Depuis près de vingt ans, il préside aux destinées du festival qui, chaque été, rayonne sur toute la Corse. Jean Sicurani a fait sortir les sonates et les préludes des salles de concert, pour que la musique classique redevienne ce qu'elle était à l'origine. Populaire.
Le pianiste Nicholas Angelich apporte la dernière touche aux Rencontres de Calenzana 2019.
Les visions fugitives de Serge Prokofiev résonnent dans Saint-Blaise, et il ne reste plus une place de libre sur les bancs de l'église.
Jean Sicurani est tout à son bonheur. Prokofiev succède à Beethoven, son compositeur préféré.
Et puis, surtout, les rencontres, une nouvelle fois, ont été un succès populaire et une réussite artistique.
Et ce n'est pas vraiment une surprise. Les concerts proposés par les Rencontres, ces dernières années, à Calenzana mais également à Santa Reparata, Belgodère, ou Galeria, se jouent la plupart du temps à guichets fermés.
La manifestation, en 19 éditions, est devenue l'un des jalons incontournables de la saison culturelle estivale en Corse.
Les artistes du monde entier demandent à se produire en Balagne, fin août.
Vingt ans l'année prochaine
Mais Jean Sicurani, directeur artistique et âme du festival, sait le travail que cela exige. Et il sait aussi que rien n'est jamais totalement acquis."La sauce a bien pris, c'est vrai, sourit-il. Mais il faut continuer à proposer des choses nouvelles, le public est de plus en plus connaisseur, on n'a pas d'autre choix que l'excellence des concerts proposés, c'est une exigence fondamentale."
Alors, Jean Sicurani est déjà en 2020. "L'édition de l'année prochaine est déjà bouclée à 90 % ! Dans ma tête en tout cas... Il faut préparer tout cela bien en amont, c'est nécessaire, on ne se décide pas au dernier moment en disant, "tiens, invitons untel ou unetelle". Et puis l'année prochaine, ce seront nos vingt ans !"
Pour le chef d'orchestre des Rencontres, aucun doute, cette rigueur vient en grande partie d'A Filetta, le groupe qu'il a contribué à créer, et qu'il a quitté en 2017.
A Filetta, c'était une école du travail. Pour pouvoir proposer des choses à un public, il faut être irréprochable. Le travail est payant. Toujours.
Une musique considérée comme élitiste
A l'année 2 ou 3 personnes, salariées, travaillent pour les Rencontres de Calenzana.Mais durant les six jours qui viennent de s'écouler, une cinquantaine de personnes était sur le pont, en permanence, pour s'assurer que tout fonctionne. Des professionnels, un directeur technique, un régisseur plateau, une régie, mais également de nombreux bénévoles, fidèles au poste depuis les débuts.
Ces 19èmes Rencontres de Calenzana ont un goût particulier pour Jean Sicurani.
Ce sont les premières qui se tiendront depuis la mort de son ami Blaise Orsini, le père fondateur du Svegliu Calvese, disparu en juin dernier.
C'est avec lui que tout a commencé, il y a vingt ans. "Un jour, Blaise, avec qui on avait créé les Rencontres des chants polyphoniques de Calvi, me dit, ce serait bien qu'on laisse plus de place à la musique classique, qu'on redonne à la Balagne son lustre d'antan dans le domaine. Et à Calenzana en particulier, puisque durant les années 70 s'y tenait un grand festival de musique classique, qui s'appelait Les Nuits d'Alziprato.
La référence m'a touché, parce que ma pauvre mère était mélomane, et elle m'y amenait quand j'étais plus jeune. C'est comme ça que j'avais eu accès, et que j'avais appris à aimer, une musique que l'on considére comme élitiste..."
Quelques mois plus tard, en 2000, la première édition eut lieu.
Avec cette philosophie qui perdure vingt ans plus tard. Œuvrer à amener la musique classique au plus grand nombre, animés par l'idée que cette musique peut toucher tout le monde.
"Une année, des bénévoles m'ont rapporté une anecdote qui m'a beaucoup marqué. On avait organisé un petit concert à Zilia, c'était un concert gratuit. Et des gens passaient devant l'entrée de l'église, intrigués. L'un de nos bénévoles, qui était sur place, invite un monsieur à rentrer assister au concert. Et cette personne lui a répondu qu'il voudrait bien, mais que cette musique n'était pas faite pour lui.
Ca voulait dire qu'il ne se pensait pas assez bien pour écouter cette musique, en raison de son rang social, de son éducation, de son origine, que sais-je... Ca m'a blessé, vraiment. je me suis dit qu'il fallait absolument que si les gens n'allaient pas jusqu'à nous, nous allions jusqu'à eux."
Alors les Recontres de Calenzana multiplient les concerts gratuits, ou à des tarifs bien éloignés de ceux pratiqués habituellement pour ce genre de prestations, et des artistes de cet acabit.
Et les concerts, depuis des années, ne sont plus cantonnés aux églises, mais ont investi la campagne balanine, dans des endroits magnifiques, où la musique, pourtant, prend un air moins corseté.On propose 8 ou 9 concerts gratuits, 6 ou 7 à moins de dix euros, et le prix maximum est de 25 euros.
En deux décennies de festival, celui qui est également enseignant chercheur à l'université de Corse en archéologie préhistorique et docteur en préhistoire, n'a jamais pensé à prendre ses distances, où à confier les clés du fort à quelqu'un d'autre.
"Je ne sais pas par quoi je suis animé, mais ce n'est pas dans mon tempérament d'entreprendre quelque chose, puis de m'arrêter. On a rencontré quelques difficultés, mais on a persisté et on a réussi à pérenniser cet événement. Et ça en valait la peine. Aujourd'hui, on est conventionnés par la Collectivité de Corse, et ce qui n'est pas rien. Ca nous permet de voir les choses plus sereinement."
Et de multiplier les projets. Les Rencontres, ce n'est plus uniquement six jours en août, c'est également des rendez-vous tout au long de l'année, et ce n'est qu'un début.Ici on peut faire de merveilleuses choses, mais ça demande de l'engagement
Un festival de plus petite ampleur, un projet qui tient à cœur à Jean Sicurani depuis longtemps, devrait voir le jour.
Au mois de février.
Axé sur les musiques traditionnelles, corses, et bien sûr, cela n'étonnera personne, venues du monde entier. Un festival qui proposera aussi, à travers une académie de musique, des master classes.
Jean Sicurani est infatigable.
Mais il sait pourquoi il l'est.
"Ma source, c'est cette terre et ce peuple corses. C'est cela qui me porte, qui me donne la force d'avancer. C'est une terre qui a énormément de choses à dire, et à partager. Ici, on peut faire de merveilleuses choses.
Mais ca demande de l'engagement. Donner le plus possible, c'est le plus important".