L'élection le 10 mai 1981 de François Mitterrand, premier chef d'Etat de gauche de la Vème République, a bouleversé la vie politique française. Mais elle a aussi marqué une étape importante dans les relations entre Paris et la Corse, qui aspirait à plus de reconnaissance. Et d'autonomie.

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"La Corse est inquiète, et a besoin d'avoir des réponses aux questions qu'elle pose". Nous sommes le 3 avril 1981. Le premier tour des présidentielles approche à grands pas. Dans quelques semaines, les français devront choisir le nouveau locataire de l'Elysée. 

François Mitterrand est en visite sur l'île, et il s'est arrêté à Furiani, avant de rejoindre Ajaccio, où il tiendra meeting. Les dizaines de journalistes venus de Paris le pressent de questions sur ce qu'ils appellent, tout comme le candidat socialiste, "les problèmes corses"

Depuis le milieu des années 70, qui a vu l'essor du nationalisme et de la lutte armée, la Corse occupe régulièrement le devant de la scène médiatique. Et François Mitterrand l'a assuré à plusieurs reprises : s'il est élu, il tournera la page du centralisme et de la fermeté prônés par le président sortant, Valéry Giscard D'Estaing.

Ce jour-là, à Furiani, sous la banderole "Mitterrand Président", accrochée hâtivement sur un mur de pierre par les villageois, le premier secrétaire du Parti Socialiste reste laconique. Il promet des réponses, mais pour les connaître, il faudra que les Corses votent pour lui. 

Un mois plus tard, le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu président de la République. Il est le premier chef de l'Etat de gauche de la Vème république. Un bouleversement dans l'histoire politique de la France depuis la Libération, qui suscite beaucoup de craintes d'un côté. Et beaucoup d'espoirs de l'autre. 

Statut particulier

Sans conteste, ses premiers pas à l'Elysée sont marqués par de profonds changements pour la société française, tels que l'abolition de la peine de mort, la dépénalisation de l'homosexualité, ou la prise en charge de l'avortement par la Sécurité sociale. 

Les causes de discorde ayant disparu, au contraire, la concorde reviendra et l'unité nationale sera consolidée.

Gaston Defferre, 1981

En Corse, c'est en matière de décentralisation, et donc d'évolution institutionnelle, que François Mitterrand entend laisser sa marque. C'est ainsi qu'apparaît l'idée de "statut particulier". Un statut sur lequel le président demande demande de travailler à son premier ministre, Pierre Mauroy, et à son ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation, Gaston Defferre. 

Le 2 mars 1982, une loi dote l'île d'un statut différent de celui des autres régions. Et d'outils spécifiques, tels qu'une Assemblée de Corse de 61 membres élus au suffrage universel.

Mais pour autant, pas question de voir ce pas vers plus d'autonomie comme un encouragement à la sécession, à l'indépendance de la Corse, affirme Gaston Defferre au micro de France 3 dès août 1981 :

"Je pense au contraire qu'un projet de décentralisation suffisamment poussé, tenant compte de l'originalité de la Corse, du caractère particulier de la Corse, doit permettre de consolider l'unité nationale. Car quand ceux qui revendiquent l'autonomie ou l'indépendance constateront que dans le cadre de la République française ils ont obtenu la possibilité de s'exprimer, de se faire entendre, de faire enseigner la langue corse, de respecter les traditions corses, alors je suis convaincu que les causes de discorde ayant disparu, au contraire, la concorde reviendra et l'unité nationale sera consolidée."

Plus de deux attentats par jour en 1983

C'est ce que ne manque pas de rappeler François Mitterrand lors de sa venue en Corse, les 13 et 14 juin 1983. Pour lui, le statut particulier s'inscrit dans le cadre des institutions de la République, et les "nationalistes les plus radicaux" ne doivent pas se tromper sur ses intentions, même s'il a multiplié les gestes envers eux depuis son élection, en supprimant la cour de sûreté de l'Etat, et en prononçant une amnistie pour les prisonniers politiques...

La reconnaissance, ce n'est pas l'autonomie. 

Refuser de séparer le peuple corse du peuple français.

François Mitterrand, 1983

François Mitterrand prend la parole à la tribune de l'Assemblée de Corse, élue pour la première fois un an auparavant. Et il y prononce l'expression "peuple corse", une première pour un président de la République : 

"Je parlerai au peuple corse pour lui dire mon attachement, la confiance que je lui fait, et le respect que je lui porte. Mais en même temps que mes mots ne prêtent pas à confusion.
Singularité, spécificité, solutions particulières, autonomie, tel fut le vocabulaire de mes prédécesseurs, qui ont tous reconnus qu'il était nécessaire de poser le problème, mais dont aucun n'a pu apporter de réponse. Mon gouvernement, lui, l'a fait. Mais il n'a fait en refusant de séparer le peuple corse du peuple français et en réaffirmant l'appartenance de la Corse à la République Française, c'est clair". 

Mitterrand, lors de son passage sur l'île, renouvelle son appel au dialogue, mais affirme que Paris continuera de lutter "sans la moindre complaisance" contre le terrorisme.

Le FLNC va répliquer par une intensification des attentats. Jusqu'à établir un record : en 1983, 800 plasticages sont dénombrés par les autorités.

Assemblée de Corse, épisode 2

Lors du second septennat de Mitterrand, en 1991, une deuxième loi viendra amender la première, sous l'impusion de Pierre Joxe, ministre de l'Intérieur, en modifiant le système électoral, pour instaurer un régime de prime. Les pouvoirs de ce que l'on appelle désormais la Collectivité territoriale, pour marquer sa différence avec les Régions, sont renforcés, et elle dispose désormais d'un conseil exécutif. 

La reconnaissance de la Corse dans la France ne fait que commencer.

François Mitterrand, 1993

Le "statut particulier" de la Corse a continué d'évoluer même après la mort de François Mitterrand. avec ce que l'on a appelé "le processus de Matignon", et la loi Jospin en 2002. 

C'est plus de pouvoirs, dit Paris. Pas assez, selon les nationalistes, qui voient dans ces statuts les espoirs sans cesse déçus d'une véritable autonomie. 

Irréconciliables ?

François Mitterrand a œuvré, plus que tout autre chef de l'Etat français, pour que les spécificités et l'identité corse soient reconnues au plan national. Et les promesses ont, dans la plupart des cas, été suivies d'effets. Pour autant, durant ses deux septennats, entre 1981 et 1995, le bras de fer a été intense. Et émaillé d'éclats de violence spectaculaires.. 

Illustrant la complexité des relations entre Paris et l'île. 

Lors de sa dernière visite en Corse, en 1993, à l'occasion de la commémoration de la Libération de l'île, ce féru d'Histoire avait conclu son allocution par ces mots : "mesdames et messieurs, c'est presqu'une évidence que de leur dire : l'histoire continue. Mais la reconnaissance de la Corse dans la France ne fait que commencer, comme il m'est facile de vous dire, en confiance, ces quelques mots : vive Ajaccio, vive la Corse, vive la République, vive la France".

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