A l'aube, des militaires en armes sont montés sur le Pascal Paoli qui voguait de Bastia vers Marseille. La raison, des passagers de confession musulmane qui avaient éveillé des soupçons. Une intervention spectaculaire, qui a fait chou blanc. Mais a choqué des passagers. Témoignage.
Il est un peu plus de cinq heures du matin, et le Pascal Paoli croise au large de Cassis, lorsque six hommes en armes pénètrent dans la salon du navire où se trouvent les fauteuils, et où restent les gens qui n'ont pas de cabine pour passer la nuit.
Le réveil est brutal
Les hommes de la gendarmerie maritime réveillent les passagers, une vingtaine, qui s'étaient confectionné un lit de fortune à même le sol, avec un sac de couchage ou quelques couvertures, et les préviennent qu'ils vont allumer la lumière.Parmi eux, Bianca, une jeune étudiante de Casinca qui retournait à l'université de Marseille pour la soutenance de son mémoire.
Nous l'avons jointe ce matin alors qu'elle s'apprête à passer son examen, dans les couloirs de la fac :
"J'ai rien compris à ce qui se passait, j'étais encore à moitié endormie, j'ai vu ces mecs, avec des mitraillettes, des casques, certains avec des cagoules...Ils étaient cinq ou six, il me semble. J'ai cru voir marqué GIGN sur leur combinaison mais je suis même pas sûre...J'avais peur...Un homme gardait l'entrée de la salle, avec son fusil, pour empêcher quiconque de sortir ou d'entrer. On imagine le pire."
Un passager leur signale qu'il n'y a pas d'interrupteur, et la salle reste dans la pénombre. Les gendarmes arrachent les caches qui atténuent la lumière au plafond, et prennent leurs lampes-torches.
J'avais les larmes aux yeux, j'avais peur, c'était violent...
La scène prend un côté cinématographique peu rassurant...
"Tout le monde flippait, ils se sont dirigés vers le groupe de musulmans qui était réuni à un mètre de moi à peine. Et qui avaient fait leur prière en groupe la veille. Ils les ont fait sortir un par un de la salle, les ont fouillé, ça a duré longtemps...J'étais vraiment pas bien, j'avais les larmes aux yeux, je leur ai dit "Vous me faites vraiment peur, là..." L'un d'eux m'a répondu qu'il n'y avait aucune raison d'avoir peur, que tout allait bien se passer, que c'était juste une vérification".
Bianca sort sur le pont pour se libérer d'un peu de pression et fumer une cigarette, et aperçoit deux navires de la gendarmerie maritime qui entourent le Pascal Paoli.
La confusion règne, et la jeune fille ne pense plus trop à son examen du lendemain.
"C'était tellement la panique que je ne sais même pas ce qu'ils ont fait du groupe de musulmans qu'ils ont contrôlé. Ils avaient été très discrets tout le long de la traversée, et puis il faisait sombre, je ne reconnaissais pas les visages. Je ne sais pas s'ils sont tous revenus ou pas, si certains ont été arrêtés.
Après un temps interminable, les mecs en armes sont repartis. Et le bateau a repris le chemin de Marseille. J'ai trouvé ça tellement violent, tellement brusque, tellement incompréhensible.
Ils n'ont pas violenté les suspects, en tout cas je n'ai rien vu, mais c'est la situation. Ils ne leur ont même pas laissé le temps de mettre leurs chaussures..."
Communiqué de presse du Préfet maritime de Méditerranée
Dès qu'il y a un risque détecté, il faut respecter les procédures
Pasquine albertini, responsable de la communication de Corsica Linea, nous en dit plus sur cet événement pour le moins inattendu.
"Il y avait 400 passagers, à peu près, sur le Pascal Paoli. Et parmi eux, une soixantaine de militaires qui se rendaient à Marseille. Des militaires entraînés à analyser le moindre détail, et à tirer des conclusions d'un faisceau de faits qui pouvaient laisser imaginer un danger. Ils ont signalé à l'encadrement du navire leurs soupçons sur un groupe de voyageurs. L'information est remontée jusqu'au commandant, qui a décidé de prévenir la gendarmerie maritime par radio.
Nous avons des procédures de sécurité que nous devons respecter scrupuleusement. Pas question de mettre en danger la vie de nos passagers et de notre équipage.
Pour la gendarmerie, le faisceau objectif de présomptions nécessitait une intervention. Mais tout s'est fait le plus discrètement possible", souligne Pasquine Albertini. "Et les passagers sont arrivés à bon port".
Au final, aucune arme, aucune infraction, aucun suspect fiché...
C'est vrai, pour les nombreux passagers qui dormaient dans les cabines, rien de tout cela n'a eu lieu, si l'on peut dire...Mais pour Bianca et les quelques autres qui étaient restés dans le salon, il en va autrement.
"J'ai eu plus peur de l'intervention des forces de l'ordre que du groupe de musulmans qui voyait à côté de moi. Les pauvres, ils avaient été impeccables tout le mong du trajet. C'est vrai qu'ils restaient entre eux, comme une micro-communauté, mais ils ne m'avaient pas inquiété une seconde... Une intervention comme cela, en revanche, c'est un coup à devenir parano. Ca m'a vraiment secoué, et l'idée de prendre le bateau du retour pour rentrer chez moi, et de dormir au même endroit, ça me fait bizarre, j'ai une espèce d'appréhension."
D'autant que le contrôle n'a strictement rien donné. Que les musulmans ciblés, selon nos informations, n'avaient aucune arme et n'étaient pas connus des services de police. Et qu'aucune infraction n'a été relevée.
L'analyse des militaires, heureusement pour les passagers, était cette fois-ci erronée.
Pour la petite dizaine de passagers contrôlés à l'aube de manière aussi spectaculaire, sans conséquences, l'issue de l'affaire est également heureuse.
Mais ils se souviendront sans nul doute de leur traversée...