Canneseries 2025 : On vous explique pourquoi les trois dernières séries primées ne sont toujours pas diffusées en France

Si vous vous êtes déjà intéressés ou rendus au festival Canneseries, qui aura lieu pour la 8ème fois en avril sur la Croisette, vous vous demandez peut-être pourquoi certaines séries ne sortent jamais en France, y compris les plus récompensées. Explications avec Albin Lewi, directeur artistique du festival, et Benoît Lagane, journaliste spécialiste des séries.

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Il a beau être le dernier-né des gros événements de la Croisette, le festival international des séries Canneseries grandit d'année en année depuis sa création en 2018. Au point d'accueillir, l'an dernier, des stars de l'envergure comme Michael Douglas, ou encore Pierre Niney côté français, sur son "Pink carpet". Pourtant, une fois le festival clôturé, son impact sur l'industrie des séries et du divertissement apparaît, de l'extérieur du moins, encore relativement limité.

L'exemple le plus frappant, est peut-être l'absence de diffusion en France pour les trois dernières productions ayant remporté le prix de la Meilleure Série, malgré la mise en avant offerte par le festival. Ainsi, si vous avez assisté aux dernières éditions du festival, il est toujours impossible pour l'heure de se procurer une version française, ou même sous-titrée de The Lesson (Israël, 2022), Power Play (Norvège, 2023), et The Zweiflers (2024). Une situation qui paraîtrait totalement impensable pour une Palme d'Or au Festival de Cannes.

Pour la clôture de Canneseries 2024, Michael Douglas était venu présenter sa série "Franklin" hors-compétition. © ALBERTO TERENGHI/IPA / IPA-AGENC / MAXPPP

Le cinéma et les séries, deux industries très différentes

Interrogé à ce sujet, Albin Lewi, le directeur artistique du festival, rappelle que "Canneseries, avant tout, ce sont des choix artistiques. Nous valorisons des séries qui sont rares, qui ont un point de vue original". Mais il tient tout de suite à différencier le fonctionnement de l'industrie du cinéma par rapport à celui des séries : "Au festival de Cannes, la plupart des films présentés ont un distributeur, et l'aura d’une Palme d’or est telle que forcément, il y aura une sortie en salle", explique-t-il.

Albin Lewi soutient que "la vie d’une série est différente d’une sortie au cinéma, en général, elles trouvent leur financement avec les diffuseurs de leur pays d'origine. Toutes les séries qu’on a à Canneseries ont un diffuseur dans leur territoire d’origine, et leur vie se fait au-delà de la France".

Le choix serait stratégique donc, et est parfaitement clair pour Benoît Lagane, journaliste spécialiste des séries et chroniqueur à Télématin : "le choix qu’ils ont fait, c’est d’être un festival qui fait découvrir des créations, qui sont au tout début de leur aventure. C’est donc un pari que font les organisateurs, et selon moi, c'est ce qu’on attend d'un festival".

Quand au Festival de Cannes, il y a un petit film présenté dans une sélection obscure, le jour où il va sortir, même si c’est en trois copies, il aura un papier dans la presse. Ce n'est pas le cas pour les séries.

Benoît Lagane,

journaliste spécialiste des séries à "Télématin".

Selon le journaliste spécialisé, le festival Canneseries pourrait souffrir de cette comparaison avec son aîné côté cinéma, bien que dans les faits, le prestige de Cannes a aidé à son développement.

Acquérir une série, "parfois, ça prend des années"

Malgré tout, Albin Lewi assure que son "but ultime", c'est que les séries présentées lors du festival "puissent être vues par le plus grand nombre". Et le directeur artistique ne perd pas espoir de voir, d'ici quelques années, des séries primées lors des précédentes éditions trouver un diffuseur en France. "The Zweiflers, meilleure série en 2024, traite d'un sujet complexe mais a depuis remporté tous les prix en Allemagne. Elle a été diffusée cette semaine au Lincoln Theatre de New York. Donc c’est une série qui je pense trouvera un acheteur en France, mais ça prendra un petit peu de temps".

Car ici encore, "c'est aussi une caractéristique de l’univers des séries, le processus d’acquisition est bien plus long qu'au cinéma, et parfois ça prend des années", explique l'organisateur du festival.

Pour "The Lesson", il n'y a pas une semaine sans qu’on ait des messages qui nous demandent quand est-ce qu’elle sera diffusée en France.

Albin Lewi,

directeur artistique de Canneseries.

Albin Lewi (à gauche), directeur artistique de Canneseries, accompagné du directeur général Benoît Louvet, en 2022. © AGENCE FRANCK CASTEL / MAXPPP

Récemment, c'est par exemple la série The Allegation, lauréate du prix du Meilleur Scénario en 2021, qui a trouvé un diffuseur en France, sur la petite plateforme UniversCiné. Les choses avancent doucement donc, peut-être même un peu trop doucement, pour Benoît Lagane : "Ceux qui mènent ces festivals font leur part du boulot, en présentant des séries qu’on aurait jamais vues sans eux. Maintenant, c'est aux diffuseurs de se bouger un petit peu, pour que les festivals n’aient pas besoin de venir réclamer la diffusion des séries primées", espère-t-il.

La première victoire, c’est qu’en partie grâce à ces festivals, les séries ont gagné leurs lettres de noblesse. Avec cette frustration de la possible non-diffusion derrière.

Benoît Lagane,

journaliste spécialiste des séries à "Télématin".

Et que fait le partenaire officiel Canal + dans tout ça ?

On pourrait pourtant penser que les choses seraient plus simples pour le festival cannois, puisqu'à l'inverse du concurrent Séries Mania à Lille, Canneseries dispose d'un partenaire média exclusif, à savoir Canal +. Alors pourquoi la chaîne cryptée ne pourrait-elle pas reprendre dans son catalogue, ou sur sa plateforme MyCanal, a minima la série remportant le grand prix ?

Contacté par France 3 Côte d'Azur, le groupe Canal + n'a pas souhaité faire de commentaire à ce sujet. Albin Lewi, lui, tient à rappeler que "Canal est un partenaire média qui a un soutien très fort pour le festival", qui "à la fin de chaque édition va acheter un certain nombre de séries" Pour autant, "il n’y a pas d’obligation mutuelle", précise-t-il.

Benoît Lagane juge ici qu'il s'agit d'un non-sens de ne pas reprendre "la série qui gagne". S'il sait bien que "prendre une série, ça a un coût", et qu'une plateforme "va être obligée de faire un tri et des choix", il considère qu'avec "le nombre de chaînes Canal, le nombre d’entrées possibles sur MyCanal, il y aurait de quoi mettre les séries de Canneseries à l’honneur".

"Il va falloir attendre que le festival ait une bonne quinzaine d'années"

Reste enfin le fait que Canneseries est toujours, à l'approche de sa 8ème édition prévue du 24 au 29 avril prochain sur la Croisette, un "jeune festival", comme le rappellent tous deux Albin Lewi et Benoît Lagane. Et selon ce dernier, si l'événement en lui-même est désormais bien installé à Cannes, sa marque reste encore à affiner. "Si par exemple, grâce au festival, un pays émerge en tant que producteur de séries de manière régulière, alors le festival aura sa marque", estime-t-il.

Le journaliste spécialisé affirme donc qu'il "va falloir attendre que le festival ait une bonne quinzaine d'années pour commencer à avoir le réflexe, pas uniquement à Cannes, de se dire qu'en avril c'est Canneseries, et qu'on ferait bien de regarder la sélection".

Le milieu des séries se compare plus à celui de la BD. Et le festival d'Angoulême, avant qu’on en parle, il a fallu du temps.

Benoît Lagane,

journaliste spécialiste des séries à "Télématin".

Cette année encore, le festival va continuer de s'enrichir, avec l'avènement d'un "nouveau volet pro" de Canneseries, nommé "Canneseries Industry". "Ça ne sera pas un comme le Marché du film du Festival de Cannes, on va ici essayer d'organiser toute la chaîne de production entre professionnels", explique Albin Lewi. Pour peut-être, s'imposer aux diffuseurs ?

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