Autonomie : la Sardaigne, un modèle à suivre pour la Corse ?

Autre volet de notre thématique consacrée à la Sardaigne, celui relatif à l'autonomie. La Sardaigne dispose d'un statut d'autonomie depuis 1948. Le parlement sarde légifère sur un certain nombre de domaines pour lesquels il dispose de compétences exclusives. Par ailleurs, de nombreux conflits juridiques opposent la région à l'État notamment pour ce qui relève de la perception des taxes et des moyens dont doit disposer la Sardaigne.

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Le 30 mai dernier, une manifestation a été organisée par le comité sarde contre la spéculation énergétique. Plusieurs centaines de personnes se sont donné rendez-vous piazza Garibaldi à Cagliari. Le mouvement se veut apolitique mais pour l’essentiel les participants viennent de la gauche et d’organisations indépendantistes. Motif de la grogne, un projet d’installations d’éolienne estimé disproportionné au regard des besoins sardes.

"Des centaines et des centaines de projets ont été présentés en Sardaigne et dans tout le sud de l’Italie, indique Luiggi Pisci, Porte-parole du Comité sarde contre la spéculation énergétique. Si on fait l’addition de toute l’énergie que ces projets devraient produire, tu te rendrais compte que l’énergie effectivement produite suffirait à satisfaire les besoins d’une grande nation industrialisée."

"L’autonomie de la Sardaigne n’existe que sur le papier"

La Sardaigne possède déjà quantité d’éoliennes. Dans le projet porté actuellement par l’Italie, les autorisations sont concédées par l’État, il appartient aux entreprises privées de faire des propositions. La région sarde n’est compétente que pour des implantations de champ de petites tailles. Si d’aucuns craignent une dérive spéculative avec l’État qui encourage les privés, la question de la réalité de l’autonomie sarde est posée.

"L’autonomie de la Sardaigne n’existe que sur le papier. Ce serait très bien si on arrivait effectivement à décider pour nos territoires, et cela vaut pour toutes les régions", souligne Claudia Ortu, Membre de "Cagliari Popolari".

"La région de Sardaigne est une région à statut particulier dans le cadre normatif italien, rappelle le maire de Villanovaforru Maurizio Onnis. Elle devrait utiliser davantage ses compétences. Mais ce qui manque vraiment, c’est une direction politique visant à défendre la souveraineté des sardes. Tant que les élus sardes se poseront eux-mêmes comme des intermédiaires entre les intérêts de Rome et leurs propres intérêts, nous ne nous en sortirons pas."

La Sardaigne est une région autonome depuis 1948. Parmi les compétences figurent la fiscalité, le développement économique, l’organisation interne des pouvoirs, l’urbanisme, la santé et les transports internes. Dans ces matières, le parlement vote les lois. En dehors de ces champs de compétence exclusive, des lois-cadres peuvent également être votées pour donner une orientation à la loi générale.

À Nuoro, Carlo Pala, enseignant chercheur nous invite à la nuance. Dans les faits, les textes sont régulièrement bloqués : "Ces cinq dernières années nous avons vu ce record incroyable de 11 lois renvoyées par l’Etat à la région. C’est-à-dire 11 lois bloquées soit par le gouvernement central qui peut intervenir, soit par le Conseil constitutionnel."

Population en déclin

D’une superficie trois fois supérieure à la Corse, la Sardaigne est restée une terre d’émigration. La population décline. Au 31 décembre 2019, il y avait 1 611 000 habitants, un an plus tard ils étaient 20 000 de moins. Le solde migratoire était de -10 000 et le solde naturel également. Il y a eu 18 000 décès pour 8 000 naissances. Le taux de fécondité est inférieur à un enfant par femme.

À ce rythme, en 2066 la population ne serait plus que de 1 100 000 habitants. Les perspectives paraissent sombres mais la région n’est pourtant pas la plus pauvre d’Italie. 14,5 millions de touristes l’ont visité en 2023. Officiellement le statut particulier de l’île est un avantage. 70% des impôts payés par les sardes doivent rester en Sardaigne.

La réalité est tout autre, selon Carlo Pala : "Le problème est qu’en absence de lois d’application la région a versé à l’État 100% et l’État a "oublié" de rendre les 70% à la région. En 2005, en faisant des calculs la région s’est rendu compte que l’État italien devait rendre 10 milliards d’euros à la Sardaigne."

En 2005, Francisco Sedda était élu dans la coalition présidée par Renatu Sorru. Aujourd’hui conseiller de la cheffe du gouvernement de centre gauche Alessandra Todde, il a contribué à la création de l’Agenzia Sarda delle Entrate, l’ASE qui est censé récolter les impôts. Une partie seulement du travail a été réalisé, selon Francisco Sedda.

"L’idée est de compléter le travail sur l’agence sarde des rentrées fiscales, établir des normes claires en écrivant noir sur blanc la notion d’inversion des flux, c’est-à-dire que nous percevons les taxes, nous nous chargeons du calcul avant d’envoyer vers l’extérieur, de manière à éviter de se rendre compte à un moment donné comme au début des années 2000 que l’argent partait sans revenir".

Si deux peuples veulent agir, ils agissent.

Nicola Muzzu, Maire d'Aggius

Le maire d’Aggius organise chaque année un prix de prose en corso-gallurais. Plutôt que d’évoquer les insuffisances du statut d’autonomie qui ne fait mention ni de peuple ni de langue, Nicola Muzzu insiste sur les possibilités d’agir. L’ancien président de la communauté des communes de Gallura préfère encourager la coopération à ce jour très faible entre élus corses et sardes. Et ce, quoi qu’en disent les États italiens et français.

"Pour vous répondre franchement, ce que pense l’État italien ne m’intéresse pas, parce que si deux peuples veulent agir, ils agissent, estime le maire d’Aggius. Comme vous, Corses, ne devriez pas vous préoccuper de ce que pense l’État français. S’il y a une volonté partagée de collaborer les solutions se trouvent. Ça ne dépend pas des autres, ça dépend de nous. Parfois, c’est facile de se décharger sur les autres. Il y a des choses que l’on peut construire dès aujourd’hui."

"Je pense qu’il y a quelques compétences qui ont été bien utilisées, déclare pour sa part Vito Biolchini. Rappelons dans les années 2004-2005 sous la mandature Sorru qui fit une loi pour sauver les côtes de la spéculation immobilière. Cette loi a résisté à toutes les juridictions. C’est bien le signe que l’autonomie existe"

"L'ambiguïté sarde"

Vito Biolchini parle volontiers de ce qu’il nomme "l’ambiguïté sarde". Le sentiment indépendantiste a infusé dans l’opinion. Pour autant, il ne se traduit pas dans les urnes, la classe politique n’a jamais voulu entrer en confrontation avec Rome pour négocier un nouveau statut. Les choses vont peut-être changer.

"C’est un des objectifs que c’est donné la nouvelle coalition. On verra s’ils y arriveront. Par ce que si la Sardaigne veut changer son statut elle peut le faire, elle n’a pas besoin de demander d’autorisation à personne. C’est sûr que si le conseil régional définit une nouvelle norme il devra ensuite entrer en confrontation avec l’État. Mais le conseil régional a le pouvoir de réécrire son statut d’autonomie, le problème c’est qu’il n’y a pas la force politique pour le faire."

Les relations entre Rome et Cagliari se sont dégradées. Giorgia Meloni aurait sans doute préféré que l’île dont elle est originaire reste à droite mais les électeurs en ont décidé autrement. L’issue du rapport de force qui s’instaure actuellement autour de la question des éoliennes pourrait donner une idée de ce que sera la combativité de l’actuelle majorité.

Le reportage de Dominique Moret et Stéphane Lapera :

durée de la vidéo : 00h07mn11s
Intervenants : Luiggi Pisci, Porte-parole du Comité sarde contre la spéculation énergétique ; Claudia Ortu, Membre de "Cagliari Popolari" ; Maurizio Onnis, Maire de Villanovaforru ; Carlo Pala, Enseignant chercheur à l'université de Sassari ; Francisco Sedda, Conseiller politique ; Nicola Muzzu, Maire d'Aggius ; Vito Biolchini, Journaliste à la Rai. ©D. MORET - S. LAPERA / FTV

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