En fin d’après midi, ce mercredi 8 Janvier, se tient une table ronde à Paris, à l’initiative du Ministre des Transports Frédéric Cuvillier. Cette réunion doit regrouper l’ensemble des syndicats grévistes (CGT, CGC, FO, CFDT, SAM…) et le Ministre et son cabinet.
Il s’agit de la première réunion de ce genre depuis le début de la grève qui touche les deux compagnies Méridionale et SNCM.
Le mouvement a débuté le 1er Janvier, mais les premiers préavis ont été déposés dès le 9 Décembre.
Ce délai, inhabituellement long, n’a pas débouché sur des négociations ou discussion préalables à la grève.
Du coup, une partie importante des personnels des deux compagnies estiment que « le gouvernement a tenté le pourrissement ».
Pour plusieurs observateurs, cette stratégie risque de mener au naufrage pur et simple de la compagnie.
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Qu’est ce que le ministère a à proposer ?
Si nous prenons la date de dépôt des premiers préavis, cela fait un mois que le gouvernement est dans un quasi silence radio.Aujourd’hui, mercredi 8 Janvier, Frédéric Cuvillier souhaite que la réunion soit « conclusive », le ministre des Transports ajoute que « le moment est venu que chacun prenne ses responsabilités ».
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Les formules sont jolies, mais de quoi parle-t-on ?
En quoi une table ronde peut-elle être « conclusive » et conclusive de quoi ?De la même façon, quelles « responsabilités » « chacun » peut-il prendre ?
Il n’est pas sur qu’une « fumée blanche » sorte de l’hôtel Roquelaure dans la nuit.
En effet, les deux principales revendications des syndicats n’ont pas été prises en compte depuis des mois, pour l’une et des années pour l’autre.
En quoi une table ronde peut t’elle éclaircir l’horizon ?
Déjà, certains craignent un ultimatum gouvernemental sur le thème « si vous ne reprenez pas le travail, le naufrage est imminent ».
La crainte d’une sorte de « chantage » est dans bien des esprits, surtout après les propos de Paul Giacobbi à la radio et le courrier de Paul Mairie Bartoli aux directions des deux comagnies (voir plus loin).
Un survol des deux principales revendications syndicales montre l’ampleur du problème.
Nous retiendrons le statut social des marins de la concurrence et la mise en place d’un plan industriel de relance de la SNCM.
Une concurrence faussée par les statuts sociaux
Pour la CGT, mais au-delà pour une partie importante du monde maritime, une concurrence loyale est impossible face au différentiel social qui sépare les compagnies françaises et la Corsica Ferries France.
Cette dernière navigue sous pavillon italien bis. Ce dernier permet des conditions sociales avantageuses par rapport au pavillon français dit de « première catégorie ».
Dans une conférence de presse donnée le mardi 7 Janvier, à Marseille, la CGT s’appuie sur une Directive européenne pour défendre le pavillon français.
Selon Christine Bonnefoi avocate de la CGT « en matière de cabotage entre une île et son continent, c’est le droit du pays qui s’applique ».
Autrement dit, le gouvernement ne pourrait pas se réfugier derrière des règlements européens, puisqu’une directive européenne donnerait tout pouvoir à un état en matière de cabotage.
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Jusqu’à présent le ministère des transports a défendu la position contraire. Dans l’entourage du ministre on estime que les règlements européens ne permettent pas à un pays d’imposer un pavillon.
Depuis 1999 le débat est ouvert et jamais tranché, autour d’une règle : dans l’Union Européenne, toute compagnie peut naviguer sous n’importe quel pavillon d’un des pays de l’Union.
Le pavillon c’est une chose, mais le statut social en est une autre.
Le débat reste ouvert, la concurrence est elle loyale quand l’un des concurrents navigue avec des équipages à statut social inférieur ?
C’est indéniablement le cas de la Corsica Ferries France. Cette dernière emploie des personnels avec des contrats de différentes nationalités, c’est ce que dit la CGT.
Des personnels sont employés sous contrat roumain.
Ce n’est pas un combat « nationaliste » que semble mener le syndicat. En effet, quel que soit la nationalité des personnels ce sont les conditions sociales (salaires, charges, fiscalités, conditions de travail…) qui font la différence sur un marché concurrentiel.
Ce débat sur le statut social des marins n’est pas circonscrit aux liaisons avec la Corse.
C’est bien l’avenir de profession de marin qui est posée pour la France. Les dernières inquiétudes viennent des écoles de la Marine Marchande.
Le gouvernement est-il prêt à entendre, aujourd’hui, ce qu’il n’écoutait pas hier ?
La table ronde devrait nous édifier.
Un plan industriel de relance adopté puis rejeté
Un PLT (Plan à Long Terme) a été validé deux fois (Juin et Septembre 2013) par l’actionnaire privé de la SNCM, VEOLIA-TRANSDEV. Il semble avoir reçu, à l’époque, l’accord du ministère des transports.Il s’agit d’un plan en quatre axes :
-Une Délégation de Service Public Corse-continent français (2014-2023). Cette DSP a été adoptée par l’assemblée de Corse le 6 Septembre dernier.
-La signature d’un pacte social à la SNCM, sur deux axes : rénovation des accords sociaux des marins et plan de départs volontaires de 500 personnes. Ces deux points ont été majoritairement adoptés par les salariés sous la forme d’un référendum, en Décembre.
-Le renouvellement de la flotte par l’achat de quatre navires neufs, aux nouvelles normes environnementales européennes. Première commande prévue le 1er Janvier 2014.
-Le maintien de l’activité actuelle de la compagnie, sur toutes les lignes : Corse, Marseille, Toulon, Nice et le Maghreb.
Si ce plan n’est pas appliqué, le coût social ne sera pas le même. On ne serait plus à « 500 départs volontaires » mais à bien plus de suppressions d’emplois.
La forte mobilisation sur cette grève, semble montrer que les salariés ont compris la « nuance » entre le PLT en suspend, et un plan bien plus couteux en emplois.
Rien qu’en Corse la SNCM emploie plus de 700 personnes, sans compter les emplois des fournisseurs.
Le monde politique entre attentisme, agressivité et position tardive
Du coté de la Région PACA (Provence Alpes Côte d’Azur), on entend des réactions des principales pointures politiques.
La dernière en date est un courrier du Président de la Région PACA, Michel Vauzelle (PS) envoyé au président de la République. Ce dernier ne fait aucune proposition concrète à l’exception de la tenue d’une « table ronde ».
De son coté, le maire de Marseille Jean Claude Gaudin (UMP) n’est pas en reste.
Dans une lettre datée du 6 Janvier, il demande « au gouvernement d’ouvrir le dialogue avec les organisations syndicales ».
Les élus PACA réalisent-ils, enfin, que la situation est grave ou bien assiste t’on à des manœuvres politiciennes à l’approche des élections municipales ? Dans les deux cas, le retard à l’allumage est certain. Même si de l’aveu de certains personnels « mieux vaut tard que jamais ».
Du coté des élus corses, l’attitude est différente. Apparemment, on note peu de compassion pour le sort de la SNCM.
Le groupe Corsica Libera (Nationaliste) pose une question sur l’application du « service social et solidaire » en cas de grève.
Même tonalité pour le Président de l’Office des Transports de la Corse (OTC) qui « pointe » les compagnies et les syndicats.
Plus grave, Paul Marie Bartoli menace même de rompre le contrat de DSP dans une lettre envoyée ajourd’hui aux Présidents des deux compagnies.
La lettre de P.M.Bartoli à la SNCM et à la CMN
La seule action commune entre PACA et la Corse a été faite par des élus communistes des deux Régions, fin Décembre, sous la forme d’un appel au gouvernement.
Enfin, du coté du Président du Conseil exécutif, Paul Giacobbi est mis en cause par la CGT dans un slogan peint sur un navire « Giacobbi suppôt de Corsica Ferries ». Aujourd’hui, sur la radio publique RCFM, Paul Giacobbi fait alusion aux “220 millions” de créance que la SNCM pourrait devoir à la CTC.
La position de deux membres du Conseil Exécutif n’est pas de nature à apaiser les esprits, à quelques heures de la table ronde au ministère des transports.
Pourquoi cette position des élus ?
Existe-t-il une réelle volonté de débloquer la situation ?Le Gouvernement ne joue t’il pas un double jeu ?
Ce dossier soulève bien des questions :
En haut lieu, n’a-t-on pas fait des promesses aux élus corses et à d’autres forces économiques, au détriment de la survie de la SNCM ?
Des organisations “socio professionelles” insulaires s’en prennent violemment aux deux compagnies dans un communiqué diffusé de mercredi 8 Janvier.
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CGPME Corsica Transports maritimes 8 janvier 2014
Assiste-t-on à une “union sacrée” contre la SNCM ?
La question est posée.
Des élus de gauche réagissent en Corse
"Injuste" souligne le communiste Michel StefaniVouloir sanctionner les opérateurs en visant les travailleurs en lutte -a déclaré ce 8 janvier le communiste Michel Stefani, conseiller territorial, est injuste et voué à l’échec.
Alors que les personnels de la CMN et de la SNCM expriment leurs inquiétudes maintenant depuis plusieurs mois que les 7 jours de grève montrent l’ampleur de celles-ci, l’Exécutif de la CTC dit s’employer hors des estrades à trouver une issue à cette situation.
Pour autant en tant qu’autorité délégante ce qui apparaît à cet instant ce sont les sanctions.
En effet nous entendons parler du contrat, des articles 22 et 39 portant respectivement sur la garantie de service et les pénalités infligées aux délégataires et de l’annexe 18 stipulant qu’un dépassement de la somme de 300 000 € soit 10 traversées non effectuées, le tout permettant de dénoncer unilatéralement la DSP au bénéfice de l’article 6.
C’est une drôle de façon de ramener la sérénité.
Ainsi, on relèvera que la question du service minimum, inscrite dans la DSP (avec un seul vote contre celui des élus communistes et citoyens du Front de gauche), ne se poserait plus indépendamment du caractère antisocial et illégal de cette disposition qui porte atteinte au droit de grève.
Au-delà de cet aspect on peut considérer que la négociation entamée tardivement par le Ministre des transports ce jour n’aurait plus de sens non plus. Ce serait faire peu de cas de sa lettre du 25 juin.
Dans le prolongement du Conseil de surveillance de la SNCM du 20 juin, le Ministre en effet se félicitait de « l’aboutissement de la démarche portée par tous les acteurs de ce dossier ». Deux éléments essentiels la structuraient : le renouvellement de 4 navires de la flotte et l’application du plan d’activités associé à l’exploitation de 8 navires.
Nous étions alors dans la phase d’attribution de la délégation de service public (DSP) et le ministre n’ignorait pas que la viabilité économique de l’offre conjointe CMN SNCM, en réponse à l’appel d’offres de la Collectivité territoriale de Corse, reposait pour une bonne partie sur ce plan de relance de la compagnie.
C’était si évident que le Ministre précisait : « concernant le renouvellement des navires, conformément aux orientations retenus le 20 juin par le Conseil de surveillance, les actionnaires, dont l’Etat, définissent actuellement les modalités de financement les plus adaptées ».
Ainsi il démontrait, après avoir rappelé que l’Etat engageait avec détermination « tous les recours en annulation et suspension des décisions de la Commission européenne », que la pérennité de la compagnie et du service public de continuité territoriale, reposait sur un ensemble de décisions et de choix politiques qui ne pouvaient attendre. 6 mois sont passés depuis.
Voila pourquoi vouloir sanctionner les opérateurs en visant les travailleurs en lutte est injuste et voué à l’échec.
Il serait plus judicieux aujourd’hui -conclut Michel Stefani- d’exiger du gouvernement qu’il assume sa parole pour garantir l’exécution de la DSP de continuité territoriale sur sa durée de 10 ans avec le renouvellement de la flotte, la réglementation sociale liée au pavillon français premier registre, la stabilisation du capital de la SNCM comme les élus communistes l’ont proposé.
"Inadmissible au XXI eme siècle" pour Emmanuelle de Gentili, conseillère exécutive de Corse
Je me réjouis de la décision du Premier ministre d’apporter à la SNCM les 30 M€ nécessaires pour couvrir ses besoins de trésorerie pour l'année 2014 - déclare dans un communiqué l'élue socialiste ce 8 janvier. Le renforcement des démarches vis-à-vis des institutions communautaires, pour remporter les contentieux en cours et assurer ainsi un avenir stable à la société, va également dans le sens des actes concrets que j’appelle de mes vœux. Je ne doute pas que cela constitue un premier pas de l’engagement du gouvernement auprès de la SNCM, pour la soutenir dans la voie de la modernisation et de la pérennisation ; voie dans laquelle la direction et les personnels se sont engagés de manière responsable, grâce au plan de développement industriel et du pacte social.
Or les événements de ces dernières semaines nous montrent à quel point la situation de la Corse du point de vue de ses transports et de ses liaisons maritimes, reste vulnérable. Nous nous retrouvons à nouveau dans un contexte de blocage et d’incertitudes pour les usagers, les transporteurs et l’approvisionnement de l’Ile. C’est un problème récurrent qui est inadmissible au XXIème siècle. Le transport maritime assure 90% du flux commercial mondial. C’est un facteur de développement économique, sauf en Corse où cela reste un frein ! Parce que l’ile reste à la merci d’un actionnaire, VEOLIA, sourd et aveugle à sa situation et qui ne croit pas en l’avenir de la SNCM.
Le plus important reste le développement de la Corse et les conditions de vie des corses. Cet énième épisode nous rappelle qu’elle doit maîtriser ses transports. Elle doit se doter de matériels aux normes, adaptés à ses besoins et à ses enjeux économiques afin de lui permettre de se développer en toute sérénité. Collectivités, entreprises et individus, nous faisons ensemble des efforts importants pour assurer l’avenir de notre île par nos investissements, notre créativité et nos engagements. Ce n’est pas pour que tout cela soit remis en cause par un problème qui nous dépasse.
J’en appelle - déclare en conclusion Emmanuelle de Gentili- donc une nouvelle fois à l’Etat en tant qu’actionnaire de la SNCM et garant de l’équité entre les territoires, pour qu’il rassure rapidement et définitivement tous les personnels sur l’avenir de la SNCM et que soit mis fin dans les plus brefs délais à une grève qui pénalise l’économie corse et les insulaires.