Le "contrat", émis par un détenu, visant un responsable de la prison marseillaise des Baumettes, constitue des menaces de mort inédites sur du personnel pénitentiaire. La représentante syndicale FO-Justice du centre de détention alerte sur la situation.
Deux individus armés et cagoulés ont été interpellés dans la nuit du 1ᵉʳ décembre à Marseille. Ils se trouvaient à proximité du domicile d'un agent pénitentiaire de la prison des Baumettes, menacé de mort depuis plusieurs jours. Le détenu à l'origine du "contrat", soupçonné appartenir à la DZ Mafia, a été placé en garde à vue.
DISP PACA-Corse : Sécurité des agents en danger !!!https://t.co/OyzpmxpZrO
— FO JUSTICE (@SyndFoJustice) December 4, 2024
Dans un communiqué, FO-Justice, déplore un "seuil inédit", franchi avec ce "contrat pour assassinat" visant un cadre des Baumettes, posté sur les réseaux sociaux. Le syndicat, majoritaire en région Paca, pointe un incident "d'une gravité exceptionnelle", qui constitue "une véritable déclaration de guerre contre le personnel pénitentiaire". A fortiori à la prison des Baumettes, déjà sous l’emprise de narcotrafiquants qui font la loi.
Des surveillants pris pour cibles
Catherine Forzi est surveillante depuis 21 ans, aujourd'hui déléguée syndicale FO-Justice de la prison des Baumettes. Après un détour par la grande distribution et la métallurgie, elle dit avoir "passé le concours" par nécessité et pour la sécurité de l'emploi. "Ceux qui vous disent qu’ils deviennent agents pénitentiaires par vocation, ce n'est pas vrai ", affirme la quinquagénaire. Mais aujourd'hui, la sécurité de l'emploi résonne d'une tout autre manière. Les incidents à l'encontre des surveillants se multiplient et se répètent, devenant bientôt une habitude.
En juillet 2024, une surveillante de la prison d’Aix-Luynes a été violemment agressée par trois individus alors qu’elle rentrait chez elle, à la fin de son service. En juin, un jeune homme de 19 ans a été payé 5 000 euros par un prisonnier pour incendier le véhicule d’une surveillante de la prison d’Aix-en-Provence. En septembre dernier, un départ de feu a été signalé devant la porte d'entrée du domicile d'un agent dans "la résidence qui est située au-dessus des Baumettes, tout le monde sait que ce sont des surveillants pénitentiaires qui habitent là-bas", précise Catherine Forzi.
Mais avec cette affaire de "contrat", la tête d’un personnel mis à prix pour 120 000 euros, dit-elle, "on n'a jamais connu quelque chose d'aussi grave. Là, ils montent vraiment en puissance, les jeunes voyous, n'ont plus de limites et plus de règles".
Des détenus qui ne reculent devant tien
Alors, en ce jeudi 5 décembre, jour de mobilisation nationale, pas question d'organiser une manifestation devant l'entrée du centre pénitentiaire de Marseille. Au risque d'exposer les personnels : "Nous ne sommes pas ici à l'intérieur d'un domaine pénitentiaire, comme cela existe ailleurs, avec un parking pour les personnels", explique Catherine Forzi, "ici les agents, à la fin de leur service, se retrouvent dans la rue, en pleine ville. Avec ce "contrat", on n'est pas à l'abri, vu la somme qui a été proposée, qu'il y en ait un qui vienne et tire à vue, en voyant des surveillants regroupés".
L'agent pénitentiaire visé par le contrat veut en parler le moins possible. Il ne veut pas que ses enfants soient impactés, sa femme est très mal. Il est sous protection policière.
Catherine Forzi, déléguée syndicale FO-Justice MarseilleFrance 3 Provence-Alpes
Dans les coursives, insultes et menaces font partie du quotidien. Les surveillants manquent d'effectifs pour procéder aux fouilles quotidiennes exigées par le Ministère, face à la recrudescence de téléphones portables en prison. Et puis, "les détenus en ont marre qu'on les fouille tous les jours, ils se révoltent", poursuit la syndicaliste. De toute façon," les téléphones ne sont pas détectés aux portiques et peuvent être apportés lors d’un parloir" et les personnels manquent à l'appel pour opérer des contrôles. Quant à déclarer les incidents, ils renoncent devant une paperasse bien trop chronophage. Difficile dans ces conditions, de "reprendre les rênes, les voyous ont pris le dessus sur nous. Et ils ne reculent devant rien".
"Les détenus nous rient au nez"
Pour son syndicat, il ne fait aucun doute que ce manque de moyens humains et administratifs fragilise d'autant plus les surveillants face à la surpopulation carcérale au sein de l'établissement marseillais :"424 agents pénitentiaires face à 1127 détenus, avec un taux d'occupation de 188%", résume Catherine Forzi. L'univers pénitentiaire, il est vrai, ne fait pas rêver, peine à recruter et à fidéliser ses agents, "même si les salaires ont un peu augmenté avec le passage en catégorie B".
Mais pour Catherine Forzi, la hiérarchie porte sa part de responsabilité. "Elle écoute la parole des détenus avant celle des agents et en cas d'agression, elle demande à consulter les vidéos". Un manque de soutien et de légitimation qui encourage "la tentation de baisser les bras". Pointés du doigt également, les magistrats et les juges qui classent sans suite les rapports d’incidents, "ce qui fait que les détenus nous rient au nez".
🔴 Trafic de drogue
— actu Lyon (@actufr_lyon) November 21, 2024
« Je n’irai pas jusqu’à parler de mexicanisation du pays » affirme le ministre de la Justice Didier Migaud, mais « les trafiquants ont des méthodes des cartels sud américains »
« Les remontées que l’on a (de la police) sont terribles » pic.twitter.com/6EIwAklUts
Discrédités et désarmés face à une situation qui leur échappe, les agents pénitentiaires des Baumettes sont, selon la responsable de FO-Justice, très affectés par ce dernier épisode médiatisé. Mais "ils redoutent que ce ne soit bien vite oublié, parce que les centres pénitentiaires, quoi qu'il en soit, doivent continuer à fonctionner".