Dans les quartiers nord de Marseille, les taux de vaccination sont encore bas par rapport à la moyenne nationale. Associations et acteurs institutionnels tentent d'en trouver les causes et de convaincre les réfractaires.
Certains chiffres sont plus éloquents que d'autres. A Marseille, les taux de vaccination par quartier disent beaucoup de la fracture sociale. Selon les dernières données rendues publiques par l'Assurance maladie, 46,5% des habitants du 15e arrondissement ont reçu au moins deux doses de vaccin. Dans le 8e arrondissement, ils sont 71,4%. Le premier secteur a l'un des taux de pauvreté les plus importants de France. Le deuxième est l'un des quartiers les plus riches du pays.
Mais l'accès à la vaccination n'est pas qu'une question d'argent. La mairie, l'Agence régionale de santé et leurs partenaires associatifs ont dû étudier les causes de cette fracture vaccinale pour mieux la combler.
Des causes multiples
"Même si les centres de vaccination municipaux sont assez centraux, il y a quand même une fracture de desserte des transports en commun qui existe", souligne Michèle Rubirola, première adjointe au maire de Marseille en charge de la santé publique. "Il peut y avoir une perte de confiance dans les pouvoirs publics. Des gens se sentent abandonnés."
Pour faire face à ce problème, la mairie a tissé des liens avec l'association Santé et environnement pour tous (Sept), qui informe les personnes des quartiers nord sur la vaccination. "C'est une population qui a été délaissée, livrée à elle-même, parfois sans offre de soin. Dans certaines zones les infirmiers ne se déplacent pas, il n'y a pas de médecins généralistes, les structures médicales ont fermé. Quand vous arrivez dans ce contexte après des dizaines d'années, il peut y avoir de la défiance", précise Yazid Attalah, le président de l'association.
"Quand vous n'avez pas de médecin ou de structure soignante pour en faire la promotion, la santé n'est plus la priorité. La priorité, ce sont les problèmes d'habitat, d'éducation, de sécurité… ", poursuit-il.
Quand vous n'avez pas de médecin ou de structure soignante pour en faire la promotion, la santé n'est plus la priorité.
Yazid Attalah, président de Sept
Dans certains cas, le problème vient aussi de l'accès à l'information. "Certaines personnes n'ont accès qu'à la langue, aux réseaux sociaux et aux informations de leur pays d'origine." Les médiatrices de Sept et leurs partenaires sont multilingues, pour faire face aux différents cas de figures.
"On rencontre aussi des personnes âgées, des personnes handicapées, des personnes particulièrement isolées qui ne comprennent pas le fonctionnent de Doctolib. Il faut les accompagner", ajoute Yazid Attalah.
Un taux de vaccination qui progresse
Pour lui, si les chiffres de la vaccination dans les quartiers nord sont toujours bien inférieurs à ceux des quartiers sud, il faut "observer la dynamique, ne pas voir le verre à moitié vide" : "on part de loin. Au mois d'août certains quartiers étaient à 25% de vaccination. Aujourd'hui on est à près de 50%."
Depuis mars 2021, trois mois après l'ouverture de la vaccination en France, l'association a développé plusieurs stratégies pour sensibiliser les habitants au vaccin.
Des stratégies pour toucher tout le monde
Elle a tissé des partenariats avec la ville de Marseille, l'Agence régionale de santé, l'assistance publique des hôpitaux de Marseille, les marins pompiers, des soignants ou encore d'autres associations pour appuyer ses actions.
D'abord, il a fallu récupérer les doses des médecins généralistes qui avaient des dotations mais ne souhaitaient pas vacciner dans leur cabinet.
Puis organiser des réunions de groupe dans les quartiers, à l'aide du tissu associatif déjà présent. "Pour nous,, il faut dans un premier temps écouter les gens, comprendre pourquoi ils ne se font pas vacciner et proposer des solutions", insiste Yazid Attalah. Lors de ces réunions, les personnes présentes peuvent par exemple visionner le témoignage d'une personne non-vaccinée atteinte par le Covid-19. Un médecin va rappeler les fondamentaux : qu'est-ce qu'un virus ? Qu'est-ce qu'un vaccin ? "Il faut s'adapter en fonction du public"
Autre option : le porte à porte. "On s'est rendu compte de son importance", souligne Yazid Attalah. "Cela permet de repérer les personnes qui ne fréquentent pas les associations, que ce soit par manque temps, d'envie ou parce qu'elle sont complètement isolées."
L'association estime que sur une action où elle rencontre 300 à 350 personnes, elle réussira à en convaincre 25 à 30% d'aller recevoir sa première dose de vaccin. "C'est énorme quand on voit l'énergie que cela demande. Nous ne sommes pas dans la même démarche que dans les centres de vaccination où les gens se rendent spontanément. Ici on est dans une démarche inversée."
Porte à porte et médiation
Les médiatrices de l'association font presque du cas par cas. Il faut réussir à convaincre cette mère qui a reçu sa première dose mais refuse d'effectuer les suivantes, cet homme qui a un faux pass sanitaire, enregistré par l'assurance maladie, mais veut finalement se faire vacciner. Combattre cette rumeur qui a envahi une cité, selon laquelle une jeune fille est tombée malade du fait de sa vaccination. "La première fois qu'on s'est rendus dans cette cité, cinq personnes seulement ont accepté de se faire vacciner. On a labouré le terrain et trois semaines plus tard, on a eu une quarantaine de primo-vaccinés. Je suis convaincu qu'on aurait le double si on revient", insiste le président de Sept. "Ce sont des cas de figures qu'un centre de vaccination n'aurait pas."
Dans ces territoires qui ont parfois la superficie d'une ville, chaque victoire, chaque nouveau vacciné compte. "Quand on fait du porte à porte dans des tous où vivent 400 personnes parfois on a le tournis. Sans nos partenaires on n'aurait pas pu faire tout cela", rappelle Yazid Attalah.
Nouvelles mesures
Face à la vague Omicron, la mairie de Marseille a annoncé de nouvelles mesures : désormais, plus besoin de rendez-vous pour se rendre dans les centres de vaccination municipaux Grand littoral ou Palais des phocéens (parc chanot). Pour les 75 ans et plus, la ville propose une vaccination à domicile. Elle a mis en place un numéro gratuit pour prendre rendez-vous. Il suffit désormais d'appeler au 0800 730 957.
Pour l'année 2022, Sept aimerait aller plus loin et proposer des vaccinobus, pour informer sur la vaccination, mais aussi poursuivre la vaccination dans les zones où aucune pharmacie ou soignant ne le propose.
En espérant, encore et toujours, sauver des vies, préserver des familles de tragédies évitables.
Dans les hôpitaux de Marseille ce 29 décembre, 86% des personnes en réanimation ne sont pas vaccinées. La veille, Yazid Attalah s'est rendu au chevet d'une famille dont la mère était décédée à l'étranger. L'un des fils ne pouvait pas voyager jusqu'au lieu de l'enterrement car il refuse le pass sanitaire. "Les gens s’infligent une telle douleur alors qu'on a la solution…"