Soixante-et-onze ans après l'appel de l'abbé Pierre, la communauté Emmaüs de la Pointe Rouge à Marseille refuse d'effacer le souvenir de son fondateur, malgré les accusations de violences sexuelles. Elle affiche en ce 1ᵉʳ février une nouvelle signalétique : "Ensemble, on continue"
Plus de logo, plus de portrait de l’abbé Pierre, mais la mention “Ensemble, on continue”. En ce jour du 1ᵉʳ février 2025, la communauté Emmaüs de la Pointe Rouge, située dans le 8ᵉ arrondissement de Marseille, poursuit son combat.
Et ce, malgré les accusations de violences sexuelles envers son fondateur. “Il n’est pas question d’effacer l’histoire”, souligne Kamel Fassatoui, responsable de la communauté marseillaise.
Car si Emmaüs France a décidé de retirer toutes les références au prêtre français de son association et notamment la mention « fondateur abbé Pierre », si la Fondation abbé Pierre a décidé de se renommer Fondation pour le Logement des Défavorisés, la communauté de Marseille la Pointe Rouge refuse de renier le travail de l'abbé Pierre.
"Si on continue de distribuer des colis, c'est grâce à lui"
Et le responsable de la communauté de la Pointe Rouge renchérit : “aujourd’hui, si on continue d’aider des hommes, des femmes, des enfants à la rue, de distribuer des colis, c’est grâce à lui”. Membre de l’association depuis 27 ans, il a eu l’occasion de rencontrer l’abbé Pierre à quelques reprises.
Dans la communauté, il était vu comme un père pour les compagnons. “Ces accusations remuent, surtout quand certains bénéficiaires arrivent après des ruptures violentes, mais c’est factuel, c’est grâce à lui qu’ils sont là”, explique Kamel Fassatoui. À côté de lui, l’un des jeunes compagnons ne parvient pas à s’exprimer sur le sujet : il est partagé entre la reconnaissance pour tout ce que le prêtre a fait pour lui et le dégoût en raison des violences qu’il a commises.
Kamel Fassatoui ajoute : “Que l’on soit clair, nous sommes du côté des victimes. Mais nous n’oublions pas les autres victimes, celles de la rue, de la précarité, qui comptent sur nous. Et tout ça, c’est grâce à l'abbé Pierre”.
La date symbolique du 1ᵉʳ février
Le travail de l’abbé Pierre avec Emmaüs a pris tout son sens le 1ᵉʳ février. “C’est une date symbolique pour Emmaüs puisque sans le 1ᵉʳ février 1954, sans l’appel au secours, on n'aurait pas pu sauver des milliers de personnes à la rue”, explique Kamel Fassatoui.
Ce jour-là, une femme meurt dans les rues de Paris. Une morte de trop pour l’abbé Pierre qui lance alors un appel à la solidarité sur les ondes de radio Luxembourg alors que le thermomètre dehors affiche –30 degrés. En voici un extrait :
"Mes amis, au secours... Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l'avait expulsée...”
Le lendemain, la presse titre sur l’insurrection à la bonté. Les dons de vêtements, de nourriture, d’argent, fusent. Et de cette initiative naît Emmaüs. Aujourd'hui, ce sont 120 communautés en France. Rien qu’à Marseille, ce sont 180 compagnons, 100 bénévoles, 9 responsables et 3 assistantes sociales répartis sur trois communautés.
“On va dire quoi aux futures générations ?"
“On n'oublie pas son passé de député”, renchérit Kamel Fassatoui. “Il a manifesté pour les sans-papiers, il a toujours défendu les sans-domiciles fixe”, ajoute-il. En effet, l’abbé Pierre a été élu député de la Meurthe-et-Moselle en octobre 1945 sous l’étiquette du mouvement républicain populaire (MRP) et s'est battu pour le droit au logement.
"Je pense qu’ils ont peur que les gens ne donnent plus d’argent parce qu’il y a cette tâche”, souligne le responsable de la communauté de la Pointe Rouge, évoquant la décision des instances de supprimer les références à l’abbe Pierre, et notamment le changement d’appellation de la Fondation qui portait son nom.
Il redoute de voir les valeurs de l’association, celles qui en faisaient sa spécificité disparaître. “Ils auraient au moins pu l’appeler la fondation Emmaüs pour les Défavorisés”, renchérit-il. “On va dire quoi aux futures générations ? On va dire qu’Emmaüs est né par des bénévoles ?”, finit par s'interroger Kamel Fassatoui. Il ne veut pas que l’on résume l’abbé Pierre à la violence, alors qu’il a également agi pour aider les plus défavorisés.