Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : deux oui pour un nom (ou non ?)

Depuis la mi-mars, et l'instauration du confinement dans le pays, l'une de nos journalistes raconte ses journées. Aujourd'hui, elle se plonge dans les souvenirs du passé.

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Pour retrouver le chapitre 32 : 
  • CHAPITRE 33 : Deux « oui » pour un nom (ou non ?)

« Tu regarderas si tu n’as pas des tissus à donner pour les masques ». J’avais dit ça à ma mère lors de ma dernière visite. Ma mère adore faire du vide quand, de mon côté, je préfère tout garder. Ce n’est d’ailleurs pas l’une de nos seules différences fondamentales, mais là n’est pas le propos. Je retourne donc chez ma mère quelques jours plus tard, et là, un sac m’attend dans lequel des cotons épais très colorés… et sa robe de mariée !


Réalité décalée…

Ce n’est pas une blague, ma mère a décidé de sacrifier sa robe de mariée à la situation ! Elle m’a dit, « ouf, de toute façon, elle est moche ». Je ne suis pas d’accord avec elle, elle est stylée sa robe.

Et puis elle me ramène à cette photo où une jeune femme fine et blonde (ma future mère, donc) la soulève des deux mains pour libérer son pas dans la descente de l’église, quartier St Jean, tandis que son père, frappant du gant (blanc), toise du regard l’espace libéré sur la hauteur du pied, dans une expression qui semble signifier « cachez cette cheville que je ne saurais voir » !
 

Sauvegarde de patrimoine

Quand j’ai dit à ma mère que je voulais la garder, cette robe, elle a répondu, « n’importe quoi ! ». Il n’empêche, elle devait la réduire à des pièces de tissu, elle n’en n’a rien fait. Je l’ai donc récupérée intacte. Mes parents se sont mariés au mois d’avril (je pensais que c’était mars, mais je me suis renseignée !), la robe est à manche longue, très sobre, sans dentelles dans un tissu épais qui a le bon goût de n’avoir pas jauni avec le temps.

Quand Nicolas est passé me voir le soir de cette visite, je l’ai sortie pour la lui montrer. A lui aussi, j’ai dit, « je vais la garder ». Il a rigolé. Il a dit « et tu vas la ranger où ? Entre le sommier et le matelas ? ». Une manière de me dire que mon appartement est déjà bien assez encombré comme ça, non ? Mais pourquoi il est comme ma mère, Nicolas ? 
 

J’en étais donc réduite à m’enthousiasmer toute seule de cette sauvegarde de patrimoine. Une fois Nicolas reparti, je fouillais dans ma boîte à trésor pour rechercher l’article de journal qui faisait état du mariage de mes parents dans les années 70. L’encart est paru un 12 mai soit 3 semaines après le mariage.

Cela m’a rappelé l’histoire de cette femme, lorsque je travaillais encore en presse écrite. Elle était venue déposer une photo de son mariage comme on le faisait communément à l’époque auprès du quotidien régional pour lequel je bossais. Le pigiste qui s’occupait du secteur où avait eu lieu le mariage était au téléphone quand cette personne est arrivée.
 

Faits divers

On s’est bien souvenu d’elle à l’agence par la suite parce que, ce jour-là, cette jolie femme avait poireauté longtemps avant d’être reçue, tellement longtemps, qu’à peine partie on l’avait vue revenir : sa voiture avait été enlevée par la fourrière, elle voulait téléphoner pour qu’on vienne la chercher! (c’était avant l’ère du mobile). La photo du mariage qu’elle avait amenée pour publication dans le journal a trainé sur un bureau avant de passer.

La finalité de l’histoire est terrible puisque le cliché est finalement paru le même jour que le fait divers qui racontait qu’un homme avait tenté de rouler sur sa femme avec un son 4x4, la mariée et la victime n’étant qu’un seule et même personne ! Le « détail » - et pas des moindres - ne fût relevé que par le correspondant qui, lui seul, avait fait le rapprochement entre les deux – les noms qu’il avait tapés !- après coup.
 

Huis clos…

Une histoire qui ramène indirectement à la réalité du confinement et à la violence. J’ai vu passer un article ces derniers jours.

Il parlait de ces épouses, de ces mères de famille, de ces compagnes, victimes de maltraitances, accueillies à la Commanderie, le centre d’entraînement de l’Olympique de Marseille. Quand j’ai ouvert le lien, j’ai pu lire qu’une vingtaine de femmes (et leurs enfants) était pour l’heure hébergés dans les locaux mis à disposition par le club de foot.

J’ai repensé à la dispute que j’avais entendue résonner dans la rue quelques jours en arrière. La proximité que crée le silence (encore grand) de la ville et les fenêtres ouvertes, nous font rentrer sans que nous le cherchions vraiment dans l’intimité des gens.

Dans celle des coups de gueule aussi. Sans savoir ce qui se cache vraiment derrière ces huis clos. Dans l’immeuble d’en face, à l’étage en dessous ou au coin de la rue. Le confinement, cette situation tellement particulière, met en danger des vies. Je me dis que les femmes hébergées actuellement à la Commanderie ont eu le courage de partir, mais combien seront restées ? 
 

Retour vers le passé

Je regardais la robe de mariée de ma mère en me demandant lesquelles de ces femmes étaient passées devant monsieur le maire, pour le meilleur et surtout pour le pire.  Je me rattachais à la page jaunie du journal - à en-tête du « Provençal » (« La Corse ») – que j’avais ressorti, pour tenter d’y trouver une actualité plus réjouissante que celle du moment.

Je réalisais que le « 12 mai » correspondait à quelques décennies près au lendemain de notre jour de déconfinement programmé.

Je vous fais cadeau de ces nouvelles d’une banalité réconfortante qui ne seront pas les nôtres : le congrès des huissiers de justice ouvre ses portes, l’Empire joue « Le neveu de Rameau » avec Pierre Fresney, Air France annonce des vols supplémentaires à partir du 15 mai, l’hôtel Castel Vecchio cherche en urgence un commis de cuisine, le SECB joue à Furiani face à Bordeaux.

Essayer de transposer les mêmes informations au 12 mai 2020, ça ne marchera pas (et pas seulement parce qu’on a enlevé un « E » au SECB). Même un mariage est impensable (mais se marie-t-on en mai chez nous ?).
 

Il n’y a finalement qu’un élément que l’on pourrait récupérer, il concerne la sauvegarde d’un CODEC et fait l’objet d’un édito qui se conclue ainsi : « Tant de savantes manœuvres, tant d’énergie seraient mieux employées pour régler les problèmes préoccupants de l’heure. Il n’en manque pas, hélas ! ».
 
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