Martin Boye est directeur scientifique du dernier delphinarium de France, "Planète sauvage", installé près de Nantes. Avec l'application de la loi contre la maltraitance animale, à compter de novembre 2026, ce sera l'unique structure autorisée à conserver des dauphins en captivité. Il nous explique pourquoi et évoque le sort des orques de Marineland.
C'est l'un des plus fins connaisseurs des dauphins en France. Martin Boye a accueilli une équipe de France 3 Côte d'Azur dans l'enceinte du parc Planète Sauvage, hors saison. L'hiver, l'établissement de Loire-Atlantique est fermé, mais les soigneurs continuent de s'occuper des dauphins : il faut les nourrir et jouer avec eux.
Car Martin Boye est formel : les faire sauter dans les bassins relève du jeu, et non de la maltraitance.
Quand on vient chez vous, on découvre un bassin, des gradins. C'est exactement comme à Marineland. Pourquoi avez-vous l'autorisation de continuer votre activité ?
Martin Boye : "En fait, comme Marineland, on est un parc zoologique : effectivement les gens peuvent venir ici pour voir les dauphins et découvrir quel est leur mode de vie."
Ce sont des spectacles ?
Martin Boye : "On appelle ça des présentations au public : on va demander la complicité des dauphins pour illustrer notre discours sur leur mode de vie, et donc les gens ressortent en ayant appris comment ils chassent, dans quels endroits du monde, ils vivent et surtout quelles sont les menaces qui pèsent sur eux, et comment chaque individu peut essayer d’améliorer la situation pour les dauphins dans le milieu naturel."
Mais vous les entraînez aussi à faire des sauts à la demande ?
Martin Boye : "On va collaborer avec eux. Je n'aime pas le mot "entraîner", on dirait que ce sont des sportifs. Ça n’a rien à voir, en fait, c'est une méthode qui est utilisée maintenant avec beaucoup d’animaux, notamment les chiens et les chats : on n'impose rien à l'animal. On va leur proposer des choses, et on va positiver le contexte. Et en fonction de ce qu’on positive, on leur donne des messages vers où on veut aller."
C’est ce qui fait que vous en 2026 vous n’aurez pas à mettre fin à cette activité ?
Martin Boye : "Il y a une loi effectivement qui dit qu’en novembre 2026 ces animaux peuvent rester dans les structures qui vont avoir une utilité scientifique. Ce qui est le cas pour nous depuis la création : nous avons une trentaine de publications de recherches avec des institutions à l’étranger et en France. On essaie de mieux comprendre ces animaux, pour pouvoir mieux derrière les protéger. Et donc la loi reconnaît cet état de fait. L’UICN, l’Union internationale pour la conservation de la nature, dit que sans les zoos, toute espèce confondue, on n'arrivera pas à mener ce combat qu’on doit mener dans le milieu naturel. C’est valable pour les dauphins et c’est ce qui se passe ici."
C’est-à-dire qu’en étudiant les dauphins ici, à Planète Sauvage, vous aidez à sauver des dauphins en milieu naturel ?
Martin Boye : "Oui, on protège bien ce qu’on comprend bien. Par exemple, ici, on a mis en évidence que les dauphins sont sensibles aux champs magnétiques : ça peut poser plein de questions, par exemple sur le transport du courant en mer avec les éoliennes, et donc ça ouvre la voie à des mesures qui pourraient les aider. La première vraie grande mesure pour les mammifères marins, c'est en 1972 aux États-Unis, sur la base de recherches faites en parc zoologique : on décide de limiter la quantité de bruits dans les océans parce qu’on sait que ça va les impacter. Et bien, c'est le travail qu’on fait un peu au quotidien."
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Vous dites d’ailleurs que l’opinion publique s’est focalisée sur ce qui se passe dans les parcs marins, mais que la vraie catastrophe pour les dauphins se situe en mer, pourquoi ?
Martin Boye : "Clairement à force de donner beaucoup d'échos à certaines personnes qui disent que ces animaux ne sont pas bien dans notre structure - et on a toute une littérature scientifique vraiment qui montre le contraire, il y a un consensus là-dessus - on oublie de parler de ce qui se passe en mer : rien qu'en France, on perd quasiment 10 000 dauphins dans les filets chaque année. Et là, il y a du boulot, là, il faut se battre, et c’est là qu’on tend la main aux associations en disant : allez, on peut travailler ensemble, l’urgence, elle est là."
Il paraît que vous parlez le dauphin ?
Martin Boye : "Parler le dauphin, ce serait un grand mot, on se pose encore la question de savoir s’ils ont un langage. En tout cas, ils communiquent avec des sons très variés. Avec la complicité des animaux qui sont chez nous, on leur a appris à porter une petite ventouse sur le crâne grâce à laquelle on arrive à enregistrer les animaux. On leur laisse pendant qu’ils font leurs échanges vocaux et ensuite, on a des étudiants qui vont tout décoder."
Vous qui les comprenez bien, est-ce que les dauphins et même les orques à qui on demandait de faire des numéros d’acrobatie à Marineland souffraient ?
Martin Boye : "Je vais être très catégorique. Pour eux, c'est la même chose : qu’on leur demande de faire un saut ou de participer à une étude scientifique, on va leur proposer des activités. Ce mot « proposer » est important. Cette méthode, qui est utilisée aussi à Marineland et dans les parcs zoologiques européens, c’est ce qu’on appelle le « conditionnement opérant » en jargon technique. Il s'agit simplement de proposer à l’animal de faire quelque chose et de positiver le contexte, donc ce n'est jamais sous la contrainte. Et au contraire, leur proposer des choses, c’est les faire réfléchir, se dépenser et c'est utile à leur bien-être."
Mais cette méthode est fondée scientifiquement ?
Martin Boye : "Oui, complètement. C’est une méthode de plus en plus utilisée chez les autres animaux. Par exemple, maintenant, on ne va plus forcer un chien à s’asseoir comme on peut le voir chez Monsieur et Madame tout le monde, on va lui apprendre que c’est amusant de s’asseoir, et ça change tout. C’est ça qui est paradoxal : on va parler de bientraitance pour plein d’autres d’espèces en utilisant cette méthode-là qui efface la contrainte, et pour les dauphins, il y a encore des gens qui pensent qu’on les force à quelque chose, alors qu’on leur propose des activités pour réfléchir, se dépenser, s’amuser."
Le parc Marineland a fermé ses portes mais ça ne règle pas le problème des deux orques, et des 4 000 animaux qu’il va falloir replacer ailleurs. Ces orques-là, que vont-elles devenir ? Où peut-on les mettre ?
Martin Boye : "Il faut trouver une structure qui puisse les accueillir et ça ne se trouve pas facilement. Il faut chercher à l’échelle du monde."
Une structure qui ne soit pas un autre parc d’attractions ?
Martin Boye : "Il faut que ce soit une structure zoologique qui réponde aux besoins des animaux. Il ne faut surtout pas que ce départ soit synonyme de dégradation de leur bien-être. Il faut du personnel qui s’en occupe, des vétérinaires qui suivent leur état de santé et il faut une équipe autour qui va leur proposer des activités, des choses à faire. C’est là où la situation est un peu ubuesque : à force de dire qu’il faut qu’ils partent, ils vont devoir partir, et on se rend compte que les propositions un peu fantaisistes amenées sur les réseaux sociaux ne sont pas là."
L’idée d’un sanctuaire : est-ce que ça existe quelque part dans le monde ? Est-ce qu’on pourrait en créer un chez nous ?
Martin Boye : "Le mot sanctuaire est galvaudé : c’est presque du marketing, je trouve. On parle là d’un enclos marin. Et ce serait quoi ? La même chose qu’à Marineland sauf que c’est pris sur la mer. Qu’est-ce que ça rajoute concrètement ?
Vous n’avez pas de contrôle sur la qualité de l’eau, vous n’avez pas de contrôle sur le bruit autour. Et surtout, c'est un modèle qui n’a pas du tout fait ses preuves. C’est expérimental. Il y a des gens qui disent qu’il y a des sanctuaires qui sont prêts : pour l’instant, les terrains ne sont pas achetés, ils ne sont pas construits, et ils ne sont pas du tout en capacité d’accueillir ces animaux.
On entend parler de ces « sanctuaires » depuis vingt ans. Donc si ça pouvait marcher, on le saurait déjà. Sauf que maintenant que les animaux doivent partir, les mêmes qui prônaient la solution du sanctuaire disent : attendez un peu, on n’est pas prêt. Oui mais bon, il y a un moment où il faut arriver à la réalité, il faut que ces animaux soient bien traités."