Au terme de 6 jours d'un procès sous tension, la cour d'assises des Bouches du Rhône a acquitté Marc et Dominique Pantalacci pour la tentative d'assassinat sur Yves Manunta, sa fille, son épouse. L'accusation s'appuyait surtout sur le témoignage de Carla Serena Manunta, 10 ans à l’époque.
Un témoin
Ce soir-là, au deuxième jour du procès, elle quitte le Palais de justice par une porte dérobée... entre deux gardes du corps. Il est 21 heures. Carla Serena Manunta a 15 ans aujourd'hui. Cheveux lissés, rouge à ongles, elle en paraît davantage.Devant la Cour d'Assises d'Aix-en-Provence, elle vient de confirmer avoir reconnu un des jumeaux Pantalacci, présents dans le box des accusés, lors de la fusillade qui l'a visée, ainsi que sa famille, le 8 novembre 2011.
L'adolescente est protégée depuis quatre ans par le service de la protection des personnalités dans l'attente de ce procès, et du témoignage qu'elle vient de livrer.
"Comment se construit une jeune fille dans ce contexte si particulier ? », lui demande son avocat, Me Emmanuel Molina. Il est seul aujourd'hui à représenter la partie civile.
Sous protection judiciaire
Son confrère, Me Jean-Michel Mariaggi qui devait être à ses côtés est en convalescence, après avoir échappé à plusieurs coups de feu en octobre 2015."Parfois j'ai envie d'être libre mais je me dis que je préfère être en vie et sous protection policière plutôt que...d'y être passée comme on dit", explique Carla Serena...
Le 8 novembre 2011, elle a 10 ans, elle est avec sa mère et son père en voiture. Son père, Yves Manunta est un ancien nationaliste reconverti dans la sécurité. La famille rentre chez elle et, sur le parking de la résidence à Ajaccio… "On a entendu une forte détonation, je pensais que mon père avait frappé contre le mur avec la voiture... Je me suis retournée, j'ai vu deux hommes armés, fusils pointés vers nous... J'en ai reconnu un...Sa cagoule était retroussée. Il est dans le box", affirme Carla Serena Manunta.
Tentative d'assassinat
Elle se tourne vers les accusés, Marc et Dominique Pantalacci, fils d’un commerçant très connu à Ajaccio. Elle s'adresse personnellement à Marc : "Tu le sais autant que moi."Elle le tutoie, comme du temps où ils étaient amis, à la plage lors des parties de "footy-volley." Les accusés et le frère de Carla Serena étaient en classe ensemble au collège Fesch. Marc et Dominique sont l'incarnation d'une jeunesse dorée ajaccienne, issus d'une famille connue de commerçants spécialisés dans les produits de la mer.
Carla-Serena raconte le premier coup de feu, la peur, le sang et "ce qui glace : la pluie de balles, jusqu'à celle qui vous froisse l'estomac et vous troue le bras."
43 étuis - balles de Kalachnikov, fusil et pistolet-sont retrouvés autour de la voiture .La fillette de 10 ans est gravement blessée au bras. Sa mère est touchée à la jambe. Yves Manunta s'en sort, miraculeusement, avec des entorses.
Il a sauté un mur de 5 mètres pour échapper aux tireurs. C'est la deuxième fois. En 1996, Yves Manunta, militant nationaliste, échappe à des tireurs en pleine guerre fratricide. Soupçonné d'avoir participé au meurtre d'un autre nationaliste, il ne fera l'objet d'aucune poursuite judiciaire. Yves Manunta sera finalement assassiné, en juillet 2012.
Questions sans réponse
Carla Serena ne montait jamais en voiture avec son père, Yves Manunta. Trop dangereux. A la maison, on savait qu'il était menacé et la vie s'organisait en fonction. Peu de sorties en famille. Caméras de vidéosurveillance et porte blindée. "Parfois je me disais: il ne vient jamais me chercher à l'école", confie la jeune fille. "C'étaient des questions sans réponse...""Pourquoi les jumeaux Pantalacci auraient-ils décidé de s'en prendre à votre mari "? demande la présidente à l'épouse d'Yves Manunta.
"Il y a un mobile ...une explication ", répond Angèle Manunta...après un court silence."Francis Pantalacci [père des jumeaux] avait un contentieux avec mon mari... Qu'ils aient voulu venger leur père, je peux comprendre ", concède-t-elle mais pas en tirant sur une enfant et une femme."
Guerre de clans
En août 2009, un certain Jean-Bernard Leca est interpellé endormi, à deux-cent mètres de la maison de Francis Pantalacci, le père des accusés. Il porte un gilet pare-balles, est armé jusqu'aux dents. Il sera condamné pour association de malfaiteurs en vue de commettre un assassinat.Dans le casque de cet inquiétant motard, est retrouvé l'ADN d'Yves Manunta, qui, là encore, n'a jamais été poursuivi pour ce funeste projet.
"Il y a bien un rapprochement qui s'est opéré entre Yves Manunta et Jean-Bernard Leca", affirme l'avocat général Pierre Cortès dans son réquisitoire.
"Jean Bernard Leca n'avait aucune raison de s'en prendre tout seul à Francis Pantalacci ...Yves Manunta avait choisi la fuite en avant," explique, laconique et sans faux fuyant, Alain Lucchini qui témoigne en visioconférence depuis Ajaccio.
Poursuivi pour association de malfaiteurs dans la tentative d'assassinat contre les Manunta, il a été mis hors de cause. Alain Luchini est un nationaliste qui a tout connu... La guerre fratricide puis les conflits entre anciens amis...
Proche de Francis Pantalacci, Alain Orsoni et Antoine Nivagionni. Il a lui aussi été victime d'une tentative d'assassinat en 2008. Quelques semaines avant la tentative d'assassinat contre la famille Manunta, il discute avec trois amis dans un appartement où la police a posé des micros. La conversation porte sur les règlements de compte en série à Ajaccio. "Il faut sortir Yves Manunta", lâche un des convives. Cette phrase leur vaudra une mise en examen puis un non-lieu.
"Sortir Manunta"
"Les jumeaux Pantalacci ne sont pas liés à la tentative d'assassinat contre Yves Manunta ", assure Alain Lucchini avant de se livrer à une tragique chronique de la mort annoncée d'Yves Manunta.Tout a commencé avec le conflit de la SMS, la Société Méditerranéenne de Sécurité. Yves Manunta et Antoine Nivaggioni créent l'entreprise en 2000. Quatre ans plus tard, les associés se séparent.
Yves Manunta reproche à Antoine Nivaggionni de "piquer dans la caisse". Antoine Nivaggionni sera assassiné en octobre 2010.
"Cette dispute aurait pu trouver sa place dans l'apaisement. Ce n'est pas l'option qui a été choisie par Yves Manunta..." explique Alain Lucchini.
"Ce départ en guerre, il s'est traduit comment ?", interroge la présidente?
"Il y eu un premier passage à l'acte avec la mort de Noel Andreani, un commerçant sans histoire, (assassiné en juin 2009)", répond le témoin.
Deux projets d'assassinats auraient visé Francis Pantalacci : un premier en août 2009, à quelques mètres de chez lui, et un second plus flou, digne d'un scénario de mauvaise série policière .
En septembre 2009, sur les indications d'un informateur, Yves Manunta aurait été vu se mettre en place pour donner le top lors du départ de Francis Pantalacci de son entreprise, sur le site industriel du Vazzio. Une moto suspecte serait passée à ce moment-là. Le projet aurait échoué, Francis Pantalacci ayant été prévenu.
Aucune enquête n'a jamais été ouverte sur ces faits et Yves Manunta n'a jamais été poursuivi pour ces faits. Manunta n'aurait pas apprécié que Francis Pantalacci se range du côté d'Antoine Nivaggioni.
"Antoine Nivaggioni était mon ami, je ne me suis pas "rangé ", indique Francis Pantalacci. "Pourquoi dire qu'Yves Manunta serait le commanditaire d'un, voire deux projets d'éliminer Francis Pantalacci...La justice ne l'a jamais prouvée...D'autres personnes auraient pu s'en prendre à lui mais aucune autre piste n'a été explorée", plaide Paul Sollacaro.
Délai
La police se rend au domicile des Pantalacci, le lendemain de la tentative d'assassinat contre la famille Manunta, pour interpeller les jumeaux suite à un renseignement anonyme. Ils ne sont pas chez eux, mais ils se rendent au commissariat dans l'après-midi. Placés en garde à vue, leur mise en liberté est annoncée.Yves Manunta appelle les enquêteurs et déclare que sa fille a reconnu les tireurs comme étant les jumeaux Pantalacci. "Pourquoi avoir attendu trois jours....Yves Manunta envoie ces deux-là en prison, il a été convaincu par la police", martèle Paul Sollacaro en défense.
"Il n'y a pas de manipulation, il y a simplement tempête sous un crâne dans la tête d'un homme qui a toujours réglé ses comptes tout seul', venait d'affirmer l'avocat général, avant de demander la réclusion criminelle à perpétuité contre Marc et Dominique Pantalacci....car la "justice doit être au rendez-vous de l'abject"...
Alors que l'avocat général rappelle que les accusés ont été condamnés pour une fusillade dans une boîte de nuit, Me Eric Dupont Moretti l'interrompt, oubliant le principe de la liberté de parole.
Il reproche à l'avocat général, Pierre Cortès, de citer des dossiers non mentionnés à l'audience. L'avocat se gausse à nouveau d'avoir obtenu des acquittements lors de précédents procès.
"On va vous demander l'acquittement" avait commencé par dire l'avocat général au début de son propos, "comme si la Corse, terre de violence, devait être aussi terre d'impunité."
"Je vous supplie de ne pas nous voler notre vie", implore Marc Pantalacci pour sa dernière prise de parole avant que la cour ne se retire pour délibérer.
"Plus mal que les balles"
"On s'est efforcé de garder foi en la justice ", ajoute son frère. Les jurés les ont entendus. A la question: "Marc et Dominique sont-ils coupables de la tentative d'assassinat qui a visé la famille Manunta le 8 novembre 2011 ?" la cour d'assises répond non.Les jumeaux Pantalacci sont acquittés.
Carla-Serena Manunta quitte le palais de justice. En larmes..."Si ma parole n'était pas reconnue, ça ferait plus mal que les balles", avait-elle confié à la cour d'assises.