Choqué par le décès de quatre sans abris à Marseille depuis le début de l'année, Thierry, 53 ans, à la rue depuis deux ans, se confie à France 3 Provence-Alpes : "tout le monde nous voit et personne ne fait rien".
"Il faut attendre qu’il y ait des morts pour que quelque chose se passe ?", Thierry, 53 ans, à la rue depuis deux ans, lance un appel d'urgence. Il souligne l'inaction face à la souffrance visible et meurtrière des sans-abri dans la cité phocéenne. "Les gens passent devant nous comme si on faisait partie des meubles", constate celui qui assure chercher du travail tous les matins.
À Marseille, vous partez en bas de la Canebière, vous montez, et vous faites les rues transversales : tous les dix mètres il y a quelqu'un de seul, par terre, avec des enfants. Tout le monde s'en fou.
Thierry, sans abrisFrance 3 Provence-Alpes
Une équipe de France 3 Provence-Alpes a rencontré Thierry lors de la nuit de la solidarité organisée par la municipalité. Cette soirée permet de récolter les données des personnes sans abris pour ensuite orienter les politiques publiques. Cette quatrième édition est marquée par un contexte particulièrement préoccupant : quatre sans abris sont morts depuis le début de l'année à Marseille : trois hommes et une femme.
Lutter quotidiennement contre le froid...
Chaque soir, sourire aux lèvres, Thierry se débrouille. Au début du mois, il va à l'hôtel. Puis il dort chez des amis, dans des blocs d'immeubles ou dans des parkings. "On fait ce qu'on peut", assure-t-il, toujours en souriant. "On se gèle, mais ce n'est pas grave, c'est un moment à passer, il y a pire dans la vie". Et de préciser : "on met une grosse veste et deux pantalons. Et s'il fait vraiment trop froid et qu'on ne peut pas dormir, on marche. Il fait moins froid quand on marche."
Dormir, c'est juste un moment à passer avant que le jour ne se lève.
Thierry, sans abrisFrance 3 Provence-Alpes
Le Marseillais ne se plaint jamais de sa situation, mais ce soir-là, il est choqué d'apprendre le décès de quatre sans abris. "Ça fait peur parce que si demain, je m'endors au bord de la plage parce que je suis crevé, j'en peux plus, je peux me réveiller mort !" Il explique : "à Marseille, les gens arrivent, espèrent un El Dorado, mais il fait zéro degrés la nuit et ils sont dehors. Tout le monde voit, mais personne ne fait rien."
... Et les autres dangers de la rue
Thierry rappelle qu'il n'y a pas que le froid qui peut tuer une personne sans abris. "Les gens qu'on rencontre la nuit peuvent être un danger, ils peuvent péter un plomb, il y a plein de choses dangereuses." Et de compléter : "le logement, la nourriture, le travail : il faudrait régler un milliard de choses. Alors les gens déraillent, j'en vois de plus en plus".
Du moment que vous êtes dehors, livré à vous-même, vous êtes en danger.
Thierry, sans abrisFrance 3 Provence-Alpes
Thierry demande plus de souplesse aux pouvoirs publics. "Le métro est en travaux, qu'est-ce que ça fait que les gens soient sur le quai pour être au chaud ?", s'interroge-t-il. "Il y a des gymnases et plein d'autres bâtiments qui sont fermés. Ouvrez-les le soir ! Mettez un peu de chauffage. On ne demande pas un lit king size, juste de se mettre au chaud pour éviter les morts !"
Le froid plutôt que les hébergements d'urgence
Thierry est intransigeant sur un point : il n'ira jamais dormir dans un centre d'hébergement d'urgence, il préfère encore dormir dehors dans le froid. "Ce n'est pas mon monde", commence-t-il pudiquement. Et de développer : "il faudrait plus de centres d'accueil, c'est sûr, mais pas des endroits sordides comme on a à Marseille avec des rats qui montent sur les murs, des cafards, des punaises de lit". Celui qui n'appelle jamais le 115, espère voir un jour des structures "correctes, saines".
Il faudrait mettre un élu une nuit dans un centre comme Forbin par exemple. Le lendemain, il fermerait la structure.
Thierry, sans abrisFrance 3 Provence-Alpes
La ville de Marseille compte environ 7 500 places en hébergement d'urgence. Plus de 300 places supplémentaires ont été ouvertes l'année dernière par la municipalité. Mais ce chiffre semble encore loin des besoins : plus de 16 000 personnes, à Marseille, ont recours au moins une fois dans l'année, à l'hébergement d'urgence.
Le casse-tête du logement
Comment Thierry en est arrivé là ? Pour lui, les systèmes locatifs à courte durée favorisés par la plateforme Airbnb y sont pour beaucoup. "Je n'ai pas de logement parce que je suis au RSA" commence-t-il.
A Marseille, des logements il n'y en a plus parce que tout est loué aux Airbnb ! Et tout le monde s'en fiche. Il n'y a pas de loi, rien. Donc ma galère continue.
Thierry, sans abrisFrance 3 Provence-Alpes
Difficile de voir le bout du tunnel pour Thierry, qui ne trouve pas de logement à cause de la précarité de son emploi. "Parfois, je peux gagner 2 500 euros dans le mois grâce à l'intérim, mais ma situation ne change pas : je continue à dormir dehors parce qu'il n'y a pas de logement ! Les Airbnb nous ont tués. Avant, je trouvais des logements même pour quelques mois." Mais Thierry en est certain, "un jour ou l'autre", il aura "un coup de chance" : "je vais finir par trouver un travail qui dure et un logement".
Plus l'âge de l'emploi
Thierry a toujours travaillé dans les travaux publics. "Mais je rentre dans un âge où le travail ne veut plus de moi", remarque le quinquagénaire. "Avant, c'étaient les intérims qui m'appelaient, maintenant, c'est moi qui les appelle !"
À 53 ans, ils ont peur qu'on se fasse mal, alors, ils préfèrent prendre un jeune, qui, en plus, prétend à un petit salaire.
Thierry, sans abrisFrance 3 Provence-Alpes
Voilà deux ans que Thierry n'a plus de logement fixe. Et une fois qu'on est entré dans ce cercle vicieux, difficile d'en sortir : "tout est plus compliqué. J'avais fait une adresse CCAS, mais comme je reçois très peu de courrier et que si vous ne venez pas tous les deux mois ils vous virent, alors je me suis déclaré chez un ami". Sans compter les rendez-vous physiques qui n'existent presque plus à la Caf ou encore à France Travail : "je leur dis ma situation d'urgence et que je cherche du travail et ils me donnent un prochain rendez-vous dans trois semaines !"
Thierry est un optimiste. "Ça va très bien, très très bien même" assure-t-il, "malgré tout ce qu'il se passe, prendre nos repas grâce aux maraudes, on n'a pas d'appartement, mais on se dit que ça ira mieux demain, il n'y a rien à faire d'autre." Thierry souligne l'intérêt de la présence des associations qui viennent à sa rencontre. "Les têtes pensantes n'ont rien à faire de nous. Quand il a été élu, Macron avait dit qu'il n'y aurait plus personne dans la rue. On est sept ans plus tard et les gens sont encore dehors !"
Pour lui, le recensement lors de la nuit de la solidarité est surtout un moment convivial, d'échanges et de sourires. Il espère que le questionnaire qu'il a rempli ce soir-là, servira à faire remonter la situation pour l'améliorer.