des Sables d'Olonne, 40 bateaux, on les appelle dans le milieu les 60 pieds IMOCA. Des merveilles de technologie avec à la barre un skipper pour un tour du monde à la force du vent. Derrière cette image de rêve, une réalité écologique plus amère.
Cette édition 2024 compte 7 bateaux de plus qu'en 2020, mais la parole politique se veut rassurante.
"Ne pas voir les choses en trop grand"
"Nous sommes les seuls à réduire. Nous aurions pu prendre une autre option. Vous savez, quand on est président d'un département, on se dit pourquoi toujours les Sables ? On aurait pu passer justement à une cinquantaine de bateaux en imaginant une trentaine ici sur les Sables-d'Olonne, une vingtaine sur Saint-Gilles-Croix-de-Ville, ce qui permettait de continuer à faire rayonner notre côte vendéenne. Ce n'est pas le choix qui a été fait, le choix politique. Mon choix politique, c'était justement de ne pas voir les choses en trop grand, de rester raisonnable", explique Alain Leboeuf, président du conseil départemental de Vendée.
Une raison qui a ses limites. Pour ce Vendée Globe, 13 bateaux neufs ont été construits selon des règles régies par l'IMOCA, l'équivalent de la ligue professionnelle des skippers.
Des machines de près de 5 millions, de quelque trois tonnes de carbone, donc d'énergie fossile, mais des projets indispensables pour le représentant des skippers.
Ça a un coût écologique, mais ça a aussi un succès économique pour le sud de la Bretagne, qui fait qu'énormément de gens travaillent aussi autour de ce type de projet-là.
Alain LeboeufPrésident du Conseil départemental de Vendée
"Mais je pense qu'aujourd'hui, l'équilibre qu'on a, qui est d'un côté d'utiliser plus longtemps les bateaux et d'aller en valeur absolue et en proportion vers deux fois moins que ce qu'on faisait il y a 15 ans, la trajectoire est relativement bonne", constate Alain Leboeuf.
Un poids économique qui justifie donc le coût écologique. Depuis 2015 et l'arrivée des foils, ces IMOCA se sont complexifiés. Désormais plus performants, leur vitesse rend le contact en mer plus dangereux, des collisions souvent difficiles à identifier malgré les outils mis en place.
"Quand on dit ofni (objet flottant non identifié), on ne ment pas. Donc la statistique de choc avec des ofnis n'a pas forcément augmenté depuis 2016, c'est même plutôt constant. Dans mes statistiques, moi, je mets impact", précise Antoine Mermod, président de la classe IMOCA.
Un cétacé équivaut donc à un container ? "Oui, oui", assume-t-il.
Que le terrien dorme tranquille, le Vendée Globe a décidé cette année de délimiter des zones présentant des risques de collisions avec des cétacés.
Émission carbone, impact sur la faune maritime, la course au large soulève de plus en plus de questions. À l'heure de l'urgence climatique, certains marins osent une voie dissonante.
Stan Thuret est ancien navigateur. L'homme a mis à distance ce monde de la course au large. Il s'est retiré de la compétition début 2023.
Écœuré, Il en a fait un livre. Il y dénonce le "toujours plus", reflet de notre société et alerte sur l'idéologie compétitive que promeut la voile.
Aujourd'hui, l'activité ne répond qu'à de la vanité, de la gloire éphémère, faire du pognon
Stan ThuretAncien skipper, auteur de 'Réduire la voilure"
"Parce qu'aujourd'hui, performance égale vitesse, il faut avoir la dernière technologie. Et pour avoir la dernière technologie, il faut remettre de l'argent. Et donc c'est un cercle vicieux, c'est une fuite en avant technologique", ajoute-t-il.
On ne se pose pas les bonnes questions. Les gens ne s'interrogent même plus pour savoir pourquoi ils font ça. En fait, il faut juste qu'on change de cap
Stan ThuretAncien skipper, auteur de "Réduire la voilure"
"Il faut qu'on passe de la boussole de l'accumulation à la boussole de l'équilibre. Mais je pense qu'on ne sera peut-être pas suffisamment fort, puisqu'on est quand même très addict à tout ça", insiste le marin.
"Je suis confiant, mais je pense qu'on aura besoin d'une petite aide extérieure qui viendra nous le rappeler ou nous taper sur les doigts."
Autour d'un collectif appelé "La Vague" et basé en Bretagne, ils sont un petit nombre à vouloir changer leur sport. Un travail nourri par des chiffres.
"Un Français, c'est 8 tonnes par an d'émissions de CO2. Pour comparer, la construction du bateau tout seul, c'est de l'ordre de 600 tonnes à peu près. Mais alors là où c'est un peu compliqué, c'est que le bateau, ça, c'est sa fabrication", calcule Christophe Baley, enseignant chercheur spécialisé dans les matériaux composites et biocomposites à l'université Bretagne sud.
"Très vite, un bateau, ça fait quelques milliers de tonnes de CO2"
"Il faut rajouter le fait qu'il va casser des pièces, qu'on va les changer, qu'il y a un équipage qui travaille, qu'il y a 100 personnes qui vont prendre l'avion pour organiser un retour de course et tout. Donc cette construction, c'est quoi ? 20 %, c'est à peu près estimé sur 5 ans. Donc très très vite, un bateau de course, ça fait quelques milliers de tonnes et on commence à se comparer avec les émissions d'un hyper riche".
Pour eux, il faut tout simplement changer le paradigme de la voile. "Associer la performance à des notions autres que la simple vitesse, relier ça à la performance environnementale, à la performance sociale, à la performance économique, faire des bateaux les moins chers possibles pour donner la possibilité à des jeunes skippers d'accéder à ces machines", développe l'enseignant chercheur.
Donc c'est la question des performances, c'est la question aussi des valeurs. Qu'est-ce qui a de la valeur aujourd'hui ? Qu'est-ce qui aura de la valeur demain ?
Christophe BaleyEnseignant chercheur spécialisé dans les matériaux composites et biocomposites à l'université Bretagne sud
Comment faire cohabiter la course au large et donc le Vendée Globe avec l'urgence climatique ? Les questionnements émergent, mais la route est aussi longue et âpre qu'un Everest des mers.
Le reportage de Stéphanie Pasgrimaud, Damien Raveleau et William Sabas
Retrouvez-nous sur nos réseaux sociaux et sur france.tv