30 ans de l'assassinat du juge Falcone : "il a été décisif dans la lutte antimafia en Italie" pour le collectif Massimu Susini

Ce 23 mai marque les 30 ans de l'assassinat du juge antimafia italien, Giovanni Falcone, par la Cosa Nostra. À Palerme les commémorations ont rassemblé officiels et milliers de personnes issues de la société civile. Entretien avec Jean-Toussaint Plasenzotti, un des fondateurs du collectif antimafia Massimu Susini.

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L'Italie a rendu hommage, lundi, au juge antimafia Giovanni Falcone, assassiné dans un attentat à la bombe par Cosa Nostra il y trente ans et dont le "courage" a été salué par le Premier ministre Mario Draghi.

Le 23 mai 1992 à 17h58, une charge de 500 kilos de TNT et nitrate d'ammonium éventre une portion de l'autoroute qui mène à l'aéroport de Palerme, pulvérisant une voiture de l'escorte du juge Falcone, projetée à plusieurs centaines de mètres. Les trois policiers à bord sont tués.

Dans l'autre voiture, une Fiat Croma blanche blindée, le juge Falcone, qui conduit, et son épouse Francesca Morvillo, côté passager, sont mortellement blessés. Seul leur chauffeur, assis à l'arrière, survit.

Le juge Falcone, symbole du sursaut de l'Etat italien face à Cosa Nostra, avait notamment instruit le premier "maxi-procès" de la mafia ayant conduit en 1987 à la condamnation de centaines de mafieux et instauré les premières lois antimafia dans le pays.

Le procureur du parquet antimafia Paolo Borsellino, considéré comme "le frère siamois" de Falcone, finit lui aussi tué dans un attentat à la bombe avec cinq membres de son escorte le 19 juillet, 57 jours après son ami.

Jean-Toussaint Plasenzotti, un des fondateurs du collectif antimafia Massimu Susini a participé à ces commémorations. Il répond aux questions de France 3 Corse ViaStella. 

  • Que représente le juge Falcone pour vous et plus largement pour le collectif antimafia que vous avez créé ?

Le juge Falcone représente beaucoup, pour beaucoup de monde parce qu'il a été décisif dans la lutte antimafia. C'est lui, avec le juge Borsellino, qui ont permis de donné un coup très important au crime organisé en Italie.

Il a mis à exécution les lois antimafia qui ont permis notamment la création du statut de coopérateur de justice, qui réside par exemple en des remises de peine. Avec tout cet arsenal, il a rendu possible le démantèlement de systèmes mafieux. C'est également lui qui met en place le délit d'association mafieuse et la confiscation des biens mafieux. 

  • Mario Draghi, Premier ministre italien, a salué "l'héroïsme" des juges Falcone et Borsellino qui a permis "d'enraciner les valeurs de l'antimafia dans la société" italienne. Pourquoi, selon vous, cet enracinement est plus difficile en Corse ?

Le phénomène mafieux est plus ancien en Italie, il date de la réunification du pays au XIXe siècle. Un siècle plus tard, apparaissent les premières lois antimafia, en 1982. S'en suivent les assassinats des juges Falcone et Borsellino. Et aujourd'hui, lorsque l'on marche à Palerme, il y a des plaques rappelant les assassinats perpétrés par la mafia à chaque endroit où ils se sont déroulés.

Mais avant cet enracinement dans la société civile, cette idée a progressivement gagné les autorités. Ca n'a pas été facile puisque ces dernières ont souvent bloqué l'avancée de certaines enquêtes. Il a notamment été démontré des complicités graves. Les lois italiennes ont été écrites par le sang des martyrs tués par la mafia.

En Corse, le phénomène est nouveau et date des années 1980, et il est en mode accéléré. Nouveau, car l'État français est un État centralisé et il n'y avait aucun intérêt pour le crime organisé à être en Corse. Aujourd'hui, par exemple, avec l'évolution des compétences et de décisions notamment au niveau des marchés publics il y a un développement du crime organisé. Dans l'île, la mafia n'est pas totalement enracinée mais elle est infiltrée partout. Je ne sais pas pourquoi les élus continuent à nier ou à regarder ailleurs.

Il est urgent, en Europe, de tenir compte des expériences mises en place dans des pays comme l'Italie. La mafia se développe partout : en France, en Allemagne, en Suisse. Il faut créer un délit d'association mafieuse, il faut construire avec les mêmes outils qu'en Italie et cela passe aussi par la confiscation de biens. En Italie, ça confisque à tout va à hauteur de centaines de millions d'euros. Ces biens sont restitués à la société civile à des fins, par exemple, associatives ou agricoles.

  • En France, il y a tout de même des avancées avec notamment l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués qui organisent des ventes aux enchères de biens confisqués au crime organisé …

Ce n'est pas suffisant parce que la France a choisi la règle de la vente. Donc ces biens peuvent retomber dans les mains d'autres mafieux, ou les mêmes. En Italie, il y a un panneau sur tous les biens confisqués qui ont été restitués. Parfois cela donne lieu à des situations, à nos yeux, cocasses parce qu'on peut les voir sur des voitures d'officiels.

Mais ces panneaux et ces autocollants sont essentiels parce que la société civile participe pleinement, en France l'argent entre dans le budget de l'État, ça n'implique pas du tout le citoyen.

Sans oublier la création du délit d'association mafieuse car la législation actuelle n'est pas suffisante. Il faut accélérer le processus pour freiner les mafieux. Je pense que cela est difficile à créer en France parce que c'est un vieil État qui pense que la mafia se trouve seulement dans le sud de l'Italie. Il y a toujours une idée que le mal ne viendra pas ici. C'est une pensée que l'on retrouve aussi en Allemagne ou en Suisse.

  • Ce voyage en Sicile vous a permis d'étudier les lois antimafia italiennes, quels enseignements en tirez-vous ?

Je suis impressionné par la qualité des personnes que nous avons rencontrées. Si l'Italie est à la pointe dans ce domaine, il faut garder en tête que tout n'est pas paradisiaque non plus. Parfois, ça patine.

Ce qui a été assez surprenant, c'est de voir poindre des critiques de la part des familles des juges Falcone et Borsellino, des associations anti-mafia, de policiers, de juges, vis-à-vis de la non-reconnaissance de la responsabilité de la part de l'appareil d'État dans ces deux assassinats.

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