Toute sa vie, Jennig a été la couturière et l’amie des prostituées de Marseille. Grâce à elles, elle a pu élever son fils René et lui payer de brillantes études. Un fils dont elle reste inséparable et complice. Portrait émouvant d’une femme libre.
Par Florence Brun
Jennig a 93 ans. Elle est fille de rescapés du génocide des Arméniens. À son arrivée en France, son père avait trouvé du travail dans les mines de Gardanne. Aujourd’hui, Jennig vit dans une maison construite sur le terrain qu’il avait péniblement pu acheter à l’époque.
Quand on observe Jennig au quotidien, on est frappé par son irrévérence et son franc-parler redoutable. Elle a un avis bien senti sur tout le monde : son fils, ses voisines, ses infirmières, son kiné… Elle joue de cette posture. Elle aime la controverse. Elle aime provoquer.
Heureusement qu’il y avait les putes, sinon où tu serais ? Au charbon !
Jennig était la couturière des prostituées de Marseille. Ce sont elles qui ont payé les études de René quand il est "monté" à Paris pour intégrer Normale sup.
Jennig s’identifie profondément à ces femmes mises au ban de la société qui, envers et contre tous, gardent leur fierté et leur liberté. Elle parle de "grande famille" : celle que l’on se choisit, à défaut de celle dont on hérite…
Une femme de caractère
Depuis son adolescence, Jennig n’a jamais supporté les règles édictées par sa famille : interdiction de sortir, de danser, de se maquiller, de fréquenter des garçons …
À 17 ans, elle fuyait, en passant par la fenêtre, les prétendants arméniens de 50 ans que sa mère lui présentait. Elle choisira elle-même son mari, un docker bagarreur, dont elle n’aura de cesse de se plaindre tout en cultivant pour lui une passion charnelle.
Une femme de caractère, et pourtant émouvante, qui se livre face à la caméra de Vasken Toranian.
"L’histoire de Jennig, c’est l’histoire d’une mère et de son fils qui se sont, chacun à leur manière, émancipés : Jennig s’est libérée des contraintes de son milieu familial. René, grâce à sa mère couturière et à l’argent des prostituées, a pu faire des études qui lui ont permis d’échapper à la reproduction sociale" analyse le réalisateur. "Cette ascension sociale n’a pas créé de distance entre eux, au contraire : René sait qu’il doit tout à sa mère et jamais il n’en a été aussi proche. C’est cette histoire d’amour que j’ai voulu raconter".
"Jennig" Un film de 52’ de Vasken Toranian. Produit par Robert Guédiguian et Marc Bordure. Une coproduction Agat Films et France Télévisions, en association avec Blue Light Films.
Diffusion lundi 9 mars en deuxième partie de soirée sur France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur.