Le directeur des collections napoléoniennes de la ville d'Ajaccio a signé en début d'année un livre très remarqué sur l'Empereur. Napoléon : Punk, Dépressif... Héros. Entre deux cours de kickboxing. Portrait d'un historien, et d'un ajaccien, pas comme les autres.
Philippe Perfettini apparaît au fond de l'une des innombrables salle du Palais Fesch, à Ajaccio. Sous les regards de Lucien Bonaparte et de Napoléone Elisa, comtesse de Camerata. En bras de chemise, crâne rasé, machoire de boxeur et torse de videur de boîte, le directeur des collections napoléoniennes est très loin de l'image ripolinée que l'on se fait d'un responsable de musée.
De quoi faire frétiller les journalistes, qui flairent le bon client. Depuis mars dernier, Philippe Perfettini croûle sous les sollicitations. Le quadragénaire en tient un compte scrupuleux. "J'en étais à 49, hier", lance-t-il, pas peu fier.
Du quotidien La Croix au Monde, en passant par Antoine de Caunes, on s'est arraché l'auteur de Napoléon, punk, dépressif... héros. "J' ai expliqué à Décaunes que Napoléon et ses troupes auraient très certainement chargé au son d'AC/DC, aujourd'hui. Ca leur a plu, sur France Inter. Mais ça les a un peu destabilisés, j'ai l'impression !", jubile Philippe Perfettini.
Kamé Hamé Ha
La légende dit que plus d'ouvrages ont été consacrés à l'empereur que de jours passés depuis sa mort. Alors en cette année de commémoration, on s'en doute, les livres sur Napoléon fleurissent dans les vitrines des libraires. Mais alors que la plupart ont disparu sans bruit des présentoirs, Napoléon : punk, dépressif... héros, lui, a tiré son épingle du jeu. Et de quelle manière.
Il faut dire qu'entre les beaux livres sur Napoléon traditionnellement illustrés de peintures d'Ingres, Jacques-Louis David et Antoine-Jean Gros, il était difficile de le louper. Si vous aimez votre Napoléon bien peigné et propre sur lui, autant passer votre chemin.
"Il a été général à 25 ans, Premier consul à 30, empereur à 35... C'est une histoire pleine de vie et d'énergie." Philippe Perfettini, que l'on suivait jusqu'à la chapelle impériale, s'interrompt, avant de se retourner vers nous, une joie presqu'enfantine dans le regard. "Vous savez ce que ce que c'est, Napoleon ? C'est une boule d'énergie, un putain de Kamé Hamé Ha qui explose en pleine face du monde entier. C'est ça que je voulais raconter. Cette vague, cette déferlante qui part de Corse et arrose toute l'Europe".
Il s'est patiemment construit une stature de Dieu, et moi je le redescends du piédestal.
C'est ce discours mélant références culturelles pop et rigueur historique, cette manière d'aborder le personnage par la bande, en envoyant valdinguer toutes les pesanteurs du genre, qui a emballé Olivier Frébourg. Le fondateur de la maison d'édition les Equateurs, qui passe une partie de ses étés en Corse, est le voisin de Philippe Perfettini. Au cours d'un dîner, le sujet revient sur "le plus grand des Corses". Et le directeur des collections napoléoniennes, une fois encore, est intarissable.
Frébourg voit dans la faconde de son hôte une manière décalée de célébrer le bicentenaire de la mort de Napoléon. Et il lui propose d'écrire un livre. "J'y croyais pas. Pourquoi il s'intéresse à moi ? La seule légitimité que j'avais, c'était celle d'être né à 100 mètres de chez les Bonaparte. Alors j'avais l'impression d'être pris en main. Et puis j'ai vu arriver le contrat, et je me suis dit, merde, faut que je m'y mette, maintenant..."
Une vocation tardive, une passion dévorante
On pourrait croire que Philippe Perfettini joue les modestes. Il est aujourd'hui reconnu comme l'un des spécialistes de Napoléon, bien au-delà des rivages de l'île, et son statut de référent napoléonien dans la la cité impériale lui confére une vraie légitimité. Et pourtant...
Le reflet que lui renvoient les miroirs du palais Fesch, c'est celui de l'adolescent ajaccien biberonné aux films de Stallone et aux disques d'Iron Maiden, qui passait ses journées à écumer les salles de jeux d'arcade et les cafés de la ville. "Ca volait pas très haut", s'amuse Philippe Perfetteni. L'avenir de l'ajaccien semble tout tracé. Semblable à celui de tant d'autres gamins sans diplômes, et dénués des ambitions qui vont avec. Qui vont de combines pas bien méchantes en petits jobs peinards, de quoi vivre sans se poser trop de questions.
Mon professeur d'histoire avait deux passions. Le Casanis, et Napoléon"
Mais Philippe Perfettini n'aime rien tant que déjouer les attentes. A 21 ans, à Aix-en-Provence, il décroche son bac. "Péniblement, presque par accident", s'empresse-t-il de préciser. C'est cette année que l'Empereur va s'inviter, sans prévenir, dans la vie du jeune bachelier. "J'avais un prof d'histoire pas banal, à l'époque. Un ancien plongeur sur les plateformes pétrolières, reconvertit dans l'enseignement. Il avait deux passions. Le Casanis, et Napoléon. Il savait d'où je venais, et il n'arrêtait pas de me poser des questions, Napoléon par ci, Napoléon par là... Et j'étais à la risa tous les jours. Alors je me suis dit que j'allais m'acheter un bouquin, pour moins passer pour un con. Et coup de bol, le premier volume de la trilogie de Max Gallo venait de sortir..."
Un sursaut d'orgueil, qui va changer la vie de Philippe Perfettini, comme il le rappelait encore, non sans humour, au lendemain des résultats du baccalauréat 2021 :
Car contre toute attente, la lecture du tome 1 de Max Gallo, le Chant du départ, emballe le jeune homme de 21 ans. Il dévore tout ce qu'il trouve sur Napoléon, accumule les recherches, et les connaissances. Il a trouvé sa voie. Petit à petit, de retour en Corse, l'ancien ado turbulent va faire son chemin au sein de l'équipe en charge de l'héritage de Napoléon, jusqu'à en prendre la tête.
Massacrer le mythe
"C'était pas gagné, c'est vrai, s'esclaffe Philippe Perfettini. Mais il n'y a pas de fatalité, pas de déterminisme à la naissance. Personne ne l'a plus prouvé que Napoléon. Dans mon livre j'ai voulu mettre en avant un mec qui était un casos [cas social - NDLR] d'Ajaccio, avec une mère de huit gosses veuve à 35 piges, qui finit par régner sur l'Europe. Avec tout ce que cela suppose de panache, de transgression, et d'audace. C'est un rêve américain avant l'heure. A l'usu corsu. Ca n'a pas de prix, c'est la plus belle histoire qu'on puisse imaginer."
La vie de Napoléon, c'est un train qui te passe dessus !
Des années après la découverte de Napoléon, Philippe Perfettini est toujours autant fasciné par l'Empereur. Mais pas de place pour l'idôlatrie bas de plafond. "Dans mon livre, je voulais rappeler que Napoléon est d'abord un humain. Il s'est patiemment construit une stature de Dieu, et moi, hop, je le redescends du piédestal. Je trouvais que la manière dont on considérait Napoléon manquait cruellement d'âme, de fraîcheur. Alors je me suis dit que j'allais y aller avec ma passion, avec toute mon énergie, et mon éditeur m'a encouragé. Il m'a demandé de faire "rapide et percutant" ! Ca résume bien la vie de Napoléon. Un train qui te passe dessus. C'est quoi ? C'est Napoléon !"
Le directeur des collections napoléonniennes de la ville d'Ajaccio l'avoue avec gourmandise. Il a "massacré le mythe". Et il ne doutait pas que son livre irriterait certains gardiens du temple napoléonien. Mais il n'en a que faire. "C'est même une petite fierté. Je suis content de l'avoir dépoussiéré. je voulais m'adresser à un public qui ne le connaissait pas, ou le détestait. C'est mieux que d'écrire pour un public conquis et captif".
Mais Philippe Perfettini est bien trop intelligent pour tomber dans le piège du sensationnel, et de la provocation. Son livre est bien plus que cela. Il propose une lecture enlevée, décalée, échevelée, d'une histoire qu'on pensait connaître par coeur. "C'est Bonaparte qui me plait vraiment. En voilà, de l'ascenseur social !C'est sur les premières années que j'ai mis l'accent. Une fois qu'il devient napoléon, ça m'intéresse un peu moins. Mais quel homme d'Etat ! Quelle vie, merde... Ca a plus de gueule que Casse-toi pauvre con, les virées en scooter ou la Fête de la musique à l'Elysée avec des gens étranges...", lance l'auteur de Napoléon : Punk, Dépressif... Héros avant d'agripper un volumineux sac de sport et de mettre le cap vers la salle de boxe voisine, où il pratique le Free Fight.
Philippe Perfettini : Inclassable, Irrévérencieux... Napoléonien.