En marge de son déplacement en Corse, le ministre de l'Intérieur a accordé un entretien à France 3 Via Stella. Relations avec les élus de l'île, reprise du processus de négociation, Gérald Darmanin a passé en revue les sujets qui font l'actualité insulaire.
Gérald Darmanin, vous revenez en Corse douze jours après la commémoration de la mort du préfet Erignac et à moins d'une semaine de la reprise des discussions place Beauvau, qu'est-ce qui justifie cette visite ?
Je suis ministre de l'Intérieur et partout, dans tous les territoires de la République, ce que j'aime, c'est la rencontre avec les élus locaux, les maires, leurs conseillers municipaux, les habitants, les commerçants, toutes les forces vives, et d'échanger. En Corse, c'est mon cinquième déplacement depuis que je suis en charge de la relation que nous pouvons avoir ensemble, les élus de Corse, bien sûr, et l'État central. Et je voulais par ce signe particulier, dire que je venais en Corse, quand ça n'allait pas, comme c'est le cas au lendemain des événements qu'il y a eu après l'assassinat d'Yvan Colonna. Évidemment, je suis venu il y a six mois tout juste en Balagne, après ce dramatique événement météorologique qui a causé la mort de beaucoup de personnes. Et puis également, bien sûr, pour commémorer l'assassinat du préfet Érignac. Mais je voulais aussi venir dans des moments plus joyeux, plus normaux et discuter avec les élus de l'avenir de l'île.
Le 6 février dernier, vous prononciez un discours d'ouverture, le mot paix était cité pas moins de dix fois, dans un discours salué quasi unanimement par la classe politique insulaire. Pour autant, dans la même journée, sur France-Info, vous changiez radicalement de ton, comment peut-on expliquer ce double discours ?
Non, il n'y a pas de double discours. Il y a à la fois la commémoration, évidemment, de l'assassinat du préfet Erignac, qui est une blessure pour tout le monde, me semble-t-il. Il y a aussi l'idée qu'il faut regarder l'avenir, et je crois que la République française, le président de la République, le gouvernement de la République n'a jamais été aussi ouvert, n'a jamais été aussi à l'écoute et n'a jamais autant aidé les élus de Corse. Et je l'ai dit à plusieurs reprises, notamment au Conseil exécutif de la Collectivité. Et puis il y a aussi la vérité que l'on doit aux Corses : nous avons évoqué la possibilité d'une autonomie, nous avons lancé un processus, nous avons fait de très nombreuses réunions. Et j'ai constaté que pendant de nombreuses semaines, la main tendue n'avait pas été serrée, et je le regrette profondément, parce que c'est la Corse qui perd du temps, ce sont les Corses qui perdent du temps et nous attendons effectivement les propositions de la Collectivité. Demain, j'aurai l'occasion de déjeuner avec le président Simeoni, pour qui j'ai beaucoup de respect, et puis le 24 vous l'avez dit, à Paris, nous aurons une nouvelle réunion, donc j'espère qu'elle sera constructive.
Et quand on pointe le manque de répondant des élus nationalistes, quand on dit que les élus traditionnels ne se manifestent pas, est-ce la meilleure manière de créer un climat propice au dialogue ?
Le meilleur moyen d'avoir un dialogue, je crois, c'est d'avoir du respect et de la sincérité. Si on n'a pas de sincérité, si on fait de la politique simplement avec des arrières pensées, si on fait semblant de se dire des politesses et qu'on ne travaille pas ensemble, en fait, je pense que les gens le voient. Et vous savez, ce qui pousse les gens vers les extrêmes, ce qui pousse les gens vers l'abstention, c'est le fait qu’ils ont l'impression qu’il y a une forme de théâtre politique et qu'il n'y a pas de vérité. Moi, j'ai avec le président Simeoni des rapports francs, sincères, empreints de vérité, et ils ne sont pas cachés. Tout le monde connaît la sincérité que j'ai dans mes relations politiques, et je veux dire à tout le monde qu'il faut désormais travailler de façon constructive. Il y a une réforme constitutionnelle possible en 2024, il faut être prêt pour ça et je crois que tout le monde, désormais, l'a compris et travaille.
Vous avez signé aujourd'hui à Calvi un avenant pour le PTIC de 7,5 millions d'euros et vous avez aussi annoncé la possibilité d'un nouveau plan d'investissement pour la Corse. On dispense des crédits un petit peu comme du saupoudrage depuis 50 ans sur la Corse. Est-ce qu’il n’y a pas un problème de prisme du problème Corse, analysé uniquement par le volet économique alors que c'est un problème qui est peut-être beaucoup plus politique ?
L'État est très présent en Corse et sans l'État, beaucoup de communes ne pourraient pas porter les projets patrimoniaux, culturels, économiques et touristiques qui font vivre cette magnifique île et ces magnifiques communes. C'est le cas à Calvi : sans l'argent de l'État, il n'y aurait pas la rénovation de la citadelle. C'est le cas ici à Corbara, il n'y aurait pas de rénovation autour de cette belle église dans ce village. Je suis venu annoncer que c'est 60% des crédits pour ces travaux qui seront donnés par l'État, donc ce n'est pas du saupoudrage, c’est de l’aide aux collectivités. Et si nous le faisions pas, vous seriez les premiers à dire : “Vous n'aidez pas la Corse”. La Corse est aidée autant que tous les territoires de la République française, bien évidemment, parfois plus, parce qu'elle le mérite davantage. Et puis par ailleurs, il y a effectivement, je crois, mais je pense que tout le monde est d'accord, une activité économique qui est renforcée. Ce n’est pas la seule question, évidemment, la question du logement, la question, et c'est très important, de la culture. Il y a aussi des questions institutionnelles, bien évidemment, mais on ne peut pas bâtir, me semble t-il, l'avenir d'une île et de ses habitants sans développement économique, sans ses entrepreneurs.
Le 6 février dernier, vous lanciez un appel à la jeunesse pour qu'elle se détourne de la violence. Le lendemain, un communiqué d'une nouvelle organisation clandestine, GCC, revendiquait 15 attentats. Encore cette nuit, il y a eu un nouvel attentat dans le sud de l'île. Est-ce qu'il n'y a pas le risque qu'on rentre de nouveau dans un cycle action/répression, comme depuis plus de 50 ans, en Corse ?
Non, moi je ne commente pas ces épiphénomènes. Ce qui m'intéresse, c'est la présence de l'État qui est demandée, d'ailleurs, par tous les élus de Corse. J'ai entendu qu'il y avait une séance de la collectivité pour lutter contre un certain nombre de méfaits qui pourrissent la vie de l'île : vous le savez bien, l'argent sale, une forme de banditisme, qui empêche la Corse de regarder vers l'avenir et qui empêche la jeunesse de regarder vers l'avenir. J'avais annoncé des renforts de police et de gendarmerie très conséquents. Je suis en mesure aujourd'hui de vous annoncer très concrètement : c'est 100 policiers et gendarmes supplémentaires, 50 policiers de police judiciaire, qui seront dans quelques semaines seulement en Corse. Et puis quatre nouvelles brigades de gendarmerie. Je pense qu'il est important de garder la main tendue de l'État pour l'avenir institutionnel de l'île. J'ai été le premier à l’évoquer, en disant qu'on pourrait imaginer l'autonomie. C'est, je crois, une belle annonce qui permet aux élus de comprendre que nous sommes extrêmement sérieux. Beaucoup d'aide économique pour la Corse et en même temps l'État, qui doit être présent et qui doit effectivement mettre fin à des méfaits. Et notamment, je pense à l'argent sale, qui pourrit la vie de la Corse.
L'autonomie, juste en quelques mots, il en sera question la semaine prochaine, vendredi, pour la reprise des discussions, après 5 mois d'interruption place Beauvau. En quelques mots, quel sera l'ordre du jour de cette réunion ?
L'ordre du jour de la réunion, déjà, c'est de se reparler puisque vous l'avez dit, pour des raisons qui n'étaient pas propres au gouvernement de la République, mais à la demande d’une partie des élus, il y a eu des suspensions. On va reprendre nos travaux. La question du logement, c'est une question très importante évidemment en Corse, pour que les jeunes Corses puissent se loger chez eux. La question du développement économique, et notamment du statut fiscal qui va avec la norme et la norme fiscale, c'est un point très important. Et puis on va aussi attendre, je vous l'ai dit, les propositions de la part de ceux qui souhaitent l'autonomie, c'est à dire pas tous les élus de Corse, il faut bien le noter, mais une partie, et notamment ceux qui ont gagné les élections et que je respecte profondément. Donc j'attends effectivement du président Simeoni et de ses équipes un peu plus, si j'ose dire, de travail sur comment, ensemble, on est prêts pour l'année prochaine, à proposer une copie au président de la République et aux Corses.
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