En 1918, deux jeunes Corses, mutilés de guerre se sont retrouvés gardiens d'un phare à la pointe du Raz en Bretagne, un des plus dangereux d'Europe. Pour eux débute alors un nouvel enfer, comparable à celui des tranchées… Une histoire incroyable et complètement oubliée, que "Mémoire courte" vous propose de découvrir ce lundi 19 février à 20h45 sur ViaStella.
La pointe du Raz : le calvaire de Charles Mondoloni et Georges Ferracci
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, des centaines de milliers de mutilés tentent de retrouver une place dans la société civile. Débordé, l'État français n'a d'autre choix que de créer une loi qui leur réserve des postes dans l'administration. Des emplois, qui s’avèrent particulièrement inadaptés aux soldats mutilés. C'est ainsi que Charles Mondoloni et Georges Ferracci, deux jeunes Corses de Porto-Vecchio d'à peine 25 ans, sans expérience et fortement handicapés, obtiennent un poste de gardien de phare à la pointe du Raz. Pris au piège par une tempête centenaire, les deux hommes ne peuvent évacuer les lieux à cause de leur handicap. Ils échapperont de peu à la mort ! Leur calvaire va être tel, qu’il va faire la "Une" des principaux journaux parisiens de l’époque et agiter fortement les bancs de l’Assemblée Nationale. Ainsi, malgré eux, ils vont précipiter la mise en place d’une loi qui obligera les gardiens de phare à un minimum d’aptitudes physiques avant de prendre leur poste.
Mutilés de la Grande Guerre, des chiffres effarants et des pathologies multiples
La Première Guerre mondiale a fait 1,4 million de morts. Sur les 8 millions de soldats mobilisés en France, 3 millions seront blessés, souvent à plusieurs reprises. On dénombre 1,5 million d'invalides, dont 300.000 mutilés. La Corse a payé un lourd tribut : 55 000 hommes seront mobilisés entre 1914 et 1918, 10 à 12 000 seront tués. 57% de ceux qui reviendront vivants, seront mutilés ou réformés, soit 8835 invalides de guerre.
Outre les mutilations à proprement parler, les soldats souffrent de pathologies invalidantes moins visibles. Notamment, des atteintes pulmonaires, digestives, et mobilité réduite des membres, qui sont le résultat des fractures par balles avec "perte de matière" osseuse ou musculaire. Il est à noter que l’on parle alors d’invalides, pas de handicapés, mais l’idée est la même : des hommes dont les capacités physiques sont réduites. Parmi les mutilés, la moitié est d’anciens agriculteurs, profession qui par définition est très exigeante sur le plan physique.
Retour à la vie civile des mutilés de guerre, la double peine !
Dans la pratique, le retour à la vie civile pour les mutilés de guerre est une problématique complexe. Différentes associations et institutions comme le Ministère des Pensions ou l’Office national des mutilés et réformés vont être créées. Leur action va permettre la mise en place d'emplois réservés, encadrés par tout un arsenal législatif. Au total, 3 lois : la 1ère en 1916, remplacée par la loi de 1923, et celle de 1924 sur les entreprises privées. En sont les bénéficiaires dans l’ordre : invalides, veuves, orphelins, victimes de guerre. Malgré tout, ceux qui ont durement été touchés par la guerre, peinent à retrouver un emploi.
À l’échelle de la Corse, cette question est très prégnante : la société agropastorale persiste et la dureté de ce mode de vie pousse à l’exil, à la recherche de perspectives et d'emplois offerts dans l'administration. Un mouvement entamé bien avant la guerre, qui s'accélère après 1918. Ainsi par-delà la caricature ancienne d’une population insulaire avide de "places", le parcours de Charles Mondoloni et Georges Ferracci révèle une véritable misère. Ils ont bien conscience du danger qui les attend et la volonté d’y échapper mais ils sont dans l’impossibilité d’y renoncer faute de ressources financières.
Cette histoire, qui a pourtant défrayé la chronique à l’époque, a totalement été oubliée. Pour raviver notre mémoire, Luc Mondoloni recueillera le témoignage de Jérémy Mondoloni, arrière-petit-fils de Charles Mondoloni, ainsi que les points de vue de Richard Rechtman, psychiatre, spécialiste du traumatisme de guerre, Sébastien Ottavi, spécialiste de la Première Guerre mondiale en Corse et Michel Vergé-Franceschi, historien de la marine. Le réalisateur Olivier Chasle sera également l'invité de "Mémoire courte". En 2018, il a réalisé le documentaire " Un feu d’enfer", qui raconte le calvaire de Charles Mondoloni dans ce phare de la pointe du Raz et, qui interroge la société d'après-guerre sur la place qu'elle réservait aux "gueules cassées".
💻📺📲 "1918, des mutilés de guerre abandonnés", une histoire à découvrir dans "Mémoire courte" lundi 19 février à 20h45 sur ViaStella et en replay sur France.tv
L'émission sera suivie à 21h40 par la diffusion du documentaire "Un feu d'enfer", réalisé par Olivier Chasle, coproduction Bleu Iroise / France Télévisions.