Lors de la rentrée solennelle des tribunaux judiciaires de Nice et Grasse, les chefs de juridiction ont insisté sur leur manque de moyens humains : il manque des magistrats et l'absence de vote du budget fait planer le doute sur l'arrivée des renforts qui ont été promis.
"Une année particulière, marquée par une instabilité gouvernementale qui a vu se succéder trois Gardes des Sceaux..." Dans son discours prononcé lors de la rentrée solennelle du tribunal judiciaire de Nice, la présidente Pascale Dorion a insisté sur une instabilité politique qui lui fait redouter que les recrutements de magistrats promis s’envolent.
Le ministre de la Justice en poste, Gérald Darmanin, l’a pourtant assuré, ce jeudi, lors d’un déplacement à Dijon : les moyens du ministère de la Justice "continueront à augmenter". Le budget 2025, qui n’a pas encore été voté, devrait s’établir à 10,5 milliards d’euros, soit 400 millions de plus qu’en 2024.
16 magistrats promis aux Alpes-Maritimes
De quoi honorer — en théorie — la promesse de 1600 recrutements pris dans le cadre de la loi de programmation sous le ministère d’Éric Dupond-Moretti en 2023 : 8 magistrats à Nice (6 au siège, 2 au parquet) et autant à Grasse. Mais avant même d'évoquer des renforts, les chefs de juridictions souhaiteraient déjà que les postes vacants soient comblés...
"Nous avons besoin des renforts annoncés"
"Alors que 25 % seulement de la dotation initiale 2024 a été allouée dans l'attente du vote de la loi de finances, nous espérons tous que les moyens dont la justice bénéficiera seront à la hauteur des besoins et que le travail de mise à niveau pourra se poursuivre. Nous avons besoin des renforts humains annoncés en 2023 pour remplir nos missions toujours plus complexes et nombreuses."
Et pour l'instant, le compte n'y est pas. "Nous commençons l'année avec 7 postes de magistrats non occupés : deux postes de juge des enfants, un poste de juge d'instruction, un poste de juge du contentieux de la protection, un poste de juge des libertés et de la détention (JDL), deux postes de juges non spécialisés" détaille la présidente du tribunal judiciaire de Nice.

Pour pallier cette situation, le tribunal bénéficie provisoirement de 6 magistrats "placés", c'est-à-dire provisoirement affectés à Nice en attendant l'arrivée de juges "fixes". "Je sais que le tribunal judiciaire de Grasse souffre, tout comme Nice, de sérieuses difficultés d'effectif de magistrats."
Un quart de l'effectif manque au parquet de Grasse
Grasse, dont le ressort couvre 62 communes et 52% de la population des Alpes-Maritimes, ici, la situation est particulièrement dégradée : 42 magistrats au siège (les juges) au lieu des 46 prévus, soit plus de 8% de l'effectif manquant. Et au parquet c'est bien pire.
"Nous sommes très loin du compte : le parquet de Grasse doit compter 15 magistrats, l’effectif programmé pour 2028 est de 17, et à la seconde où je vous parle… 11 postes seulement sont pourvus" déplore le procureur Damien Savarzeix.
Il manque actuellement au parquet de Grasse plus d'un quart de son effectif. Un déficit en personnel qui n'est pas que conjoncturel : la justice française figure parmi les moins bien dotée d'Europe, comme n'a pas manqué de le souligner le procureur de Grasse.
En moyenne on compte 3000 dossiers par magistrat à Grasse. En Allemagne, ce chiffre est trois fois inférieur. Un parquet allemand ou espagnol compte deux fois plus de magistrats du parquet par habitant qu’un parquet français !
Damien Savarzeix, procureur de la république de Grasse
Même constat chez son homologue Niçois. Damien Martinelli insiste sur "l’impératif besoin que les renforts annoncés dans le cadre de la loi de programmation pour la justice se concrétisent rapidement. Nous serons encore loin des standards des pays du conseil de l’Europe mais ce sera évidemment mieux. L’équipe du parquet de Nice que j’ai la chance de diriger a besoin de ces renforts".
Toujours plus de dossiers à traiter
Et le procureur de Nice sait déjà qu'il affectera les deux futurs magistrats affectés à son parquet au pôle de lutte contre la criminalité organisée et le narcotrafic. Un fléau qui gangrène les quartiers de Nice et a déjà semé la mort dans le quartier des Moulins lors d'un tragique incendie en août, et ce week-end dans la cité Roquebillière, rue Fenoglio de Briga à Nice Est.
Car si les effectifs manquent, les dossiers à traiter, eux, se multiplient. À Nice on a enregistré l'an dernier 16 802 nouvelles affaires civiles, soit 8% de plus que l'année précédente. Au pénal, le nombre de jugements en correctionnelle a augmenté de 3%, ceux devant la cour d'assises de 8%.
+23% d'affaires de stupéfiants à Grasse
À Grasse, le nombre de nouvelles affaires civiles est en hausse de 4% sur un an, comme celui des jugements en correctionnelle. Dans le ressort du parquet de Grasse, les affaires liées aux trafics de drogue sont en hausse de 23% en un an.
"Les trafics de stupéfiants et les violences graves ne cessent de prendre de l’ampleur, assure le procureur Savarzeix. Pour vous donner une idée de l’aggravation du phénomène : en 2023, 334 personnes étaient mises en cause pour des infractions de trafic de stupéfiants, pour 412 en 2024".
L'une des plus marquantes de l'année 2024 est l'affaire Sparrow, le pseudonyme — référence au film Pirates des Caraïbes — utilisé sur la messagerie Telegram pour écouler la drogue. Cette enquête, menée par la police judiciaire de Nice (SIPJ), sous la direction de magistrats grassois, a permis de démanteler un réseau qui importait de la cocaïne des Pays-Bas pour l’écouler à Cannes, Mougins, Le Cannet et Vallauris.