"Au cœur de l’annonce" met en lumière les défis auxquels sont confrontés les médecins lors des annonces difficiles. A l’hôpital de la Timone, une formation novatrice fait appel à des simulations pour développer l’empathie des internes. Un film fort et touchant sur un sujet universel.
Il est des paroles bouleversantes qu’on ne voudrait jamais avoir à entendre, ni à prononcer. Pourtant, dans le service de réanimation pédiatrique de la Timone, le quotidien des médecins est fait de diagnostics graves à annoncer aux familles.
Des moments délicats qui posent toujours question : jusqu’où faut-il être en empathie avec les patients et leurs proches ? Faut-il maintenir la distance ou être à l’écoute de ses propres émotions ? Comment être moins violent et ne pas rajouter du mal au mal ? Comment trouver les mots justes ?
En début de carrière, j’avais peur de dire "décédé", "mort", j’ai dû dire une fois "parti"… Parti où ? C’est-à-dire ? J’ai lu dans le regard des gens qu’effectivement ils n’avaient pas compris ce que je leur avais expliqué.
Véronique, médecin urgentiste
Dans les coulisses de l’hôpital, une formation novatrice est proposée aux internes pour les sensibiliser et développer l'empathie au moment d'annonces délicates. Cela interroge aussi les médecins plus expérimentés.
Jamais abordé en école de médecine, ce moment fondateur est mis en lumière dans des simulations et des jeux de rôle où l'annonce est faite à de faux patients. Le détour surprenant par la fiction, avec le concours d’acteurs, permet de chercher des solutions aux failles du réel.
"C'était extrêmement tabou"
"Je crois que ce sont des choses qui peuvent nous aider, nous aussi, à affronter ces situations difficiles. Il y a des gens qui les vivent très mal. Pendant très longtemps on n’en parlait pas, c’était extrêmement tabou, il fallait prendre de la distance, on nous apprenait même à mettre des barrières, à ne pas s’investir émotionnellement" raconte dans le film le professeur Fabrice Michel, chef du service de réanimation pédiatrique, qui a conçu et co-anime cette formation à l'annonce. "C’est sur ces choses-là qu'on essaie de revenir pour expliquer que le fait de vivre ça, d’accompagner les familles, ça peut nous aider à nous rendre compte qu’on a aussi servi à quelque chose dans ces situations catastrophiques."
Nathalie Paoli, fondatrice de l’association Le Point rose, souligne l’importance de "ces micro gestes, ces micro attentions qui raccrochent les parents à la vie et qui leur donnent l’espoir que quelque chose est encore possible, même au moment où tout semble s’arrêter".
L'appui de l'intelligence artificielle
Le film nous fait découvrir aussi Camille, un avatar créé par des chercheurs de l’université Aix-Marseille pour que davantage de médecins puissent s'entraîner à annoncer des mauvaises nouvelles : une fois, deux fois, trois fois… En regardant mieux dans les yeux, en évinçant les termes techniques, en évitant les périphrases.
Une intelligence artificielle pour aider les médecins à devenir plus humains ? Camille est certes visiblement factice, mais dans la solitude de son lit d’hôpital, elle est peut-être capable de jouer le miroir de chacun d'entre nous, potentiels patients.
En traversant des situations émotionnelles fortes, le film nous plonge dans la réflexion des soignants sur ce qui est au cœur de leur travail : la relation à l'autre.
Notre rôle aussi c’est d’être là, présents et d’apporter le maximum de réconfort. Juste être là. Une présence, des fois c’est mieux que 1000 mots.
Marion, interne
A l’heure où le système hospitalier est à bout de souffle et où les soignants se battent pour conserver leur part d’humanité, un changement est en cours dans la relation médecin-patient.
Questions à Daniela Lanzuisi, réalisatrice du documentaire
Comment est né le projet de ce film ?
Nous avons tous de près ou de loin, directement ou indirectement, une expérience de la maladie et de l'annonce de mauvaise nouvelle. Bien sûr, ce sont les mauvaises annonces qui marquent. Il y a un souvenir diffus qui hante mon enfance, la maladie de mon oncle et les mots de ma tante qui parlait d’un médecin comme d’un monstre que j’imaginais tel un dragon crachant du feu. Ce que j’avais compris enfant, c’est que les paroles du médecin avaient tué mon oncle. De fait le médecin, avec ses mots, avait privé mon oncle de tout espoir de survie, de tout désir de se battre contre la maladie.
Aujourd’hui, grâce à ce film, je sais aussi que ce médecin n’était pas forcément un monstre. Que dépassé par la difficulté de ce moment et par ses propres états d’âme, il n’avait peut-être pas su faire autrement que de se libérer au plus vite de cet énième fardeau, comme pour se préserver.
Quand j'ai rencontré Magalie Ochs, chercheuse qui travaillait sur ces questions, j'ai compris que les choses étaient enfin en train de changer dans la relation médecin/patient. Grâce à son projet de recherche, j'ai découvert que des nombreuses formations à l'annonce, basées sur des simulations pour et par les médecins, se mettent doucement en place partout en France, bien qu'avec une certaine difficulté.
Au départ, j'imaginais me concentrer sur les formations, au plus loin de la maladie et des hôpitaux. Ce qui m'intéressait était le jeu de rôle, la compréhension que cela peut amener de vivre une expérience véritable, bien que fictive. J'ai visité plusieurs centres de formation qui pratiquent des formations à l'annonce par simulation.
Mais quand avec ma productrice nous avons décidé de tourner uniquement à Marseille, je n'arrivais pas à trouver la même offre de formation. Puis j'ai rencontré les deux médecins formateurs de la réanimation pédiatrique de la Timone et j'ai décidé de travailler avec eux, au sein même de l'hôpital, ce qui est plus rare. Je n'avais pas tout à fait anticipé la difficulté que ce serait de tourner sur le vif, au sein d'un service aussi délicat que la réanimation pédiatrique.
Pour aborder ce sujet délicat, qui questionne les pratiques médicales, avez-vous rencontré des difficultés, des résistances particulières durant le tournage ?
Non, au contraire, car pendant les 3 ans qu'a duré le travail d'écriture et de recherche sur ces questions, je n'ai rencontré que des médecins et soignants sensibles à la cause, extrêmement engagés sur la question du relationnel au patient, volontaires, moteurs de leurs formations et ravis d'avoir enfin un peu de visibilité.
Ce qui m'a surprise, c'est au contraire la difficulté qu'ils avaient eux-mêmes à mener à bien leurs formations, n'étant parfois pas soutenus par la hiérarchie, étant découragés par le manque de moyens et de temps. La plupart d'entre eux doivent se battre pour pouvoir assurer ces formations car ce n'est pas considéré comme prioritaire au sein de l'hôpital, malgré les recommandations de la Haute autorité de santé.
Je voulais donc rendre hommage à tous ces médecins qui ont le courage et la force de se mobiliser sur ces questions.
La prise en compte de l’impact des annonces de diagnostics graves ou fatals, semble en définitive assez récente. Pour quelle raison, d’après vous ?
Je crois que c'est aux médecins de répondre à cette question car il faut un recul que je ne peux pas avoir. Mais il est certain que le rôle du médecin a changé dans les dernières décennies, et avec lui la relation avec le patient qui n'est plus laissé à l'écart, ignorant de ce qui lui arrive, pas considéré.
Récemment, plusieurs recherches scientifiques ont aussi démontré l'ampleur de l'impact de l'annonce sur le suivi du traitement, l'évolution de la maladie et même les chances de survie. La médecine change et avec elle le relationnel au patient et la prise de conscience de son pouvoir d'agir sur sa maladie.
Qu’est-ce qui vous a le plus marquée durant le tournage ?
Tourner au sein de la réanimation pédiatrique a été marquant du début à la fin pour mon équipe et moi-même. C'est un lieu où l'on côtoie la vie et la mort, le miracle et la tragédie, c'était très délicat de trouver notre place dans ce que j'appelais au moment du tournage "le cœur du réacteur" tant ce lieu était chargé pour moi. Nous y avons côtoyé des soignants et des familles remarquables, qui ne sont pas tous dans le film, et que je ne suis pas près d'oublier.
J'étais surprise aussi de découvrir l'ampleur de l'impact que le travail et certaines annonces peuvent avoir sur les soignants eux-mêmes. Avant d’entamer ce film, je ne soupçonnais pas à quel point cet impact est durable sur les soignants dans leur vie personnelle. C’est ce à quoi on assiste en début de film, quand la formation à l’annonce au sein du SMUR devient l’occasion de livrer une certaine fragilité qui peut habiter les médecins au moment d'annoncer le pire. C'est ce qu’expriment les infirmières également. Le film s'ouvre et se clôt avec cet enjeu d'ailleurs.
Au cœur de l’annonce
Un film de 52 min écrit et réalisé par Daniela Lanzuisi.
Une coproduction Drôle de Trame / France Télévisions.
Diffusion jeudi 19 octobre 2023 à 22h55 sur France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur.