Assassinat d’Yvan Colonna : l’enquête révèle des défaillances dans le protocole de surveillance

Marc Ollier, directeur de la maison centrale d'Arles, et Corinne Puglierini, ancienne cheffe d’établissement, sont auditionnés ce mercredi 30 mars par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Plusieurs parlementaires dénoncent déjà, a minima, des manquements dans le protocole de sécurité de l’établissement pénitentiaire. A la veille de l’audition, France 3 Corse ViaStella fait le point sur les premiers éléments de l’enquête.

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Comment Franck Elong Abé a-t-il pu passer plus de dix minutes, seul avec un autre détenu particulièrement signalé, dans une salle d'activité de la maison centrale d'Arles ? Comment aucun des moyens de surveillance mis en place dans cet établissement pénitentiaire destiné aux condamnés à de longues peines ou considérés comme particulièrement dangereux n'a-t-il permis au personnel de constater l'agression meurtrière qui s'y déroulait ? Y a-t-il eu une erreur humaine, une défaillance dans le protocole de sécurité ?

Ces questions sont au cœur de deux enquêtes : la première, pénale, est diligentée par le parquet national antiterroriste et vise plus spécifiquement la responsabilité de Franck Elong Abe. La seconde, administrative, est menée par l'inspection générale de la justice (IGJ), à la demande de Matignon. L’exécutif de Corse réclamait une troisième enquête, parlementaire cette fois. Faute de temps suffisant pour l’envisager, des auditions devant la commission des lois ont été organisées. A quelques heures de l'audition de Marc Ollier, le directeur de la maison centrale d'Arles (nommé au poste le 1er mars) et de Corinne Puglierini, ancienne cheffe d’établissement, France 3 Corse fait le point sur les premiers éléments connus de l’enquête.

 La question du statut de Franck Elong Abe

Le 16 mars dernier, c'est  Laurent Ridel, le directeur de l'administration pénitentiaire, qui était entendu par la même commission. A cette occasion, les député ont fait observer que Franck Elong Abé, détenu islamiste radicalisé, était "classé au service général d'entretien des salles de sport en septembre 2021", ce qui lui donnait accès à de nombreuses salles en tant qu'employé.

Un poste accordé alors même que le profil et le parcours carcéral du prisonnier, ancien soldat du Djihad en Afghanistan avait été particulièrement chaotique et émaillé d’incidents allant de tentatives de suicide jusqu’à la prise d’otage d’une infirmière. Lors de son passage à la maison centrale de Vendin-le-Vieil, l'un des deux établissements pénitentiaires les plus sécurisés de France, son classement en régime de détention classique se soldera par un échec.

"Il est ensuite replacé très rapidement en quartier d'isolement, où il multiplie les feux de cellule", raconte Laurent Ridel. "L'établissement souhaitant son départ, il est transféré à la maison centrale de Condé-sur-Sarthe où il est de nouveau placé en quartier d'isolement"

A l'automne 2019, il arrive à la maison centrale d'Arles, où il reste six mois de plus à l'isolement. "Son comportement ne permettait pas de le placer en quartier d’évaluation de la radicalisation, ou QER* ; les autorités judiciaires y étaient défavorables en raison de l’importance de ses troubles de la personnalité et de son incapacité à intégrer un processus d’évaluation", reconnaît le directeur de l'administration pénitentiaire. 

[* Les QER accueillent les personnes détenues, condamnées ou bien en attente de leur jugement pour une durée d'environ trois mois afin de conduire une évaluation]

"Son comportement va très nettement se stabiliser", indique le haut fonctionnaire. "Quasiment aucun incident disciplinaire n'est enregistré pendant six mois, ce qui conduit la direction de la centrale d'Arles et la direction interrégionale à proposer une levée de l'isolement". Une décision qui entrera en vigueur en avril 2020. 

Après un placement durant neuf mois et demi dans un quartier spécifique d'intégration, "à mi-chemin entre l'isolement et la détention classique", où il est l'objet d'évaluations tous les deux moisil jugé est apte à rejoindre la détention classique. Après six mois, il demande un poste d'auxiliaire, qui lui est accordé.

"La réglementation interdit de motiver un refus de classement à une activité ou un travail au seul motif que le détenu est un islamiste radical. C'est une donnée de droit", souligne Laurent Ridel. 

Sur interrogation, il précise : "s’il faut modifier les règles de droit pour qu’aucun terroriste islamiste ne puisse bénéficier d’activités ou d’un travail en prison, cela ne m’appartient pas. En 2012, l’un de mes prédécesseurs avait instauré une interdiction partielle de classement à un poste de travail de service général en maison d’arrêt – ce n’est pas le cas de la maison centrale d’Arles – qui a été cassée par un arrêt du Conseil d’État en 2015. Le ministère de la justice respecte le droit. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de défaillances – les enquêtes le démontreront, le cas échéant, et je l’assumerai. Certaines mesures nécessitent un examen redoublé du fait que la personne est TIS (terrorisme islamiste et DPS), et les critères d’inscription au répertoire des DPS, notamment l’appartenance à la mouvance islamiste radicale, doivent être pris en compte".  

Car Franck Elong Abé est également détenu particulièrement signalé (DPS). Ce qui ne facilite pas non plus, habituellement, l'accès à ce genre de travail. Le ministère de la Justice, dans une circulaire du 15 octobre 2012, précise que "la candidature des personnes détenues DPS aux activités offertes en détention ou à un travail doit faire l'objet d'un examen attentif".

Cette même circulaire, détaillant les mesures de surveillance applicables dans un établissement pénitentiaire en ce qui concerne les détenus particulièrement signalés, souligne également que "la réunion dans un même lieu de personnes détenues DPS doit, dans la mesure du possible, être limitée, notamment en maison d'arrêt". Le 2 mars dernier, 15 détenus particulièrement signalés étaient incarcérés à Arles. 

Surveillance physique

Le 2 mars, à 10 heures et 13 minutes, Franck Elong Abé entre dans la salle de sport, après que le surveillant qui l'accompagne ait déverrouillé la porte, comme le règlement le prévoit. Ce dernier s'éloigne, et "va semble-t-il mettre en place un certain nombre d'activités, ailleurs", explique Laurent Ridel, le directeur de l'administration pénitentiaire. C'est en effet un surveillant de brigade, "qui connaît les détenus et le fonctionnement, et qui a pour responsabilité d'assurer la surveillance, la sécurité et la gestion de ce rez-de-chaussée où il y a entre dix et quinze salles d'activité"

"La porte est restée ouverte, ce qui est a priori habituel à Arles, et c'est plutôt une bonne chose, puisque l'activité de nettoyage ne doit pas durer longtemps". La règle de sécurité en vigueur est pourtant de verrouiller les portes des salles d'activité. Le surveillant accompagne le détenu, déverrouille la porte et la reverrouille derrière lui. Il en va de même pour les personnels chargés de l'entretien. Mais très souvent, ainsi que le reconnaît Laurent Ridel, elles restent déverrouillées. 

Sur les images de la vidéosurveillance que nous nous sommes procurées, la porte n'est pas ouverte, mais fermée. Rien n'indique qu'elle a été verrouillée, mais elle est close alors que se déroule l'agression. Et Franck Elong Abé se retrouve seul à seul avec Yvan Colonna, sans aucun surveillant à proximité. L'heure du ménage, en milieu de matinée, interroge également. 

Vidéosurveillance

Restent les caméras de surveillance. "Dans la salle d'activité se trouvent à ma connaissance deux caméras" a déclaré Laurent Ridel devant les députés. Et elles ont filmé les huit minutes où Elong Abé s'en prend violemment à Yvan Colonna, sans que la personne qui était en poste devant les écrans ne s'en aperçoive. Le directeur de l'administration pénitentiaire a expliqué, en détail, le fonctionnement de la vidéosurveillance à Arles. Cette surveillance repose sur deux postes : 

  • le PIC, ou poste d'information et de contrôle
    Un agent en a la charge. Sa tâche est de gérer les accès au bâtiment, et les mouvements à l'intérieur de celui-ci. Il y a en tout 54 caméras qui sont reliées au PIC. 45 dans le bâtiment, et 9 à l'extérieur. Les images qui remontent au PIC sont diffusées sur un écran où s’affichent 9 images provenant de ces caméras. "Il est matériellement extrêmement compliqué pour l'agent de faire son travail de régulation, et dans le même temps de visionner de façon parfaite les 54 caméras", estime Laurent Ridel, qui explique qu'en raison de cet afflux d'informations, est choisi chaque matin ce qu'on appelle un "scénario", en fonction de l'évaluation du programme de la journée par "l'agent, le gradé ou l'officier en charge du bâtiment". Et ce matin-là, "le scénario mis en place n'était pas du tout un scénario de surveillance des salles d'activités parce qu'il y avait assez peu de monde, et que les détenus se connaissaient pour la plupart". Le 2 mars dernier, c'est donc "le scénario mouvements en détention qui avait été retenu, puisque des mouvements d'étage étaient prévus, et que ce sont ces mouvements qui génèrent les risques d'agression les plus importants sur entre les détenus et contre le personnel".
  • Le PCI, ou poste de centralisation de l'information
    C'est l'endroit où est renvoyé l'ensemble des images des 290 caméras de la maison centrale d'Arles. C'est le "nerf vital de tous les systèmes de sécurité. Il y a deux agents, un surveillant et un gradé". Dans le rapport de la direction de la maison centrale, qui avait été rendu le 3 mars, au lendemain de l'agression meurtrière, cette direction déclarait que "ni l'un ni l'autre vu l'agression en cours sur les caméras. Il convient de se demander pourquoi". Un élément que révélait le quotidien Libération dans son édition du 23 mars dernier. L’organisation de la vidéosurveillance du PCI pose elle aussi question. La salle est dotée de deux écrans (l'un d'eux placé sous la surveillance d'un gradé, l'autre sous celle d'un surveillant), qui affichent chacun neuf images provenant des diverses caméras. Là encore, l’affichage s’effectue sur la base d’un scenario prédéterminé. Ce matin-là, le scenario choisi ne prévoyait pas non plus la surveillance des salles d’activités du bâtiment A.

Concernant la vidéosurveillance, un autre élément, révélé par le quotidien Libération depuis la semaine dernière, interpelle. Une opération de maintenance du système informatique a été menée dans la matinée du 2 mars. "D'après ce que l'on m'a dit, elle aurait duré entre trente secondes et deux minutes, et n'aurait pas eu d'incidence sur l'enregistrement de la séquence la plus dramatique. L'ensemble des éléments vidéo a été remis aux enquêteurs", indique cependant Laurent Ridel à la commission des lois.

Cela pose toutefois un problème : si les personnels chargés de la surveillance vidéo avaient voulu visionner en direct les caméras de la salle de sport, il n’est donc pas certain qu’ils auraient pu le faire.

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