Témoignages. "La politique de l'autruche ne nous aide pas" : des élèves et des parents sans prof à 5 mois du bac de français

Publié le Mis à jour le Écrit par Louise Beliaeff

Des élèves d'une classe de première n'ont pas de professeur de français depuis la rentrée au lycée Benoît de l'Isle-sur-la-Sorgue, dans le Vaucluse. Sans réponse de l'administration et avec le bac qui approche, les parents naviguent entre colère et désespoir.

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Parents cherchent prof désespérément. Au lycée Benoît de l'Isle-sur-la-Sorgue, à l'est d'Avignon, les élèves d'une classe de première n'ont pas cours de français depuis la rentrée, ou par-ci, par-là. Leur professeure de français, qui est aussi leur professeure principale, est absente depuis le 1ᵉʳ jour de classe, en septembre. "Elle a été remplacée quelques semaines entre la Toussaint et Noël par une enseignante contractuelle qui était enceinte... et qui est partie en congé maternité à Noël", explique Ludivine Magnus, représente des parents d'élèves, et surtout, mère très inquiète. Car depuis le 1ᵉʳ janvier, la chaise devant le tableau reste vide. Et le baccalauréat de français, c'est dans moins de cinq mois.

"Les élèves de cette classe n'ont jamais reçu les notes de bac blanc écrit passé en novembre. Ils n'ont d'ailleurs reçu qu'une seule note en français depuis le début de l'année", poursuit-elle. "Ils passent l'oral blanc juste après les vacances, mais nous n'avons aucune liste d'œuvres pour préparer l'examen."

Mon fils n'a pas écrit une ligne de français depuis un mois, il commence à être démotivé. 

Ludivine Magnus, délégué parents d'élèves au lycée Benoît de l'Isle-sur-la-Sorgue

France 3 Provence-Alpes

"Quelques jours avant l'épreuve écrite, on leur a donné une feuille indiquant comment faire un commentaire, soupire une autre maman, préférant rester anonyme. C'est la professeure qui est maintenant en congés maternité qui corrigeait. On ne sait pas où sont les copies, ni les notes, ni les annotations. Ce n'est pas la faute de la professeure enceinte. Mais comment peuvent-ils faire s'ils veulent s'améliorer ?"

Du côté des principaux concernés, les réactions divergent. "Certains élèves sont inquiets, d'autres voient que ça n'a pas l'air de stresser le lycée, donc ils estiment que, finalement, cela n'a pas forcément d'importance. Cela n'aide pas à les motiver"

Un "manque criant de considération" de l'administration

Outre les lacunes inévitables accumulées par les élèves dans cette matière pourtant fondamentale, les parents déplorent le "silence" de l'administration. "Nous avons envoyé des mails à la direction du lycée, au rectorat ainsi qu'à l'inspecteur des lettres, sans aucune réponse de leur part à tous", soupire Ludivine Magnus. 

"Nous savons bien que cela ne dépend pas de l'établissement, mais faire la politique de l'autruche ne nous aide pas. C'est la double peine. On subit une absence longue d'un professeur pas remplacé et en plus, il n'y a aucune communication. On a l'impression que c'est un manque de respect. Comme si on n'avait aucune valeur". 

"On se sent complètement méprisés, confirme la deuxième mère interrogée. Comme s'ils n'en avaient rien à faire des élèves. Ce manque de réponse est angoissant. On se dit qu'ils ne trouvent pas de solution, et ils préfèrent faire l'autruche".

À force de messages, Ludivine Magnus s'est vue proposer un rendez-vous ce jeudi à 18h. "Un rendez-vous téléphonique d'un quart d'heure alors que je demandais un rendez-vous physique. J'ai le sentiment qu'ils repoussent au maximum". 

J'en suis à mon 5ᵉ mail au rectorat. Je n'ai même pas reçu d'accusé de réception.

Mère d'élève au lycée Benoît

"On se doute que la direction est perdue, mais on a le sentiment que tout le monde s'en fout", lâche-t-elle, désabusée.

Des cours particuliers, pour ceux qui en ont les moyens

Pour palier le manque de professeur au lycée, certains parents d'élève ont fini par prendre un professeur particulier. C'est le cas de Ludivine : "J'ai trouvé quelqu'un, une professeure agrégée à 50 euros de l'heure. Tout le monde ne peut pas se le permettre."

"Finalement, on paye nos impôts pour l'éducation nationale et on repaye pour un professeur particulier. La réussite, c'est en fonction de ses moyens."

Normalement, l'Education nationale donne sa chance à tout le monde, là ce n'est pas plus le cas.

Ludivine Magnus

La solution du professeur particulier, en plus d'être onéreuse, n'est pas toujours aisée. "Les professeurs se retrouvent submergés de demande", explique une des mères inquiètes.

D'autres bouteilles à la mer ont été jetées, comme des petites annonces sur la page Facebook de la ville de L'Isle-sur-la-Sorgue. Un surveillant a également proposé des cours de soutien le mercredi après-midi aux élèves, pour les aider. "Pour essayer de sauver l'année, tout le monde s'y met et cherche une solution. Mais on ne peut pas rattraper le programme. C'est infaisable", se désole Ludivine.

Des profs, des élèves et des parents sous pression

Infaisable et stressant pour tout le monde. Maria Ignacio, responsable lycées au Snes-FSU de l'académie Aix-Marseille et elle-même professeure d'espagnol, en sait quelque chose. "Les collègues partent en congés en se sentant coupables, alors qu'ils ne le devraient pas. On a toujours ce stress de ne pas savoir si on va être remplacé. Les élèves nous écrivent sur Pronote : "Quand revenez-vous ? Comment on fait ?", la pression des élèves retombent sur les parents".

Une pression multipliée pour les classes à examen, comme c'est le cas en première. "La pression de Parcoursup est tellement forte, car on répète que ce sont les notes du bac de français en première qui vont être déterminantes. Cette angoisse est légitime parce que ces élèves seront notés au final comme les autres."

Et quand bien même remplaçant il y a, le stress de tout rattraper en peu de temps n'est pas négligeable, pointe Maria Ignacio. "Cette situation n'est bonne pour personne"

Dernier recours, les parents tentent d'obtenir un aménagement d'examen, pour l'oral du baccalauréat. Impossible, regrette Maria Ignacio. "Cela crée une véritable inégalité de traitement. Ce n'est pas acceptable".

C’est la responsabilité de l'institution de faire en sorte que chaque classe ait un professeur en face de lui.

Maria Ignacio, responsable lycées Snes-FSU Aix-Marseille

France 3 Paca

Crise de recrutement

Si la situation du lycée Benoît est alarmante, elle n'est "pas exceptionnelle", atteste Maria Ignacio. Selon les résultats d'une enquête réalisée en septembre par le syndicat des enseignants du second degré auprès de 893 établissements, il manquait au moins un professeur dans 56% des collèges et lycées français à la rentrée.

"On a alerté le rectorat en novembre sur les difficultés de remplacement des professeurs de lettres, poursuit Maria Ignacio. Ce qui est important de souligner, c'est que ce n'est pas un problème d'absentéisme des profs, mais un vrai problème de remplacement des professeurs qui se creuse aujourd'hui."

Le français et les mathématiques sont particulièrement concernés, du fait du grand nombre de postes à pourvoir. "Cette difficulté de recrutement est liée au salaire, mais aussi aux conditions de travail. C'est également lié à la volonté du gouvernement de réduire le nombre de postes". 

"Une baisse de 33% du nombre de postes ouvert depuis 2017", au niveau national, rapporte la responsable syndicale. "Pour retrouver le même taux d'encadrement qu'en 2017, il faudrait créer 10 617 postes". 

Au lieu de sécuriser un vivier de recrutement, le ministère le fragilise.

Maria Ignacio, Snes-FSU

En clair, il n'y a plus suffisamment de profs. Maria Ignacio fait état d'une baisse du nombre de TZR (titulaires sur zone de remplacement), ces jeunes professeurs en attente d'une affectation. "Les rectorats font désormais davantage appel aux contractuels, et ce, depuis la loi de transformation de la fonction publique de 2019." Les contractuels sont recrutés hors concours. "Ce sont souvent des étudiants", explique Maria. 

Or ces contractuels, encore faut-il en trouver. "Dans le Vaucluse, il y a moins d'étudiants, donc forcément, il y a moins de contractuels dispo. C'est plus éloigné des grandes villes, donc plus difficile de trouver des remplaçants."

De plus, les frais de déplacement du contractuel ne sont pas remboursés. "S'il vient de Marseille, c'est légitime qu'il refuse d'aller à Avignon. Ces personnes sont mal rémunérées, les conditions sont souvent précaires et il doit parfois faire des remplacements très éloignés les uns des autres"

Des contractuels qui, faute de budget, ne sont pas renouvelés. Un non-sens pour le Snes-FSU. 

Plusieurs rectorats n'ont plus les budgets pour renouveler des contrats de profs non-titulaires qui sont donc brutalement mis à la porte. Des économies sur le dos de nos collègues et des élèves. Et Anne Genetet qui disait ce matin que l'Ecole est une priorité 🙄 www.lyon.snes.edu/Les-personne...

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— Sophie Vénétitay (@svenetitay.bsky.social) 11 décembre 2024 à 12:23

L'enseignante évoque également le fameux "pacte" proposé par le gouvernement pour "masquer la crise de recrutement". Un dispositif datant de 2023 permettant à d'autres professeurs du même établissement de remplacer un collègue absent. Cela avait été testé au lycée Benoît en début d'année, mais rapidement arrêtée, son emploi du temps ne lui permettant pas d'assurer toutes les heures. 

"Cela ne peut pas fonctionner, estime Maria Ignacio. C'est très difficile de faire coïncider les horaires, quand ce n'est pas la matière. Parfois, on propose des cours d'espagnol à des élèves dont le professeur d'anglais est absent."

Crise de la vocation

Ce problème de recrutement est intimement lié au métier, qui attire de moins en moins. "Les professeurs sont moins bien payés qu'avant si on tient en compte l'inflation. Et les conditions de travail se dégradent, martèle Maria Ignacio. La France détient notamment le record d'Europe du plus grand nombre d'élèves par classe."

22 élèves par classe en primaire, et 26 au collège, selon les données compilées par la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance(Nouvelle fenêtre) (DEPP) du ministère de l'Éducation nationale, publiées en 2023, et portant sur l'année scolaire 2020-2021.

Ce ne doit pas être un sacrifice que d'être prof.

Maria Ignacio

"Il y a moins d'étudiants qui veulent passer le concours, c'est un fait. Tout comme l'augmentation très forte du nombre de démissions. Le mal-être des collègues en salle des profs est criant. Un découragement se met en place, mais on n'a l'impression que le ministère ne le ressent pas"

3185 postes aux concours enseignants du public et du privé n'ont pas été pourvus en 2024, selon le ministère de l'Éducation nationale. Des postes en moins, des heures perdues pour les élèves. La Fédération des Conseils de Parents d'Elèves (FCPE) a mis en ligne un outil, "Ouyapascours", pour que les parents puissent déclarer les heures perdues pour leurs enfants en cas de professeurs non remplacés. Au 20 janvier 2025, 1524 heures perdues dans les Bouches-du-Rhône, 234 heures dans le Vaucluse. Mais comment quantifier les lacunes culturelles que cela pourrait engendrer ? 

Contacté, le rectorat assure être "en recherche active de contractuels" pour la professeure de français du lycée Benoît.

"Ce secteur géographique et cette discipline sont en tension. Une vingtaine de candidatures sont en cours de validation par les corps d'inspection. Le poste d'enseignant de français pour ce lycée sera proposé prioritairement dès la validation des candidatures." 

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