Ce 17 janvier, la France célèbre les 50 ans de la dépénalisation de l'avortement, la loi étant entrée en vigueur deux mois après son adoption en novembre 1974. "Aucune femme ne recourt de gaîté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes". Ces mots ont été prononcés par Simone Veil, à cette date. 50 ans plus tard, Patricia Echevarria, avignonnaise d'origine chilienne, qui a avorté clandestinement juste avant, témoigne.
“Cet acte illégal, il ne faisait de mal à personne, c’était mon corps, mon choix". Patricia Echevarria, une jeune chilienne de 25 ans, fuit son pays natal et le coup d’État de septembre 73, “extrêmement répressif". Alors militante, elle obtient l’asile politique et le statut de réfugiée politique. Quelques jours après le renversement du Président du Chili en exercice, Patricia accouche de sa fille. Elle arrive en France, avec son bébé de quelques mois, fin de l’année 1973.
"La douche froide"
Seulement quelques mois après son arrivée en France, alors qu'elle ne maîtrise pas la langue, Patricia apprend qu’elle est enceinte. “Imaginez-moi… J’ai un bébé dans mes bras et je suis dans une situation extrêmement instable. C’est hors de question pour moi d’avoir un autre enfant", se replonge-t-elle. Elle décide alors d’interrompre sa grossesse, mais n’était pas prête à ce qui l’attendait. "Je parle de mon souhait aux Français que je connaissais, et on me dit qu’ici, avorter est interdit. Je ne pensais pas que c’était aussi réprimé, à ce moment-là. Je me faisais une idée de ce qu’était la France, c’est la douche froide pour moi", se souvient la femme, aujourd’hui âgée de 76 ans.
Rapidement mise en relation avec des membres du Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception (MLAC), elle apprend que des praticiens réalisent des avortements clandestins, moyennant un prix élevé. "
C’était l’équivalent d’un mois de salaire", lâche-t-elle, dénonçant la double peine des femmes ne disposant pas des moyens financiers pour y avoir recours.
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On lui indique alors une adresse, qui change régulièrement pour ne pas se faire repérer, afin d’assister à une “réunion". “J’y suis allée, avec mon français approximatif, et on m’a tout de suite accueillie. C’est une expérience qui m’a fait chaud au cœur, se remémore Patricia, qui a ressenti un fort sentiment de solitude lorsqu’elle a appris sa grossesse. Je me suis sentie entourée en tant qu’être, peu importe ce que je pensais, peu importe si j’avais les papiers, la Sécurité sociale…" Lors de cette entrevue, on lui explique le déroulé de l’intervention sous la méthode Karmann, lui montre les instruments… Patricia est très rassurée sur le plan sanitaire, elle qui avait de nombreuses appréhensions.
Quand on a un bébé, on ne peut pas mourir. Et c’est plus grave de perdre son utérus et ses ovaires, que d’aller trois mois en prison. Mais j’étais loin des risques qu’on encourait avec les faiseuses d’anges.
Patricia Echevarria, avignonaise d'origine chilienne
"Avorter, ce n'est pas un geste anodin"
“L’avortement, c’est comme un contre-la-montre. Il faut aller vite." La voilà, avec une autre chilienne, chez un homme, qu’elle présume étudiant en médecine. Deux jeunes femmes l'accompagnent. Patricia est venue avec une chilienne, qui, elle aussi, a décidé d’avorter. “Je m’en souviens très bien", souffle Patricia, 50 ans après. Une piqûre de Valium pour atténuer la douleur et un ressenti de règles extrêmement douloureuses. Mais elle tient à souligner l’impact psychologique d’un tel acte.
Même si on décide de ne pas donner suite à la grossesse, ce n’est pas un acte gratuit ni anodin. On est affectée par ce geste. On se retrouve dans une situation un peu triste.
Patricia Echevarria, avignonnaise d'origine chilienne
Pour Patricia, être dans l’illégalité passait au deuxième plan. “Le premier, c’était le soulagement, lâche-t-elle, comme un second souffle. C’est comme si je reprenais ma liberté, comme les gens qui sortent de prison", compare-t-elle.
"Cet acte illégal ne faisait de mal à personne"
La colère de Patricia, même 50 ans après, réside dans l’injustice. “J’ai trouvé cette illégalité honteuse. C’est honteux ce qu’ils nous ont fait, à nous les femmes. Cet acte illégal ne faisait de mal à personne. J’avais peur d’être expulsée, mais j’aurais assumé cette illégalité s’il avait fallu", argue-t-elle avant d’appuyer sur la double peine que vivaient les femmes qui n’avaient pas les moyens d’y avoir recours. “C’était impensable que la moitié de la population soit discriminée."
Patricia avoue que sans le MLAC, son expérience aurait été bien différente. Si quand elle apprend sa grossesse, elle se sent seule, ce sentiment se dissipe grâce au soutien qu’elle trouve auprès du mouvement. “La base du mouvement social était extrêmement puissante à ce moment-là et nous étions très nombreuses. On remplissait des avenues entières dans Paris et il n’y avait pas de divisions de classe sociale, de couleur de peau, d’orientation sexuelle…", insiste-t-elle.
On avait un souhait commun : la liberté des femmes de décider sur leur corps.
Patricia Echevarria, avignonnaise d'origine chilienne
Patricia en est sûre, sans cette force qui émanait du mouvement, le résultat n’aurait pas été ce qu’il est et 50 ans après, son témoignage est aujourd'hui encore un acte militant. “Les femmes ont montré qu’elles étaient capables de faire ce qu’elles ont fait."