L'annonce de la fermeture des Galeries Lafayette ébranle le monde de la mode à Marseille. C'est le signe d'un lien familial brisé pour les salariés, et pour le syndicat Mode in Sud, la fin d'un levier d'attractivité non négligeable.
L'annonce est tombée comme un couperet, ce lundi 21 janvier, en pleine période de soldes. Les Galeries Lafayette vont baisser le rideau à Marseille d'ici la fin de l'année 2025. Cette fermeture concerne les deux magasins phocéens : celui du centre Bourse ainsi que celui du centre commercial Prado Shopping, à côté du stade Vélodrome.
Une douche froide pour les 145 employés qui n'ont pas vu la castrophe arriver. "Ils sont complètement abasourdis, témoigne Michèle Fanucchi, secrétaire du CSE des deux magasins marseillais et déléguée syndicale centrale Force ouvrière. On ne s'attendait pas à la fermeture des deux sites, on avait quand même un peu des doutes sur le magasin de Bourse, c'était celui qui nous inquiétait le plus. Mais là, d'apprendre que les deux sites allaient fermer, c'était vraiment un coup de massue".
Dans les explications de la direction des Galeries Lafayette, il est avancé que la clientèle du magasin du centre Bourse "ne correspond plus à l'offre" et recherche des produits "plus accessibles". Quant au Prado, la faute à de nombreux locaux vacants dans le centre commercial, ainsi qu'à la proximité du stade. "C'est le centre commercial qui n'a jamais évolué, de confirmer Michèle Fanucchi. Il y a beaucoup de cellules qui sont restées vides, beaucoup d'enseignes qui sont parties".
Une famille qui éclate
Une cellule psychologique a été mise en place dès lundi pour les salariés, certains travaillant depuis des décennies dans l'entreprise.
Pour certains salariés, ce n'est pas leur travail qu'ils perdent mais ce lien familial qu'on a entre nous.
Michèle Fanucchi, secrétaire du CSE des deux magasins marseillais et déléguée syndicale centrale Force ouvrièreFrance 3 Provence-Alpes
"Certains salariés m'ont dit : 'Je perds ma famille', poursuit la représentante syndicale. Moi personnellement je rentre dans ma 35e année d'ancienneté. On a vécu notre vie tous ensemble, l'évolution de chacun, donc il y a ça aussi qu'il faut gérer. Et c'est compliqué".
La fin d'un lieu attractif ancré dans les habitudes
Une famille et un repère pour de nombreux clients, habitués à l'enseigne. "Nos clients sont aussi abasourdis, autant que les salariés", insiste Micèle Fanucchi. Aller aux "Nouvelles Galeries", comme certains le disent encore, était devenu une sortie habituelle pour beaucoup. "Les Galeries, comme partout où elles sont implantées, relèvent du patrimoine commercial tant elles sont ancrées dans les habitudes des habitants", analyse le syndicat Mode in Sud dans un communiqué.
"Les Galeries Lafayette, partout où elles sont implantées, sont un outil d'attraction, un lieu de destination, note le président du syndicat, Jocelyn Meire. On sait qu’on trouve dans un seul lieu une proposition diverse, en y allant, on en profite pour aller voir d’autres commerçants, cela contribue à l’attractivité du centre-ville".
La fin d'une pépinière de jeunes marques
Pour le syndicat, cette fermeture constitue une "double mauvaise nouvelle". D'abord parce que les Galeries ne joueront plus ce rôle d'attractivité, et ensuite parce qu'elles sont, "depuis toujours", des lieux qui "contribuent à valoriser les marques". Qu'il s'agisse de grosses marques qui n'ont tout simplement pas de magasins implantés dans la ville, ou de jeunes marques.
"Régulièrement, on peut y trouver de la jeune création locale pour lesquelles, c'est souvent la première fois qu'on les trouve en boutique, explique Jocelyn Meire. Je pense à Ruban rouge, Cagole Nomade, Kiss Die..."
"C'est donc une mauvaise nouvelle pour l’écosystème mode de notre territoire, en particulier pour les plus petits d'entre nous", résume le syndicat Mode in Sud pour qui cette fermeture est intimement liée à l'évolution des modes de consommation.
"Les vêtements jetables achetés en ligne, qui inondent littéralement le marché, sont la cause principale de la décision du groupe de quitter Marseille. C'est la concurrence déloyale de produits de mauvaise qualité, de provenance notamment chinoise, qui diminue la consommation dans les commerces."
Le géant chinois symbole de la fast-fashion Shein est particulièrement visé. "Un énorme acteur dans l'offre de consommation en ligne". Un groupe récemment rejoint par Christophe Castaner. L'ancien ministre a en effet intégré le Comité régional stratégique crée par SHEIN fin 2024.
Un vide à combler
Le départ des Galeries Lafayette va laisser de grands locaux vides, tant au centre Bourse qu'au Prado. Dans un communiqué, la Ville de Marseille indique qu'elle sera "particulièrement vigilante et active dans la recherche de projets ou d'activités pour consolider le dynamisme du centre-ville".
De son côté, Mode in Sud espère que cette page blanche puisse amener une évolution "constructive pour le centre-ville de la deuxième ville de France". "J'essaye de trouver de l'optimiste malgré tout", lance Jocelyn Meire. "Cela peut être l'occasion de redéfinir une offre commerciale et pourquoi pas de trouver une dynamique nouvelle. On est disposés à participer à une démarche collective, chiche !".
De la mode... à la justice
Deux jours après l'annonce de la fermeture des magasins, un autre projet a déjà germé, très loin du monde de la mode. Craignant des fermetures en cascades de magasins de mode, la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) Aix-Marseille-Provence imagine transformer le Centre Bourse en cité judiciaire.
"Cela permettra aux magistrats d'avoir des locaux beaucoup plus vite que ceux qui sont prévus pour 2030-2035 à Euro Méditerranée", a estimé ce jeudi Jean-Luc-Chauvin, président de la CCI au micro de France Bleu Provence.
"Ça coûtera beaucoup moins cher au contribuable puisqu'il n'y a que de l'aménagement à faire (...) vu l'état des finances de la France, je pense que ce n'est pas négligeable. Et cela permettra de conserver une activité essentielle de justice au cœur de la ville et de redynamiser le secteur."
Dans l'immédiat, les magasins restent ouverts au public. Du côté des salariés, les négociations pour les reclassements commencent ce vendredi.
Article écrit avec Frédéric Renard, journaliste à France 3 Paca.