À Marseille, il suffit de quelques clics sur les réseaux sociaux pour s'inviter aux soirées clandestines. Mais derrière, c'est toute une organisation. France 3 vous raconte l'ambiance de ces fêtes et sa rencontre avec des jeunes en quête de liberté, désireux de retrouver les boîtes de nuit.
L'adresse du lieu ne nous est dévoilée qu'à quelques heures du début de la soirée.
À peine arrivés sur le parking en face, nous nous faisons interpeller par un homme d’une trentaine d’année, casquette sur la tête : "Vous allez à l’after ?"
Avant de nous indiquer, à l'aide d'un faisceau bleu, la place sur laquelle se garer. Secrètement, sur le côté.
Tout semble bien organisé pour ne pas se faire repérer.
Devant l'établissement, deux autres hommes entrouvent la porte pour nous laisser entrer en toute discrétion. D’abord, dans un sas de 2 mètres carré pour payer l’entrée. "10 euros pour les garçons, gratuit pour les filles" lancent-ils. Puis, dans une salle obscure, décorée de néons rouges sur les murs et les plafonds.
"Entrez vite !" nous ordonne le videur.
00h05, la soirée débute timidement
Aux platines, deux DJ font résonner la musique RnB. Derrière le comptoir, une femme sert les boissons et un homme prépare les chichas. On commande. L’addition est salée et nous laisse penser, un court instant, que la soirée se passe sur les Champs-Elysées.
20 euros pour un coca et une canette de Redbull (la paille est offerte). 20 euros supplémentaire pour une chicha goût menthe, dont le parfum est imposé.
Nous nous installons sur les banquettes qui longent chaque côté de la pièce.
À nos côtés : Sofia* et Myriam*, de jeunes cousines à la chevelure d'ébène, âgées de 18 ans et d’origine marocaine. Spontanément, elles se tournent vers nous pour engager la conversation : "On habite à Nîmes mais on vient faire la fête à Marseille."
Habillées de la même façon, un jean brut et un haut noir, elles se décrivent comme de "très grosses fêtardes". Les deux complices ont l'habitude de ces nombreuses soirées clandestines organisées dans la cité phocéenne et pour lesquelles s'incruster (sans invitation) est presque un jeu d'enfant.
Il suffit de mener sa petite enquête sur Snapchat. Les organisateurs ne se cachent pas. Les lieux des soirées, eux, changent régulièrement et restent confidentiels.
À ce moment-là, une vingtaine de personnes sont présentes dans la salle.
"Ça va être blindé après vous allez voir !"
Louise*, les cheveux coiffés en chignon et les yeux en amende, est une habituée des lieux. Elle ne manque pas de rajouter : "Le week-end, c’est le bordel, il faut venir le samedi et le dimanche soir, il y a encore plus de monde ! Là on est quel jour ? Jeudi ? C’est un peu plus calme et encore ça va venir !"
Cabaret de raï à l'origine, ce lieu s'est transformé en bar à chicha / boîte de nuit avec l'arrivée de la pandémie de Covid-19. "Ouvert tous les jours sauf les lundis et mardis", explique l’un des habitués.
Quelques minutes à peine plus tard, un défilé de jeunes femmes, toutes plus pimpées les unes que les autres, démarre. Robe verte scintillante, pantalon jaune fluo, jupe noire échancrée...
Aux couleurs des tenues festives viennent s'ajouter celles des ballons de baudruche... non pas accrochés sur les murs mais aux lèvres de nombreux jeunes. Ils en aspirent le contenu : du protoxyde d’azote, plus connu sous le nom de gaz hilarant et dont beaucoup raffolent en soirée pour le sentiment euphorique qu'il provoque.
01h00, le volume sonore décolle
Le calme du début de soirée laisse place à l’ambiance boîte de nuit. Certaines décident même de troquer leurs talons aiguilles et bottines à paillettes pour chausser des baskets et investir la piste de danse.
Une vendeuse à la sauvette se glisse dans la foule pour vendre ses roses. Elle restera à danser toute la soirée.
Alors que nous filmons la salle désormais remplie d'une centaine de personnes, le serveur arrive en notre direction.
Pull nike, casquette à strass et masque sur le visage, il nous lâche d'un ton sec : "Arrêtez de snaper les gens, supprimez la vidéo !" À l’affût, il repart de suite vers une autre personne plus loin pour lui faire la même remarque.
02h30, "chut, la police est là !"
Soudain, la musique s'arrête. "Il y a la police, taisez vous !" s'exclame l'un des fêtards. Les organisateurs de la soirée scrutent leurs écrans vidéo derrière le comptoir et alertent à chaque passage des forces de l’ordre.
Pas de quoi inquiéter Karim*, 32 ans et père de deux enfants : "Qu’est-ce que tu veux qu’ils nous disent ? Ils vont rien faire !" lâche-t-il.
"Si on a connaissance d'une soirée au préalable, on intervient systématiquement avec des verbalisations et des interpellations, rétorque la Direction Départementale de la Sécurité Publique, au téléphone, le lendemain.
"Nous sommes en lien avec le parquet et nous prenons toutes les dispositions pour que les organisateurs soient par la suite convoqués en justice".
❌Intervention dimanche soir de @PoliceNat13?pour mettre fin à une soirée clandestine dans le 15e à #Marseille
— Préfète de police des Bouches-du-Rhône (@prefpolice13) May 25, 2021
?120 personnes verbalisées
?gérant de l'établissement en GAV pour mise en danger de la vie d'autrui & travail dissimulé
Respect du #CouvreFeu :mêmes règles pour tous pic.twitter.com/wvqSd7WY5T
Mais elle admet : "Une lutte en amont est plus compliqué car on n'est pas rendu destinataire des invitations via des groupes privés, la plupart du temps sur whatsapp ou Snapchat, où les organisateurs prennent de plus en plus de précautions".
"La surveillance des réseaux sociaux demande trop de personnels. On est plus centré sur du préventif. On ne peut pas passer notre temps sur Snapchat à essayer de guetter le nombre de soirée, il faut être rationnel."
Cette semaine, ils ont cependant fait irruption au milieu d'une soirée clandestine dans un bar à chicha. Résultat : 120 verbalisations.
"Non, on n'a pas le sentiment d'impuissance, loin de là, car on ne laisse pas faire ! On constate simplement l'irresponsabilité des gens."
Quotidiennement, des opérations de contrôle sont menés pour faire cesser les soirées clandestines telles que des patrouilles ou rondes dans les quartiers sensibles.
"Il faut dire aussi que les gens nous appellent régulièrement pour dénoncer un tapage nocturne, ce qui nous amène à mettre fin aux soirées", conclut notre source policière.
03h00, Bande organisée marque l'apogée
Le célèbre tube de l’été 2020 raisonne dans la pièce. Bande organisée, de Jul et sa bande de rappeurs marseillais, repris en coeur. La salle est comble.
Karim*, ouvrier dans le bâtiment, poursuit : "Je commence le chantier dans quelques heures, je ne vais pas dormir ! Si j’ai peur du Covid ? Non ! Je ne me suis pas confiné un seul jour et je me suis fait vacciné. J’ai demandé l’unidose au Stade Vélodrome !"
Mais il se vante de connaître un endroit plus huppé du côté de Toulon : "C’est le restaurant d’un ami qui fait boîte de nuit jusqu’à 02h00 du matin. C’est mieux là-bas, car ici le problème c’est qu’il fait rapidement chaud, on ne peut pas sortir quand on veut, c’est une pièce fermée..."
Son amie, Sarah*, 21 ans et aide-soignante, va dans son sens : "Personnellement, je suis confrontée tous les jours au Covid, alors ici je ne me sens pas plus en danger qu’ailleurs. On a fait des soirées comme ça tout l’hiver !"
04h00, la fête est finie
Cette fois, le nouveau passage de la police dans la rue adjacente marque le clap de fin.
On nous propose un second after pour poursuivre la soirée que nous déclinons. "Ne restez pas devant, il y a les condés !" alertent les jeunes avant de mettre les voiles.
*Les prénoms ont été modifiés.