Des milliers de larves translucides de crevettes se sont échouées sur le littoral des Alpes-Maritimes dimanche 12 janvier. Un phénomène assez rare. Nous avons cherché une réponse à cette énigme.
Aussi petites que la bien connue poutine niçoise, qui se pêche du 15 janvier au 15 mars sur le littoral azuréen, ces larves sont bien de "bébés" crevettes.
Pratiquement translucides, elles sont visibles sur les kilomètres du rivage qui borde Juan-les-Pins et Golfe-Juan (Alpes-Maritimes).

Un phénomène rare
En général, ce sont les méduses ou les vélelles qui s'échouent sur les plages azuréennes. La raison de leur présence sur le littoral est connue. Il s'agit la plupart du temps d'une inversion du sens des vents. Mais ce qui concerne ces petits crustacés translucides, la cause de leur présence sur nos rivages est moins évidente. Pareil phénomène avait pourtant déjà été constaté il y a un an, le 30 décembre 2023, dans la petite crique du Rayol-Canadel (Var).
Des crevettes échappées d'une ferme aquacole ?
Mais d'où peuvent bien provenir ces milliers de petits crustacés échoués sur nos plages ? Notre regard s'est tout d'abord porté sur la ferme aquacole en baie de Cannes. C'est ce que nous avions sous les yeux ! Nous avons, alors, contacté la société Aquafrais Cannes. Son directeur, Jérôme Hemar, aussi intrigué que nous, nous a fait la réponse suivante : "Dans notre ferme, nous n'élevons que des bars et des dorades, pas du tout de crevettes. Et nous ne nourrissons pas non plus nos poissons avec des alvins de crevettes".
Cette piste n'est donc pas la bonne.
Après réflexion, nous nous sommes tournés vers la communauté scientifique, qui, elle, aurait à n'en pas douter une réponse à nous soumettre.
Un phénomène d'hypoxie ?
Comme nous les mammifères, les crevettes ont besoin d'oxygène pour vivre.
Parfois, rarement il vrai, il peut arriver que le taux d'oxygène de la mer ou de l'océan soit en deçà de la norme vitale pour certaines espèces marines. Ce processus, dans le domaine scientifique, s'appelle l'hypoxie.
A cette période de l'année, c'est impossible que ce soit cette cause.
Fabien Lombard - Chercheur au laboratoire d'océanographie de Villefranche-sur-mer (LOV).FTV
L'hypoxie est donc "une" théorie avancée par Fabien Lombard, chercheur au laboratoire d'océanographie de Villefranche sur mer (LOV). : "Quand cela se produit, les espèces concernées, se projettent littéralement hors de l'eau, sur le rivage, pour trouver leur oxygène, quitte à mourir ensuite. C'est un phénomène déjà observé par les scientifiques. En revanche, à cette période de l'année, les eaux sont fraîches et oxygénées par les nombreux coups de vent d'ouest. C'est impossible que ce soit cette cause".
Autres hypothèses...
Restons au LOV et poursuivons nos investigations avec Fabien Lombard qui se dirige vers une hypothétique pollution de l'eau : " il pourrait être envisageable qu'un retour d'eau de rivières polluées en soit l'origine, ou encore une fuite de stations d'épuration.... Rien n'est moins certain et il faudrait des analyses pour confirmer ou infirmer cette piste".
Il pourrait être envisageable, également, qu'il y ait eu des essais militaires d'ondes de radar sous-marin.
Fabien Lombard. LOV
Ce qu'il y a d'intéressant avec un chercheur, c'est qu'il cherche !
Notre expert nous soumet alors une autre piste : " Pour qu'un tel processus se produise, il faut quelque chose de fort", ajoute-t-il. "Il pourrait être envisageable, également, qu'il y ait eu des essais militaires d'ondes de radar sous-marin. Un sous-marin ou que sais-je ? Ça, nous ne le saurons jamais, secret-défense !" Nous voilà bien avancés !
On sait que ça peut arriver, mais ça peut être un peu tout et n'importe quoi, en fait.
Fabien Lombard - LOV.
Mais l'expert ne s'avoue pas vaincu, même s’il ajoute : " On sait que ça peut arriver, mais ça peut être un peu tout et n'importe quoi, en fait ! "
Un banc de pélagiques !
Après avoir égrainé bon nombre de possibilités, ce spécialiste des méduses et du plancton en arrive à opter pour, tout simplement, la théorie la plus naturelle : " le plus probable, tout compte fait, serait que ces milliers de larves de crevettes aient été prises en chasse par des bancs de poissons pélagiques, type thons, harengs, sardines, anchois, maquereaux... Et, entre mourir avalés par des prédateurs féroces ou mourir échoués sur le rivage par une asphyxie certaine... ces crustacés ont choisi la seconde option !"
Le plus probable serait que ces milliers de larves de crevettes aient été prises en chasse par des bancs de poissons pélagiques.
Fabien Lombard - LOV.FTV
Seule certitude à ce jour, cette partie du littoral azuréen devrait, dans les jours à venir, dégager une forte odeur de crevettes en décomposition ! Et ça aussi, c'est scientifique !