TEMOIGNAGES. "Je peux facturer jusqu'à 1.000 euros la vidéo" : OnlyFans, MYM... Le boom de la sexualité virtuelle

Plateformes de partages de contenus, particulièrement de photos et vidéos de "créateurs" dans le plus simple appareil, les réseaux sociaux OnlyFans et MYM connaissent un succès grandissant. Une sexualité virtuelle et tarifée qui trouve également son public en Corse.

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Assise en tailleur sur le lit de son appartement, Lucille* déballe avec enthousiasme le colis qu'elle vient de recevoir. "C'est un nouvel objectif pour mon appareil photo. Ça va vraiment me faire une meilleure qualité pour filmer. Je devrai bientôt récupérer un nouveau trépied ensuite, parce que celui que j'utilise actuellement n'est pas assez maniable."

La jeune femme marque un temps d'arrêt, et reprend, le ton rieur : "J'ai commandé de nouveaux accessoires qui ne devraient pas tarder à être livrés, aussi. Il faut ce qu'il faut pour faire plaisir aux abonnés !"

Depuis maintenant deux ans, et directement depuis le confort de sa chambre, cette étudiante corse de 22 ans évolue sur un réseau social dont la côte n'a de cesse de grimper : OnlyFans.

Des contenus variés... mais surtout érotiques

Lancée en 2016, cette plateforme de partage de contenus enregistre autour de 278 millions de visiteurs mensuels, dont 190 millions d'utilisateurs, pour près de 2 millions de "créateurs". À l'origine petit réseau social, proposant des contenus principalement axés sur le partage de clips vidéos et photos d'artistes, OnlyFans a connu son véritable essor quatre ans après son lancement, en 2020, en pleine période de confinement.

Jusqu'alors titulaire d'une centaine de milliers d'utilisateurs, la plateforme enregistre, dans le courant du mois de mai 2020, 200.000 nouveaux comptes créés toutes les 24 heures, dont 7.000 à 8.000 créateurs.

Des créateurs qui parlent cuisine, présentent leurs programmes de sport, distillent des conseils de mécanique ou de couture, ou encore postent, tout simplement, des instants de leurs journées... Mais surtout, et c'est pour cela que le site est désormais réputé, publient du contenu érotique et pornographique, moyennant un paiement ponctuel ou permanent de leurs abonnés.

Et il est peu dire que ces derniers le leur rendent bien : en 2021, ce sont 4,8 milliards de dollars qui ont été dépensés sur le site. Si les plus gros comptes ont bien évidemment raflé la plus importante part de la mise, le modèle économique est le même pour tous les créateurs : 80 % de l'argent qu'ils ont récolté leur est reversé, les 20 % restants revenant au réseau social.

Contenu et tarif à la demande

Lucille, qui se définit comme une "petite créatrice" sur la plateforme, avec quelques centaine d'abonnés, propose des formules "d'entrée, de milieu, et haut de gamme, selon les budgets et les envies de chacun".

Pour attirer la clientèle, la jeune femme compte surtout sur un autre type de réseau social, cette fois-ci de rencontre, avec des applications comme Tinder ou Happn.

"J'ai créé un profil qui est assez explicite, mais pas trop non plus, pour ne pas être bannie, puisque la nudité n'est pas acceptée, sourit-elle. Dessus, je mets en légende des termes "clef" pour les amateurs, et s'ils swipent, je leur envoie directement le lien de mon OnlyFans. Ça demande un peu de temps, forcément, et tous ne s'abonnent bien sûr pas, mais c'est le meilleur moyen de faire ma publicité. J'ai aussi un compte Twitter, où avec les bons hashtags, on peut attirer des clients du monde entier."

Le tarif d'abonnement de Lucille sur OnlyFans est fixé à 7,99 $ par mois. Soit 3 $ de plus seulement que le prix minimum, quand certains créateurs demandent 10 fois plus. "Mais de toute façon, ce n'est pas avec les abonnements que je me fais vraiment des sous. C'est un produit d'appel. Ce qui rapporte, ce sont les contenus personnalisés."

Pour une vidéo, tout dépend de la longueur et de ce qu'on me demande d'y faire... Mais j'ai déjà pu facturer jusqu'à 500, voire 1.000 euros.

Lucille, créatrice de contenus OnlyFans

Le principe est simple : les utilisateurs la contactent directement par message privé, pour des demandes particulières. "C'est assez divers, ça peut aller d'une photo dans une position précise, à une vidéo de moi dans une tenue ou en train de danser..."

Les prix varient grandement en fonction du contenu : "Pour un audio de moi qui me "fait plaisir", on dira, ce sera autour de 15 euros, le double si je dois crier leur nom ou dire quelque chose de précis. Pour une photo nue, ou dans une certaine position, on passe à 50 euros, 70 s'ils veulent que j'écrive leur nom sur ma poitrine par exemple, ou quelque chose de ce genre. Pour une vidéo, tout dépend de la longueur et de ce qu'on me demande d'y faire... Mais j'ai déjà pu facturer jusqu'à 500, voire 1.000 euros.

Plaisir personnel ou partagé

Des abonnés qui sont pour la très grande majorité des hommes, aux profils aussi variés que les contenus demandés.

Pour certains, c'est une dépense "plaisir", au même titre que des abonnements à des plateformes comme Netflix ou Amazon Prime. "C'est YouPorn en mieux, assure cet homme, qui précise être abonné à trois comptes créateurs, pour un total de 30 dollars par mois. On choisit une personne qui nous plaît vraiment, pour son physique mais aussi sa personnalité, et on peut s'approcher de nos fantasmes à partir du moment où on est prêt à débourser un peu plus. Mais il faut rester raisonnable. Je me limite à un ou deux achats en plus des abonnements par semaine, pour ne pas trop dépenser."

Lui voit cela comme un commerce "presque comme un autre". "Je préfère cela que faire appel à des prostituées. Ça, ce n'est pas mon genre. Et puis là, on soutient des personnes en leur disant qu'on aime ce qu'elles font, on peut dialoguer avec elle, nouer une relation... même si c'est uniquement par écrans interposés."

Pour d'autres, les dépenses OnlyFans et MYM - pour "Me You More", une plateforme concurrente où l'on trouve peu ou prou les mêmes contenus et le même fonctionnement - se font plus par curiosité, et sont faites pour être partagées au plus grand nombre plutôt que précieusement conservées.

D'autant plus quand le créateur ou la créatrice de contenu est un ou une habitant ou habitante de la région. "À Ajaccio, glisse Joseph*, cela va très vite. Il suffit qu'une personne ait eu une vidéo pour que toute la ville la reçoive. Cette année, j’en ai reçu au moins une dizaine, sans jamais d’ailleurs connaître le premier destinataire de ces vidéos."

Les femmes sur les vidéos en question, en revanche, "pour la plupart, on les connait, au moins de nom, et c’est en ça que c’est intéressant, poursuit-il. Mais au final c’est plus pour le puttachju [ragots, ndlr] qu’autre chose." 

Il nous est arrivé de commander une vidéo ou une photo sous la forme de dédicace pour se moquer d'un ami, pour son anniversaire ou quoi.

Joseph, utilisateur MYM et OnlyFans

Les commandes particulières faites aux créatrices de contenus tiennent alors souvent plus à de la macagna [humour, ndlr] entre copains, renchérit Joseph. "Une fois que l'on sait que telle ou telle fille a un compte OnlyFans, il nous est arrivé de commander une vidéo ou une photo sous la forme de dédicace pour se moquer d'un ami, pour son anniversaire ou quoi."

Le choix de l'anonymat

Peu désireuse d'être reconnue, d'autant plus dans un territoire comme la Corse où les nouvelles circulent vite, Lucille, la créatrice de contenus sur OnlyFans, prend elle toujours bien soin de dissimuler son visage, même dans les commandes privées.

"Soit je cadre sans ma tête dans le champ, soit je mets un masque pour ceux qui le préfèrent. Certains proposent de me payer même le triple pour que je me montre, mais c'est hors de question. J'ai même pris un pseudonyme, pour ne pas avoir à donner mon vrai prénom. Je ne veux pas qu'on puisse remonter jusqu'à moi, qu'on commence à savoir ce que je fais au village. C'est mon secret."

Un anonymat pour le moins précieux pour la jeune femme qui n'envisage pas de faire d'OnlyFans un business durable. "Si je suis mes études, c'est pour pouvoir décrocher un emploi dans une filière plus "noble" par la suite, souffle-t-elle. Attention, je ne dis pas que les travailleurs du sexe devraient avoir honte ou forcément se cacher. Mais ce n'est pas une chose à laquelle je veux être associée. C'est un bon moyen de gagner de l'argent pour le moment, et j'en profite, mais ça ne me dérange pas de gagner moins plus tard. Je considère ça comme une passade de ma vie."

Certains proposent de me payer même le triple pour que je me montre, mais c'est hors de question. J'ai même pris un pseudonyme, pour ne pas avoir à donner mon vrai prénom.

Lucille, créatrice de contenus OnlyFans

Locataire d'un petit appartement dans le centre Corse, depuis lequel elle suit à distance ses cours pour valider son diplôme, la jeune femme se donne encore "deux, trois ans" sur la plateforme, avant de supprimer son profil, assure-t-elle.

Son "petit" compte est pourtant lucratif : Lucille assure empocher plus de 1.000 par mois, tous les mois. Avec un pic atteint au mois de décembre de l'année dernière, et 17.000 euros engrangés. Une bagatelle à côté des millions d'euros que peuvent décrocher chaque mois les plus gros comptes sur la plateforme, mais un complément de revenu pour le moins appréciable tout de même.

"Tout ne va pas directement sur mon compte en banque, bien sûr. J'ai dû créer un statut d'auto-entrepreneur, et j'ai quelques frais "d'activités", comme l'achat d'une caméra, d'objets ou de différentes tenues et lingeries. Mais c'est plus d'argent que je n'ai jamais touché dans tous mes autres petits emplois, et au-delà de me permettre de payer mes études, je peux même économiser pour la suite."

Des mineurs interdits, mais bien présents quand même

Reste la question - sensible - de l'âge des créateurs et consommateurs de ces contenus, et de cette nouvelle forme de sexualité virtuelle. Sur le principe, OnlyFans et MYM requièrent 18 ans de minimum d'âge pour créer un compte utilisateur, que l'on soit créateur, "fan", ou ambassadeur. 

Des systèmes de vérification d'âge ont également été mis en place, avec la demande, par exemple, pour les créateurs, de fournir un certificat d'identité, ou des logiciels d'estimation d'âge avant la consultation de contenus explicites. Mais ces mesures, bien que régulièrement renforcées, restent, selon témoignages, facilement contournables. 

Enzo, 15 ans, affirme ainsi suivre sans difficultés plusieurs comptes gratuits sur MYM. "On ne peut pas voir tout ce qui est posté, mais les femmes mettent souvent des photos en accès libre, où on les voit nues, ou presque." Ses amis, précisent-ils, sont nombreux à faire de même.

"On ne regarde pas en permanence, mais ça nous arrive de temps en temps, surtout pour rire. On aime bien trouver de nouvelles femmes et se les partager entre nous." Se voir bloquer l'accès à OnlyFans ou MYM n'inquiète pas l'adolescent. 

Ma première vidéo porno, je l'ai vue en sixième. Certains de mes amis, c'était dès l'école primaire.

Enzo, 15 ans

"On n'a pas besoin de ces sites-là pour avoir accès à tout ce qu'on veut. Ma première vidéo porno, je l'ai vue en sixième. Certains de mes amis, c'était dès l'école primaire. Avec Internet, on a accès à tout facilement. C'est un peu rassurant au final, parce que ça nous permet de comprendre comment ça fonctionne avant de nous lancer, on va dire."

L'émergence d'une nouvelle "norme" dans la sexualité

Au point de modifier leur rapport à la sexualité ? Si Enzo estime être capable de faire la différence "entre ça et la réalité. Au maximum, ça nous donne surtout des idées de choses qu'on aimerait bien reproduire", Sandrine Francisci, sexologue clinicienne bastiaise, ne partage pas le même point de vue.

"La pornographie, et son accès facilité, a clairement un impact sur les plus jeunes. L'adolescence, c'est une période où on se cherche encore, et où on veut rester dans la norme, dans tous les domaines, y compris en terme de sexualité. Et quand on regarde les contenus pornographiques, on se rend vite compte que c'est souvent le même déroulé et scénario, et cela devient de facto la norme que l'on voudra s'appliquer, parce que c'est tout ce que connaît et c'est donc rassurant."

Des enfants et adolescents plus au courant des pratiques et termes, mais pas plus matures sexuellement pour autant, ajoute-t-elle. Dans son cabinet, Sandrine Francisci raconte ainsi avoir reçu des jeunes "tout mignons de 10,12 ans, qui parlent de gangbang, ou me disent qu'ils veulent être poly-amoureux...Ce sont quand même des points qui nécessitent de se connaître, et par définition, à cet âge-là, ils ne se connaissent pas encore."

Ils se sentent en sécurité parce qu'il n'y a pas de contact avec les acheteurs, et se disent que c'est un bon moyen de gagner un peu d'argent, sans prendre en compte les répercussions réelles que cela peut avoir.

Sandrine Francisci, sexologue clinicienne

Au-delà du visionnage de contenus érotiques et pornographiques, la sexologue s'inquiète de la possible arrivée de mineurs ou jeunes adultes sur les plateformes tels qu'OnlyFans et MYM, en quête d'un peu d'argent "facile".

"Ces contenus OnlyFans et MYM ne sont pas considérés comme de la prostitution, parce qu'ils profitent d'une faille de la loi, qui estime que sans contact physique entre le client et le travailleur du sexe, cela n'en est pas."

Au point de normaliser la publication de contenus de soi sur ces plateformes, "qu'on peut poster tranquillement depuis sa chambre ou son salon. Ils se sentent en sécurité parce qu'il n'y a pas de contact avec les acheteurs, et se disent que c'est un bon moyen de gagner un peu d'argent, sans prendre en compte les répercussions réelles que cela peut avoir, sur leur mental notamment pour les plus jeunes personnes. Il n'y a peut-être pas de contact physique entre créateur et abonné, mais il y a des échanges écrits, il y a des mots qui peuvent vraiment par la suite perturber."

"Il n'y a plus de retour possible en arrière"

Sandrine Francisci n'a à ce jour pas eu affaire à des mineurs créateurs de pareils contenus. Mais elle appelle à la prudence dans ce cadre. "Plus ils deviennent répandus, plus ils deviennent banalisés. On peut se dire que c'est rien, que ça n'aura pas d'impact, surtout chez les jeunes qui sont plus influençables". 

La solution? "Il ne faut pas interdire les choses, puisqu'interdire ne sert à rien, mais renforcer la prévention, estime la clinicienne. Ce n'est jamais juste une photo, et à partir du moment où c'est posté sur internet, il n'y a plus de retour possible en arrière."

(*les prénoms ont été modifiés)

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